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Chapitre 1 : Kaki dans le théâtre algérien

4. Témoignages autour de l’œuvre de Kak

Dans le but d’avoir un aperçu authentique sur la valeur de l’œuvre de Kaki, plusieurs témoignages, sont révélateurs du panorama de l’œuvre emblématique, riche et variée de Kaki.

Le frère de Kaki, Ould Abderrahmane Mazouz,actuellement au Canada où il a réalisé plusieurs films pour le compte de la Télévision Canadienne, qui sera de toutes les expériences de Kaki, rapporte ce témoignage dans la préface de l’œuvre de Abderrahmane Mostefa et Mansour Benchehida :

KAKI n’est pas un homme de théâtre, c’est un phénomène de théâtre. Pourquoi ? Parce qu’habituellement un homme de théâtre se forme dans un mouvement de pensées, de traditions, et suit le cheminement de ses maîtres. Vilar ne s’est pas fait tout seul. Il vient de l’école du Théâtre du Cartel61 qui a bouleversé le théâtre bourgeois français. Déjà dans les années 40, Kaki jouait des petites saynètes dans le giron du mouvement nationaliste scout, et c’est là qu’il a pris goût à la pratique dramatique. (...) Le phénomène Kaki va briller par un talent de comédien et d’écrivain. Il va adapter le"Tartuffe" de Molière "El Hadj Brahim", "Le docteur K’nok" de Jules Romain "Tabib El filadj ma hou Tabib", "Les méfaits du tabac" de Tchekov. L'activité théâtrale de cette époque était limitée par l'habitude qui régence tout spectacle en une première partie, "Le sketch", et en deuxième partie, la plus importante, "Le concert de variétés", dont le clou était la danseuse du ventre. Le public venait pour le nombril de la danseuse. Dans les années 50, à l'occasion du rassemblement mondial de la jeunesse, Kaki va faire un séjour en Roumanie. Il va voir beaucoup de théâtre, rencontrer beaucoup de personnalités théâtrales de l'époque et ne rater aucune conférence de théâtre pendant cette grande manifestation de la culture. Il en revient transformé et dit à qui veut l’entendre que la danse du ventre n’est pas du théâtre. (...)Kaki avait des difficultés à imposer ses nouvelles façons de faire du théâtre. Tous les gens de sa génération étaient contre. C’est pourquoi il avait misé sur les jeunes. Seul, coupé des traditions et contre tous, il va faire un théâtre propre à lui avec douze gars inconscients de l'aventure dans laquelle ils s'embarquaient, ignorants qu’ils allaient faire tout ce qu’il leur demanderait de faire. Et "Le cauchemar" est né. La

vraie théâtralité de Kaki, c’est "Le cauchemar", "Le filet", "Le voyage", "La cabane", "El-menfi", "La cage". La première version de "Diwan el garagouz", pas celle de "L’oiseau vert", parce que par la suite, ces pièces allaient s’inscrire dans la tradition Stanislavsky, et le bio - mécanisme de Meyerholdt. En 1954, même en le comparant avec ce qui se passait dans le reste du monde, Kaki avait pris une avance de 20 ans sur le théâtre dit de laboratoire A Paris, en 1964, il joue "Avant théâtre" produit de ce travail laboratoire, qu'il avait pourtant laissé de côté depuis 4 ans alors. Il étonne le Tout-Paris. Six ans après le "Living théâtre" de New York arriva avec le même théâtre, il allait s’imposer durant dix ans sur la scène internationale88..

Ce succès « arraché » à Paris - la capitale de la culture européenne, la coquette de la civilisation occidentale - évoqué dans ce témoignage du frère de kaki, est d’ailleurs confirmé par la critique théâtrale française. C'est ainsi que Gilles Sandier, le critique de théâtre français écrivit et hurla de bonheur à la suite de la représentation d'Avant-

Théâtre, en mai 1964, à Paris :

Comme il est rare de trouver une troupe d'acteurs qui soit véritablement une troupe, un outil de création théâtrale ; car c'est le cas de la troupe de Kaki, qui cherche depuis dix ans à définir un style de théâtre dans un pays, l'Algérie qui n'a pas de tradition théâtrale. Les comédiens de Kaki ont puisé dans les grandes traditions : nô japonais, tragédie grecque, commedia dell'arte, cérémonies africaines. Ils ont utilisé l'enseignement de Copeau et de l'Actor's Studio. Mais je me demande où est le vrai théâtre, de cette joie profonde du retour aux sources ou des simagrées de nos cabotins. J'ai éprouvé, devant ces comédiens, le rare plaisir qu'on ressent devant le théâtre en train de naître, le jeu dramatique dans sa pureté. Car ils n'ont pas seulement la sincérité et la ferveur, ils ont le don inné du théâtre, aussi bien l'art de faire le clown que l'art d'exprimer notre tragique ; ils ont le sens de la gravité, de l'élégance, du rythme, du raffinement et de la violence par lesquels ils imposent sur la scène un univers profondément, intensément humain89.

Nous constatons clairement que cette expérience digne de considération du dramaturge Kaki, celle de la fondation dans les années cinquante du siècle dernier, de la troupe de théâtre appelée "ELGARAGOUZ» et avec laquelle il avait commencé à s’inspirer des formes traditionnelles pour les employer dans ses pièces, c’est à dire à la recherche d’un théâtre typiquement algérien, a donné ses fruits suite à cette représentation théâtrale intitulée: "Avant-théâtre". Une expérience qui ne pouvait qu’engendrer un grand succès même à Paris, où la critique avait un regard perçant et une plume avérée ! Et autres expériences où il a su élaborer une harmonie entre la création et la mise en scène.

Ses travaux ont toujours - on ne peut plus clair - été valorisés et primés dans les différentes capitales arabes et européennes, où il a reçu de nombreux prix et distinctions,

88Abderrahmane Mostefa et Mansour Benchehida, op.cit, p. 4.

89Abderahmane Mostefa, « Un cinéaste algérien au pays de l'Erable », in La Nouvelle République du 28 Janvier 2013 [en ligne]. Disponible sur :˂ http://www.djazairess.com/fr/lnr/221578˃, consulté le 28 Mars 2015 à 17h17.

notamment son couronnement par la médaille d'or au Caire à la fin des années quatre- vingt du siècle dernier.

Un autre témoignage est digne d’intérêt, celui du metteur en scène français Jean- Pierre Vincent qui souligne dans son témoignage l’apport considérable et l’influence qu’a eue Kaki dans sa formation théâtrale comme comédien tout en attestant qu’il lui reste redevable car c’est grâce à lui qu’il est ce qu’il est comme metteur en scène :

J’ai eu l’occasion de travailler avec Ould Abderrahmane Kaki de façon très brève malheureusement. Mais cette rencontre a été tout à fait décisive pour moi : pour la confirmation de ma vocation, pour l’appréhension très vive d’un certain nombre de réalités du théâtre, pour le déclenchement en particulier de certains moteurs du jeu d’acteur (engagement personnel, risque, précision, etc.). C’était lors d’un stage d’art dramatique à Bouiseville en 1961. Un groupe de jeunes acteurs universitaires, encadrés par des professionnels confirmés, y ont donné huit pièces en huit semaines. C’était un travail de fous. Tout n’était sans doute pas merveilleux, mais ce rythme et cette traversée de plusieurs styles ont été extraordinairement formateurs. Mais l’expérience la plus vive de ce stage a été pour moi le travail sur "L’oiseau Vert" de Carlos Gozzi avec Ould Abderrahmane Kaki. Je n’oublierai l’intensité amicale avec laquelle cet homme nous a communiqué sa force artistique. Après plusieurs expériences universitaires soigneuses et consciencieuses, c’était la première fois qu’on faisait appel directement, dans le vif, à ma créativité personnelle, à mon élan intérieur. Les échos de cette semaine de travail se sont faits sentir bien des années encore, tant que j’ai été comédien. Et aujourd’hui, metteur en scène, je me sens encore redevable à Kaki de la disponibilité que je pense avoir en face des acteurs. Ce que j’ai appris de lui, c’est la vivacité unique, brûlante de l’acte artistique, un acte qui, pour concerner les autres, doit d’abord me concerner moi-même, en me brûlant un peu. J’ai aussi découvert alors l’importance du travail corporel de l’acteur. La tradition française est plutôt "langagière", "littéraire". Kaki m’a ouvert un autre monde : celui de l’acrobatie, du corps qui se fait parfois souffrir pour devenir beau et significatif.90.

A la lumière de ces repères succincts ayant jalonnés sa vie et de ses nombreuses contributions dramaturgiques, Ould Abdel Rahmane Kaki représente finalement une icône scintillante dans le ciel de la culture algérienne et un géant qui constitue les grands piliers structurant le théâtre algérien, et ce à travers un énorme parcours dans lequel il s’est distingué tant dans l’écriture que dans les nombreuses mises en scène dramatiques, tout comme le fait que toute une génération d'artistes et animateurs dramaturges ait été formée par ses soins et particulièrement son emblématique œuvre qu’il a léguée au quatrième art algérien, une œuvre théâtrale considérable.

Il convient à présent, dans le chapitre qui suit, de voir ce qu’il en est de notre second auteur, Michel de Ghelderode.