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Chapitre 1 : Kaki dans le théâtre algérien

2. Le théâtre algérien : contexte historique, enjeux et singularités

2.1. Temporalité et identité du théâtre algérien

2.1.2. Le genre du théâtre algérien

Il s’agit ici d’étudier les structures en général des productions théâtrales algériennes. Pour cela, nous explorons les conditions de l’émergence de l’art du théâtre tout comme les relations qu’il a tissées avec les autres éléments constituant la vie culturelle. Un regard sur la nature de la programmation et la production théâtrale nous révèle l’existence des effets, des scènes et des idées véhiculées dans ces structures théâtrales algériennes.

En dépoussiérant les conditions de l’émergence, en cette période, de l’art du théâtre tout comme les relations qu’il a tissées avec les autres éléments constituant la vie culturelle, un simple coup d’œil sur la nature de la programmation et la production théâtrale nous révèle l’existence des effets, des scènes et des idées véhiculées dans la structure en général des productions théâtrales.

En effet, le cinéma égyptien qui avait alors gagné l’estime des algériens (unique grand écran arabe qui concurrençait son « rival » occidental, dans un contexte spatiotemporel de colonial) avait influencé l’aventure théâtrale algérienne par ses techniques de représentation dramatique tout comme le théâtre comique (de vaudeville),

ce dernier, après une présence de trois décennies sur la scène théâtrale algérienne, avait tout aussi laissé ses traces profondément sur une grande partie de la production théâtrale. Dès l’indépendance, les effets de ce type de scène étaient encore concrets dans le jeu théâtral principalement dans les travaux de Rouiched, qui avait traité des thèmes sans aucun changement radical tant sur le fond que sur la forme, ses travaux en effet, étaient, dans une perspective, une continuité des pionniers de l’art dramatique algérien, tels que Mahiedine Bachtarzi, Rachid Ksantini et Mohamed Touri, signifièrent la particularité du théâtre algérien comme suit :

Un théâtre qui énoncera, au fur et à mesure et de manière de plus en plus marquée, les prémisses d’une nouvelle attitude. Il appuiera sur la caricature pour mieux dénoncer les fléaux sociaux, abusera du burlesque inspiré du cinéma muet, insistera sur des personnages, qui reviendront assez souvent dans les pièces proposées, montera des spectacles pour des circonstances précises 48.

Ainsi, la relation du théâtre était étroitement liée avec les éléments de la culture populaire, des formes populaires qui caractérisèrent le monde culturel algérien : El- Halka, EL-Gouwal, El-Meddah, ect...Ces types de performance et de présentation, avec lesquelles s’était habitué le citoyen lambda (donc le public cible), présentaient un défi quant à la manière avec laquelle elles allaient être incarnées sur la scène de la représentation dramatique.

Par voie de conséquence, les travaux dramatiques se distinguaient par la structure du conte populaire comme les contes des « Mille et une nuits » et les aventures burlesques de « Djeha » qui avaient saturé le monde du drame algérien. A partir de là, le commun des chercheurs peut méditer avec attention ce phénomène et son rôle de mobilisateur voire de catalyseur des rapports et des réseaux qui contribuèrent abondamment dans le tissage de l’œuvre dramatique algérienne, et comprendre ainsi comment se produisait l’histoire ? Quelles sont les images et les fonctions qui étaient récurrentes dans les textes ? Et comment était traité le mythe ?...

En effet, et après l’indépendance du pays, le débat sur l’activité théâtrale allait dominer l’espace culturel. Les articles et traitements journalistiques se multiplièrent sur ce sujet. Les hommes de théâtre, qui étaient tant bien que mal libérés et surtout armés de moyens matériels et techniques, avaient commencé à se pencher sur leurs manières d’exercer tout en s’autocritiquant et en abordant et initiant de nouvelles expériences théâtrales.

Chemin faisant, la question d’un inventaire du patrimoine culturelle était devenue une obsession essentielle pour les auteurs et réalisateurs, lesquels dès qu’ils avaient été équipés techniquement avaient commencé à « affronter » une nouvelle forme d’aventure théâtrale...

Ainsi, des dramaturges comme, entre-autres, Mustapha Kateb et Ould Abderahmane Kaki avaient initié d’une façon dialectique la question se rapportant au théâtre populaire, à l’inspiration, l’adaptation et la créativité etc. Au moment où les uns avaient choisi l’adaptation, les autres privilégièrent ce qu’ils appelèrent « le retour aux sources » et « la découverte de soi », tandis que d’autres avaient préféré opter pour une fusion entre ces deux réalités. Ceci va engendrer un élan et un enthousiasme, nés à partir des premières années de l’indépendance, qui amenèrent les acteurs dans la scène culturelle à s’interroger sur la fonction voire les fonctions de l’art théâtral : quel théâtre produire et pour quel public ou quelle masse (prendre en considération le contexte sociopolitique de cette période, à savoir l’adoption par le pays de la doctrine socialiste...) ? De ce fait, la projection directrice dominante visait dans sa ligne de mire un théâtre populaire à l’écoute et au service de la société et ses attentes voire même en lui greffant la nature de « révolutionnaire ».

Dans un document, réalisé par le professeur Ahmed Cheniki, nous trouvons aussi un diagnostic de l’état des lieux de ce théâtre qui se cherchait, tels un disciple avide d’horizons, et qui allait justement trouver en les personnes de Kateb Yacine et Mohamed Boudia - de grands hommes de culture de l’époque – ses véritables précepteurs :

Le théâtre en Algérie eut l’incroyable chance d’être pris en mains par deux véritables hommes de culture, Mohamed Boudia et Mustapha Kateb, qui permirent la mise en place et la définition des fonctions et des objectifs des structures théâtrales. Durant les premières années de l’indépendance, la grande question alimentant tous les débats s’articulait autour de la fonction du théâtre dans une société ankylosée, exsangue, qui cherchait à récupérer son propre substrat culturel tout en restant ouverte aux changements. Quel théâtre faire ? Telle est la lancinante interrogation qui parcourait les discours sur l’art scénique enfin pourvu de ses propres structures. Mohamed Boudia lançait l’idée du « théâtre populaire », syntagme non défini et très ambigu. Un théâtre « populaire » est-il réellement et forcément « révolutionnaire » ? A cette délicate interrogation, on s’abstint de répondre. Le silence était préférable. Les slogans et les discours démagogiques parcouraient le territoire culturel et politique. Les hommes de théâtre réclamaient avec sincérité l’établissement d’un « nouveau théâtre ouvert aux préoccupations du peuple ». Ce discours abstrait et peu pragmatique reflétait la mentalité d’une partie de l’élite intellectuelle de l’époque. Le romantisme caractérisait le discours développé par certaines franges de l’élite intellectuelle s’érigeant à la fois en « peuple » et en éveilleur de consciences. Ces discours tenus sur la pratique théâtrale avaient-ils quelque incidence sur le fonctionnement et l’organisation de l’activité théâtrale en Algérie ? Certes, non, dans la mesure où dans l’immédiat d’après l’indépendance, l’essentiel était tout simplement de monter des spectacles.49

49Ahmed Cheniki et Makhlouf Boukrouh, « Le théâtre en Algérie, état des lieux et propositions de sortie de crise », [en ligne], mis en ligne en Mai 2008. Disponible sur : ˂http://www.alger-

Seulement Ould Abderahmane Kaki allait essayer de puiser du répertoire très riche du patrimoine culturel national, constitué principalement de l’oralité, pour en renforcer les acquis dramatiques universels, tant la présence de la culture européenne était une présence naturelle étant donné que le théâtre demeure caractérisé par le phénomène de l’adaptation. En conséquence, la présence de l’auteur et metteur en scène allemand Brecht et son collègue (et concitoyen) Piscator semble claire et évidente dans les textes de Kaki, en particulier « Guerrab Oua Salihines » (Le porteur d’eau et les marabouts). Si Brecht s’était permis d’adopter partiellement l’analyse des communautés développées par l’intermédiaire de certains animateurs de l’œuvre dramatique, Kaki, durant les toutes premières années de l’indépendance (en 1965), pour les besoins de son œuvre théâtrale citée ci-haut, avait adapté, avec une nouvelle touche brechtienne, la pièce de « La bonne

Ame de Sé-Tchouan » de ce denier, en s’appropriant certains éléments techniques

brechtiens et en conseillant à bon nombre de troupes théâtrales amateurs (festival du théâtre amateur de Mostaganem), qui usaient et puisaient des procédés formels du théâtre épique, de se consacrer sur l’héritage de Brecht. Ce dernier qui allait presque être algérianisé :

Bertolt Brecht prendra la nationalité algérienne sans l’avoir demandée. Son théâtre est privilégié. Sa distanciation est cours obligé pour tout homme de théâtre qui se respecte. Tout le monde se met à lire "L’exception est la règle"."La bonne âme de Set chouan" est jouée par plusieurs théâtres. On fait acte d’allégeance à ce théâtre de combat, ce théâtre-combat.50

Ce théâtre amateur qui fut une forte expérience pour l’art théâtral algérien en général, Ahmed Cheniki le décrit ainsi :

On ne peut évoquer l'expérience du théâtre d'amateurs en Algérie sans citer le festival national du théâtre d’amateurs qui se déroule depuis 1967 dans une ville côtière de l'Oranie (Ouest algérien): Mostaganem. Cette rencontre était, à ses débuts, régionale, elle ne réunissait que les troupes de 1’0uest. Petit à petit, le festival s'est assuré une ouverture nationale et est considéré comme le lieu- phare de rassemblement des groupes d’amateurs. Des dizaines de troupes se sont produites à Mostaganem. Les premières éditions prises en charge par 1a commission culturelle des Scouts Musulmans Algériens (S.M.A) ne dépassèrent pas le caractère régional de 1a manifestation. Une dizaine de troupes présentaient leurs spectacles et regagnaient leur ville d'origine 1e lendemain. Ce n'est qu’en 1970 que le festival de Mostaganem prit une dimension nationale. (...) Ce théâtre qui, selon nous, a connu trois phases (1962-70, 1970-80, 1981- 2000) successives particulières, est surtout un théâtre d'intervention sociale et politique. La présence de nombreux ex-amateurs dans les théâtres d'Etat met en relief la force de cette expérience qui traverse l'art scénique algérien.51

culture.com/readarticle.php?article_id=268˃, consulté le 12 mai 2015 à 19h00.

50Bouziane Benachour, op.cit., p. 25.

Il semble, tout aussi, que l’art de l’écriture dramatique ponctué par des chansons avait marqué particulièrement l’expérience du dramaturge Brecht. Tout comme le principe de la simulation imaginaire (distanciation), très souvent adopté, mais qui n’était pas adéquatement appliqué par un bon nombre d’auteurs. Il est donc nécessaire de s’interroger sur certaines pratiques dramatiques populaires en envisageant ses performances au sein de textes inspirés de la « tradition » rhétorique de la narration parlée ou écrite. À notre humble avis, les auteurs comme Kateb Yacine, Abdelkader Alloula et Ould Abderahmane Kaki, demeurent des dramaturges hors mesure du fait qu’ils avaient pu, d’une façon magnifique, marier entre les formes populaires et le monde dramatique européen : Kateb avait restauré le personnage de Djeha en réinvestissant de nouveaux signes théâtraux, Alloula avait transformé le structure du

Gouwal et d’El-Halka, et Kaki, quant à lui, avait exploré les horizons de la poésie

populaire du Maghreb arabe.

Néanmoins, la relation avec Brecht au sujet de ce répertoire du patrimoine culturel, concerne essentiellement le procédé dont Kaki s’est distingué. En effet, il avait fait appel à de nombreux éléments de la culture populaire tout en mettant dans une structure de parallélisme contradictoire Brecht et Artaud. Nous le verrons plus loin en explorant l’univers de Kaki. Pour l’heure, mettons en lumière quelques questions controversées autour du théâtre algérien.