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PARTIE II : Étude narratologique des deux pièces

Chapitre 1 : Narratologie et structuration du récit dans Le porteur d'eau et les

3. Fréquence et ordre d’apparition des personnages : une lecture actantielle et actorielle

3.1. Dimension actorielle

Pour Anne Ubersfeld, l’acteur « est une unité lexicalisée »162 c’est à dire « un élément animé caractérisé par un fonctionnement identique, au besoin sous divers noms et dans différentes situations »163 dans un récit. Son rôle est de ce fait déterminé par les rôles thématiques et discursifs à lui attribuer par l’écrivain. Il convient donc de s’appesantir sur les « qualifications des êtres que ces actions mettent en cause »164 ; la qualification étant une relation attributive qui donne à une entité une qualité ou un comportement.

Ainsi, nous distinguerons:

161Roland Barthes, « Introduction à l’analyse structurale des récits » in Communications 8, Seuil, Paris, 1966, p.17.

162Anne Ubersfeld, Lire le théâtre, Edition sociale, Paris, 1978, p.79. 163Ibid., p.80.

164Patrick Charaudeau, « Une analyse sémiolinguistique du discours », in Langages n° 117, Larousse, Paris, [en ligne], mis à jour en mars, 1995. Disponible sur :<http://www.patrick-charaudeau.com/Une- analyse-semiolinguistique-du.html> , consulté le 8 Mai 2016 à 7h30.

1- La caractérisation définitionnelle165: l’être est quelque chose

2- La caractérisation descriptive comportementale: l’être est faisant quelque

chose

3- La caractérisation d’appartenance: l’être est ayant quelque chose 4- La caractérisation situative: l’être est étant quelque part

5- La caractérisation descriptive statique: l’être est étant quelque chose

Appliquées aux quatre personnages que nous avons retenus ci-haut, ces caractérisations donnent pour Slimane, les renseignements suivants:

1- Le principal des principaux personnages de l’œuvre. Il est le témoin oculaire des vertueux

2- Il s’était imposé la philosophie du Kaddour à savoir que « pour manger, il faut travailler ; le paresseux n’a pas droit au pain » afin que la famine qui frappait le pays n’ait pas raison de lui

3- Il ne possédait rien, il était un indigent et n’avait pour seul héritage que son eau portée et vendue

4- Sa destinée ne se trouvait nulle part ailleurs qu’à Béni-Dahane aux côtés des vertueux

5- c’est un personnage à la personnalité douteuse peu certaine. C’est quelqu’un qui ne juge qu’à ce qu’il voit même s’il parait respectueux de l’identité des vertueux venus à lui de manière assez drôle.

Ce relevé des rôles discursifs nous permet de noter une dévotion notoire de Slimane pour son commerce et aux trois marabouts vertueux. Cela est matière suffisante à son épanouissement.

D’un autre côté, il s’agit de considérer le faire de Slimane ; pour cela, nous aurons selon Charaudeau:

1- le faire agissant

2- le faire agissant sur quelque chose 3- le faire agissant pour quelqu’un

4- le faire agissant avec/contre quelqu’un/quelque chose.

À un moment du récit, Slimane ne se définit que par et pour les marabouts vertueux d’où le renoncement à ses propres aspirations vérifié dans la grande majorité de l’acte

premier ; tout le deuxième acte et la première moitié du dernier acte: la logique des séquences.

De plus, sa sollicitude quasi existentielle eu égard au confort matériel nous le schématise comme un personnage errant, errant sous prétexte de porter et de vendre de l’eau -. L’aventure intra-scénique qu’entreprend ce personnage en quête d’hospitalité pour les trois marabouts vertueux (Sidi-Boumédiène- Sidi-Abdelkader et Sidi- Abderrahmane), fait de lui, un personnage qui subit. Il subit les affres de la colère de ceux à qui ils vont demander du gite et du couvert. Il subit l’humiliation de certains. Il subit le sarcasme des autres. Il subit la pression spirituelle de ceux dont il est le guide : les trois marabouts vertueux. Il subit le lourd poids des longues journées de marche interrompant son gagne-pain, activité rémunératrice.

Slimane devient le souffre-douleur des autres, l’objet vers lequel ils libèrent leurs pulsions belliqueuses. C’est ce qui explique l’impression d’apathie qu’il suggère au lecteur. Slimane est en somme:

 A1 = porteur et vendeur d’eau.  A2 = souffre – douleur

 A3= Témoin oculaire du passage des anges (trois vertueux) sur la terre.  Pour ce qui est des trois marabouts vertueux

1. La caractérisation définitionnelle : C’est une appellation africaniste au mieux

africanisante des « anges ». Le qualificatif « vertueux » antéposé donne au

substantif « marabouts » toute son objectivité pragmatico-sémantique en sorte que le lecteur fasse une nette distinction entre « marabouts et marabouts vertueux ».

2. La caractérisation descriptive comportementale: Ces vertueux à la manière des anges ont un ordre de mission bien connu : une visite inopinée sur la terre des hommes dont les cris, les lamentations, les gémissements, les pleurs, les misères sont montés vers Dieu et il en a pris pitié. Se rendre donc sur la terre des hommes pour donner des palliatifs à condition de trouver un Homme droit, juste et intègre.

3. La caractérisation d’appartenance : Ils sont nantis de pouvoirs surnaturels leur

permettant d’agir conformément aux instructions du Chef Suprême : Dieu. Ils ont avec eux des conteneurs de bénédiction pour la contrée frappée de disette.

4. La caractérisation situative: Ils viennent du ciel pour la terre. Leur destination est Béni-Dahane dans le pays de Slimane, le porteur et vendeur d’eau. En compagnie de leur guide, ils s’engagent dans des aventures intra-scéniques en quête d’un gite et d’un couvert. Ayant été repoussés par Kaddour et le Servant même, ils trouveront refuge chez une aveugle : Halima.

5. La caractérisation descriptive statique: ils sont les envoyés de Dieu sur la terre. Pour les trois vertueux, il s’établit donc le profil suivant :

 A1 : Ce sont de simples Vertueux habilités à dépenser les richesses divines, mais pas celles des humains !

 A2 : Celui de droite c’est Abdelkader El Ghilani patron de Baghdad

 A3 : Celui qui est de l’autre côté à gauche c’est Sidi-Boumédiène et celui qui est entre les deux c’est Sidi-Abderrahmane

 A4 : Sidi-Abdelkader l’Oriental  A5 : Sidi-Boumédiène l’Occidental

 A6 : Tous trois ont quitté le jardin d’Eden ; ils viennent rendre visite aux humains d’ici-bas.

 En parlant maintenant de Halima, elle apparaît dans ses qualifications comme une personne gentille, ouverte, accueillante, au mieux très hospitalière.

1. La caractérisation définitionnelle: Halima est une aveugle à qui il ne reste que le

strict minimum pour pouvoir survivre avec ses voisins les plus proches

2. La caractérisation descriptive comportementale: le plus souvent, elle s’occupe à

de petites tâches ménagères et passe la majorité de son temps au service du bien et conséquemment de Dieu

3. La caractérisation d’appartenance: Halima n’a rien de plus fameux que Kaddour

ou que le Servant en matière de richesse terrestre ; ce qui la particularise, c’est son esprit de partage : elle en fut fortement bénie, tel est le cas de Halima.

4. La caractérisation situative: Au même titre que tous les autres personnages du

texte, elle vit dans la contrée frappée de disette : Béni-Dahane.

5. La caractérisation descriptive statique: Halima est le personnage aveugle qui voit avec les yeux du cœur que Dieu a bien voulu lui donnés.

Halima est d’une générosité qui laisse sans voix les trois marabouts vertueux. C’est le personnage qui croit en Dieu dans les bons et dans les mauvais moments. C’est celle qui prie pour le bien-être des autres sans se soucier d’elle-même. Il y a dans la symbolique de ce personnage, une impression de dévouement au sacerdoce qui vient rompre la réalité islamiste ; à savoir que l’homme est l’unique acteur-présidant le culte (Imam). Considérons le dialogue suivant :

SIDI-ABDELKADER- Et tu as l’habitude d’invoquer Dieu ? HALIMA- Oui mes seigneurs ; chaque fois que je fais mes prières. SIDI-ABDELKADER- Et que lui demandes-tu ?

HALIMA- Cela dépend. Quand le bébé de Aïcha est malade, je lui demande de lui accorder la

guérison ; je lui demande d’aider Hashmi à trouver du travail, de délivrer la contrée de la disette ; de faire que mon cousin Safi revienne…

SIDI-ABDELKADER- C’est tout ?

HALIMA- Et pourquoi donc voudriez-vous que je l’invoque, mes seigneurs ?

SIDI-ABDERRAHMANE- Je ne sais pas … Par exemple qu’il te donne la richesse, la santé…

qu’il te redonne la vue…

HALIMA- Tout cela, Dieu me l’a donné ; pourquoi voudriez-vous que je le lui demande ? Dieu

m’a accordé sa miséricorde, et sa miséricorde est puissante ; il m’a enrichi de sa miséricorde ; il m’a donné la santé grâce à laquelle je peux m’activer et faire mes prières ; il m’a donné les yeux du cœur, ceux de la raison et de la foi ; c’est suffisant. ((O-A. Kaki, 2003, p.49)

Ce qui est davantage intéressant est la réaction de Dieu eu égard aux demandes de Halima :

SIDI-BOUMÉDIÈNE- Et quand tu invoquais Dieu à propos du bébé, il guérissait ? HALIMA- Plus d’une fois !

SIDI-ABDERRAHMANE- Et Hashmi, a-t-il trouvé du travail ? HALIMA- Oui.

SIDI-ABDELKADER- Et ton cousin, est-il revenu ? HALIMA- Il finira bien par revenir. (Ibid).

Non seulement Halima ne demandait à Dieu jamais pour elle et toujours pour les autres, mais elle avait l’assentiment de Dieu qui exauçait ses prières. Même si elle continuait à attendre patiemment le retour de son cousin Safi.

De ce fait, il apparait donc que Halima est :

 A1 : Celle pour qui, la patience finit toujours par payer et Dieu par répondre  A2 : Celle que Dieu a choisie pour venir en aide à Aouicha et à son mari Hashmi

et aux indigents

 A3 : Celle chez qui quiconque venant lui rendre visite n’a qu’à pousser la porte et entrer

 A4 : La seule dans la contrée qui a répondu « Bienvenue » à « Hospitalité au nom de Dieu » demandée par les trois marabouts vertueux

 A5 : Celle qui se souci des autres sans jamais se soucier d’elle-même. Elle ne considère pas ses yeux comme un handicap, tout au contraire, elle entérine le bon vouloir de Dieu. Et vante le mérite des yeux de son cœur.

 Quant à Safi,

1. La caractérisation définitionnelle: Safi est le cousin germain de Halima. Il a été banni de cette ville il y a dix ans, parce qu’il avait tué quelqu’un. Le jour du jugement, Safi a déclaré avoir agi en état de légitime défense. Mais les proches de la victime sont des gens fortunés, ayant de solides appuis. Ils ont acheté le tribunal et ont même trouvé des faux témoins. L’avocat de Safi a montré que l’arme du crime appartenait à la victime. Comment l’accusé a-t-il pu utiliser

cette arme si la victime ne l’avait pas au préalable brandie ? Le président n’a

rien pu rétorquer ; le procureur a injurié Safi et l’avocat général n’a rien dit. En désespoir de cause, le tribunal l’a condamné au bannissement définitif ; condamné pour le reste de sa vie à ne pas revoir son village. Depuis lors, il n’a plus donné signe de vie et Halima ne sait pas ce qu’il a pu devenir, si même il était encore en vie.

2. La caractérisation descriptive comportementale: De son retour selon qu’avaient

prié les trois vertueux et Halima, Safi se mettra au service du bien aux côtés de sa cousine devenue voyante.

3. La caractérisation d’appartenance: Il est l’homme placé aux côtés de la femme de

bien pour accomplir un engagement, un vœu fait. Le lecteur de la pièce de théâtre de Ould Abderrahmane Kaki serait tenté de croire que le séjour de Safi loin de sa terre natale lui aurait donné de gagner en sagesse.

4. La caractérisation situative : Le thème de l’aventure abordé en sus trouve sa substance dans l’itinéraire de ce personnage. Il est la preuve qu’il y a dans le texte du dramaturge une aventure d’un autre genre : l’aventure forcée. Si tant est que le narrateur de Le porteur d'eau et les marabouts a la fâcheuse habitude d’annoncer le départ des personnages aventuriers sans pour autant nommer leur destination, il reste que Safi banni du village ira vers une destination qui reste cachée au lecteur. C’est la question de son retour dans sa terre natale qui réveille les attentions de son départ.

5. La caractérisation descriptive statique: Il est pour Halima un conseiller pétri d’expériences, parce que sage et doté d’une grande vision de développement pour Béni-Dahane.

On retient donc que :

 A1 : Safi est l’enfant chassé de la terre natale qui finit par y revenir  A2 : Safi est celui qui se fait appelé Fassi

 A3 : Safi est bon conseiller pour Halima

 A4 : Safi est l’homme placé par Dieu aux côtés de la femme pour lui venir en aide

À la fin de la pièce, le narrateur-conteur pose une question essentielle et fondamentale : «Le Fassi qui n'est pas de Fès. Le cousin de Halima l'aveugle s'appelle

en réalité Safi. Le Pur car il est juste et bon. Et ni le caïd ni le mufti ni le cadi n'y verront d'objection. Où est le bien véritable celui qu'a fait Halima, ou celui qu'a commencé à faire Safi?» (Ibid, p.81).

De fait, à la fin de cette considération actorielle des personnages-actants de cette pièce de Kaki, il convient de souligner qu’elle nous a permis aussi de voir la position de ces acteurs dans la grande syntagmatique166 du récit d’où la prochaine articulation de

notre analyse des personnages selon la dimension actantielle.