• Aucun résultat trouvé

PARTIE II : Étude narratologique des deux pièces

S Les marabouts

vertueux/Sliman e A La puissance de Dieu Halima Safi O Le servant Cadi Mufti Hashmi Aouicha Kaddour

Parlant de temps verbal, Louis-Martin Onguéné Essono de la Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines Université de Yaoundé 1, Cameroun, observe que « pour les uns, le temps marque le moment de l’état ou de l’action, pour les autres, il établit entre les actions ou les états, des rapports de simultanéité, d’antériorité ou de postérité (sic), pour d’autres encore, le temps est une époque unique, « intemporelle » en quelque sorte »172.

Il est une lapalissade : quand on parle de temps de manière globale, l’on perçoit, sur le plan mémoriel, les trois tiroirs temporels ci-après: le passé, le présent et le futur. Pour Grevisse (1975 : 613), le temps désigne les formes que prend le verbe pour indiquer à quel moment de la durée on situe le fait dont il s’agit. Ce qui est important dans cette citation, c’est l’aptitude du verbe - expression du procès - à se situer dans un temps ou dans un moment précis. Cela ne relève pas du hasard. Car, dans un récit, les mouvements se suivent et chaque mouvement qui s’inscrit dans un moment chronologique quelconque donne, à sa manière, un sens et une signification au récit.

Pour étudier la notion de temps tel que définit en sus dans notre corpus, nous comptons ressasser tous les modes en présence dans la pièce de théâtre à partir de leurs différents temps verbaux. Concernant les modes, quatre (04) figurent dans le texte de Ould Abderrahmane Kaki à savoir :

 l’impératif  l’indicatif  le conditionnel  le subjonctif

À ces quatre modes qui déclinent chacun une valeur précise, s’ajoute la valeur gnomique ou de vérité générale dévolue au présent.

L’impératif est généralement perçu comme l’expression de l’ordre, de l’exhortation, de l’invite, du conseil, etc. Du latin « modus imperativus », le mode impératif se retrouve dans le premier acte du texte où le personnage principal de Kaki, à travers la réplique virile qu’il adresse au Derviche, sollicite de celui-ci une révision de sa position et un discours autre, plus mélioratif sur les porteurs d’eau. Cette invite est prise en charge par les syntagmes Dis à ces gens (2 fois) p.04. Ces occurrences représentent en fait soit des suppliques fortes que Slimane intime afin d’amener celui à qui il s’adresse à

172Onguéné Essono, L.-M, « Construction verbale et transitivité en ewondo : analyse de la complémentation verbale à deux objets », in Annales de la Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines. Université de Yaoundé 1, Vol. 1, 6, 2007, p.189-206.

adhérer à la thèse de l’utilité de ce métier qui n’est pour autant pas sot, soit une expression servant à relancer le récit en introduisant un dialogue avec le narrataire auquel il s’adresse.

L’indicatif est le mode par excellence de la réalité. A travers lui, le procès est situé dans un temps chronologique précis. C’est le mode du réel.

Le conditionnel que certaines grammaires modernes considèrent comme le futur du passé est le mode du souhait, de la volition.

Le subjonctif, quant à lui, apparaît comme le mode de l’irréel, de la virtualité. Le procès ici est situé sur un plan intentionnel.

Pour ce qui est des temps verbaux, il nous semble judicieux de nous appuyer sur cette dichotomie séduisante entre monde raconté et monde commenté proposé par Weinrich que nous reprenons (2006 :199). Nous avons ici une distribution en deux listes des principaux temps du français : les commentatifs (passé composé, présent, futur) et les narratifs (plus-que-parfait, passé antérieur, imparfait, passé simple, conditionnel).

Examinons maintenant de près l’usage que Kaki en fait dans son texte théâtral.

Modes Temps Verbaux Indices Textuels

IMPÉRATIF Impératif présent Dis à ces gens p.04

Va faire un pèlerinage au mausolée de Sidi Hasni p.05 trouve-nous un homme de bien p.20 INDICATIF (TEMPS SIMPLES)

Présent de l’indicatif Il n’est point d’homme sans veulerie p.04 Imparfait de l’indicatif J’étais au centre de la

marche p.10 Futur simple de

l’indicatif

Le gardien les laissera-t- il sortir ? p.09

Passé simple de l’indicatif

…ce qu’il arriva p.23 Passé composé de Qu’ont dit ces gens p.03

INDICATIF (TEMPS COMPOSÉS) l’indicatif Plus-que-parfait de l’indicatif ..que le patriarche Abraham lui était apparu en songe et lui avait enjoint de sacrifier le bouc le jour de l’Aïd El Kébir…p.11

Futur antérieur de l’indicatif

Et quand vous serez partis ils me feront payer la chose p.26

CONDITIONNEL

Conditionnel présent On jurerait des capitans p.04

Conditionnel passé première forme

Vous n’auriez pas dû prendre cette peine p.19

SUBJONCTIF Subjonctif présent …jusqu’à ce qu’elle

durcisse, Slimane ! p.11

Tableau 2 : L’usage des temps verbaux

Par ailleurs, au-delà des temps linguistiques en présence dans le corpus, il s’y trouve un temps mythique qui influence de manière significative le déroulement du récit, sa fréquence, sa durée. Ce temps qui est en fait une donnée hétérogène. Cette conception pluridimensionnelle du temps nous fait distinguer en réalité deux temps dans Le porteur

d'eau et les marabouts de Kaki: le temps sacré et le temps profane. Sanja Boskovic 173

fait ce commentaire de cette dualité temporelle : « Si le temps profane se fixe dans une chronologie des événements, le temps sacré, mythique, associe éternité et synchronicité »174. On peut donc dire que c’est un temps primordial, un temps originel ou encore, pour paraphraser l’historien des religions Mircea Eliade, un temps qui jaillit tout d’un coup parce que n’étant précédé d’aucun autre temps. A cet effet, ce dernier le définit comme « une suite indéfiniment récupérable, indéfiniment repérable. D’un certain point de vue, on pourrait dire de lui qu’il ne « coule » pas, qu’il ne constitue pas

173Lectrice de serbo-croate à l’Université de Poitiers où elle a soutenu en 2002 sa thèse de doctorat en littérature comparée sur « La poétique du mythe dans la littérature contemporaine ».

174Sanja Boskovic, « Le temps et l’espace de la conscience mythique à la conscience phénoménologique »,in Les Cahiers du MIMMOC [en ligne], 2 | 2006, mis en ligne le 10 Septembre 2006. Disponible sur :< : http://mimmoc.revues.org/204>, consulté le 09 Mai 2016 à 15h40.

une « durée » réversible. C’est un temps ontologique par excellence, « parmédien » : toujours égal à lui-même, il ne change ni ne s’épuise ».175

La question qui se pose est donc de savoir ce qui est temps profane et ce qui est temps sacré dans Le porteur d'eau et les marabouts de Ould Abderrahmane Kaki. Inutile de rappeler que cette pièce associe récit coranique et récit fictif. Cette association donne l’apparence d’aboutir aux constats suivants :

 Le temps profane est le temps des yeux de la chair. Il correspond au temps des hommes qui demandent à Dieu (Derviche, Le Servant) de les sortir de la misère sans exaucement. C’est ce temps qui motive le départ (aventure) de certains personnages vers l’ailleurs en quête de ce que leur chair n’a pu obtenir à Béni- Dahane. C’est le temps des efforts personnels des uns et des autres (Slimane, Kaddour, Cadi, Mufti) pour se sortir de la disette. Le temps profane dans Le

porteur d'eau et les marabouts de Kaki n’est pas en adéquation avec le temps

sacré. Le temps profane matérialise les échecs dans toutes les tentatives entreprises par les personnages pour se tirer d’affaire. Par contre,

 Le temps sacré est le temps des yeux de l’esprit (du cœur). Il correspond au temps de l’accomplissement des prodiges dans la vie de Halima et conséquemment dans celle des habitants de toute la contrée. Il apparait donc que Dieu dans son bon vouloir par le biais de ses anges (Marabouts vertueux) avaient prévu pour Béni-Dahane, un temps sacré pour l’accomplissement des miracles. Dans Le porteur d'eau et les marabouts de Kaki, le temps sacré l’emporte sur le temps profane : on comprend pourquoi le dénouement de la pièce est on ne peut plus heureux.

In fine, notre ambition majeure aura été tout au long de ce travail scientifique de prendre appui sur la narratologie telle que pensée par Gérard Genette pour entrer dans l’édifice théâtral bâti par l’auteur de Le porteur d'eau et les marabouts. Cette approche ne se veut pas résolument thématique, idéologique ou symbolique. Elle prend appui sur la langue de l’écrivain pour proposer une interprétation de ses idées, de son système narratif.

Sans prétendre à l’exhaustivité, nous ne pensons pas, avoir exploré toutes les pistes narratologiques d’entrée à cette forteresse théâtrale. Moins encore d’avoir fait le tour de toutes les questions, encore moins de tous les arcanes de la forme et du fond de cette

pièce Le porteur d'eau et les marabouts de Ould Abderrahmane Kaki. Tout n’y est pas d’accès facile : le texte étant polysémique. Il dégage une multitude de sens ; le style est d’une richesse telle qu’il faudrait plusieurs livres pour en épuiser les procédés. La pensée est plurielle ; elle est traduite par une expression figurée, mais qui n’est pas moins directe par ci, implicite par là. La forte prégnance du culturel coranique et algérien qui a rapport lié avec les universaux de réalité du dramaturge donne l’impression d’être en présence d’un théâtre-poème réputé hermétique.

Ces diverses étapes meublent un ouvrage difficile à classer dans un genre littéraire classique mais qui n’apparaît pas moins comme sous-tendu par les traits caractéristiques d’un théâtre-récit ayant la facture d’un roman-poème marqué par des épanchements lyriques.

La narratologie, ce logiciel d’analyse dont nous nous sommes servis s’est déployée tout au long de cette étude à démontrer combien il est essentiel de dépasser les notions de narrateur et de médiation (mediacy) pour qualifier le discours narratif propre à la performance théâtrale, surtout quand celle-ci n’est pas ou plus spécifiquement soutenue par le langage et le texte dramatique. Nous nous sommes attelés à chercher dans la structure narrative de cette emblématique pièce de Kaki, les contraintes logiques régissant l’agencement des événements narrés pour aboutir à la préoccupation de l’écrivain.

Chapitre 2 : Narratologie et structuration du récit dans Barabbas de Michel de