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PARTIE II : Étude narratologique des deux pièces

Chapitre 2 : Narratologie et structuration du récit dans Barabbas de Michel de Ghelderode

4. La logique des séquences 1 Identification des séquences

4.1.1. Première séquence : les paratextes critique, auctorial et éditorial

Les paratextes sont des constituants introductifs qui permettent, avant même la lecture d’une œuvre, d’élaborer des hypothèses de sens, de donner une idée sur la façon de vivre des héros. Il est intéressant d’examiner cette façon d’introduire une histoire parce que ces paratextes accumulent un certain nombre d’indices, d’opérateurs qui agissent sur le lecteur. Il s’agit précisément du caractère d’imprimerie dans lequel est présenté le titre de l'œuvre, de l’illustration, des couleurs, du résumé de l’éditeur. Nous avons donc pour virtualité: inciter le lecteur à lire Barabbas.

Ouverture d’un processus : le flou artistique : Cette fonction est réalisée par

les paratextes auctorial et éditorial.Le paratexte auctorial

comprend tout ce qui appartient à l’auteur: son nom ou pseudonyme qu’il adopte, le titre de l’œuvre et éventuellement le sous- titre, les inter-titres, la table des matières, la ou les préfaces, avertissements, avant-propos, les procédés typographiques, la liste des personnages, les indications de l’auteur dans un texte théâtral 192

Le paratexte éditorial quant à lui échappe à l’auteur d’une œuvre.

Il relève de la politique éditorial d’une collection ou d’une maison d’édition. Il comprend les photos, dessins, illustrations de couverture. En sus de manifester le texte qu’il présente, il se

190Ibid.

191Claude Brémond, op. cit.

192Définition de M. Mbatsogo Zacharie, dans un article intitulé « La lecture suivie en approche communicative » in L’Ecole francophone d’été: dossier II: didactique du français, session 1993, p. 24-40.

préoccupe ainsi d’en adapter l’image aux faits d’une époque ou d’un public donné. Il apparaît comme une mise au présent de l’œuvre193

Dans Barabbas de Michel de Ghelderode outre le titre de l’œuvre présenté en gros caractères gras, l’incitation est marquée par l’esquisse d’une effigie en plan mi- rapproché, vue de profil et occupant les 2/5 de la première de couverture. Son expression n’est pas clairement identifiable, mais elle semble accablée comme résignée, ou plutôt abattue. Ce flou artistique va s’intensifiant lorsque nous combinons cette image au titre fort évocateur et dirions-nous provocateur. Evocateur du fait du talent incontesté du dramaturge et provocateur du fait de la forte référence à une histoire connue qui est aussi vieille que l’est le monde (La Bible) : Barabbas.

Déroulement d’un processus : la mutation difficile : L’illustration de

couverture de Barabbas est bi-chrome : les couleurs sombres et le blanc constituent les principales couleurs; nous pouvons même extrapoler en parlant de l’obscurité à la lumière, de l’obscurantisme à la connaissance; seulement; cette obscurité occupe la quasi totalité de l’espace alloué à l’image: est-ce montrer la difficulté d’effectuer une mutation? D’entreprendre une révolution?

Dans ce cas, cette omniprésence de l’univers carcéral qui plante le décor de la pièce renverrait au difficile sacrifice qui subsume l’acte de renoncer; renoncer à un système de valeurs, renoncer à un style de vie, à l’obscurité. Ce qui est sûr est que ce titre ne laisse pas le lecteur indifférent; il s’agit de procéder à une identification au sens judiciaire du terme, c’est à dire définir sa nature, déterminer sa fonction, en somme, établir sa carte d’identité.

Ces paratextes auctorial et éditorial sont donc un modèle réduit de l’œuvre, à fonction incitative, ouvrant la voie du vaste champ de l’action globale de la pièce de théâtre.

Clôture d’un processus : le renoncement à un genre de vie : Selon Mbatzogo

Zacharie,

Le paratexte critique est constitué de notes, préface, lexique, vie et œuvre de l’auteur, analyse et commentaire par exemple à la quatrième de couverture. Il oriente nécessairement la première approche de l’œuvre et peut de ce fait intervenir comme générateur d’attentes de lecture194.

193Ibid. 194Ibid.

Dans la pièce de théâtre, le paratexte critique nous renseigne sur la trame de la symbolique du titre et du contenu de l’œuvre ; phénomène à la fois d’injustice, d’insurrection, et condamnation et de mort. On comprend vite pourquoi au début du drame, Barabbas, espèce de grand fauve, est enfermé dans une cage de fer en compagnie de deux malfaiteurs dont la médiocrité et la résignation lui inspirent le plus vif mépris. Il est très sûr de lui : «Je mourrai sans me rendre, dans toute la force de ma haine, en

blasphémant, et comme je vécus, au-dessus des lois.» (M. De Ghelderode, 1984, p.36)

Pendant sa «chanson du crime », il aperçoit dans la pénombre de la cage « une proie» étendue sur le sol, mais lorsqu'il veut s'en saisir, il est arrêté par un cri "navrant" qui le bouleverse jusqu'à la moelle. Jésus se dresse, « lentement, mystérieusement ». Barabbas lève le poing, mais se trouve incapable de frapper. «Cet homme n'est pas comme nous », opine le mauvais larron, et Barabbas, partage ce sentiment : « il a la forme d'un homme,

l'agonie d'un homme, mais quelle est cette lumière qui l'environne, quelle est cette aurore dans nos ténèbres mortelles ? » (Ibid).

Barabbas s'approche de Jésus, qui prie, immobile, «statue de la Douleur» :

Nous n'avons rien pu changer à tout ce que nous trouvions néfaste, révoltant et détestable Et, après notre vaine mort, la Justice ne sera pas encore rendue, et le mensonge régnera non moins souverainement comme il règne depuis qu'il existe des humains. Voilà ce qui désespère cet homme, et voilà ce qui me désespère aussi. [...] Bientôt, plus rien ne restera de ce que nous sommes. I1 n'y a plus qu'à attendre et à se laisser faire, comme lui-même se laisse faire. (Ibid, p.58).

On ne reconnaît plus le fauve fanfaronnant du début. Jésus, sans prononcer un mot, l'a complètement transformé.

Un peu plus loin, Pilate (Ponce) propose à la foule de choisir entre Jésus et Barabbas. Travaillée par les prêtres, la masse se met à scander le nom du bandit. Pendant qu'on emmène le Christ, Barabbas, comprenant de moins en moins ce qui se passe, fait tout ce que les prêtres lui demandent, pleure, grimace, se montre repenti. Les soldats ramènent le Christ, couronné d'épines, mais la foule ne change pas d'avis et le bandit, à son grand étonnement, est remis en liberté. A la demande de Caïphe, il prononce un petit discours, qui se termine par les mots: « Je rends grâces à l'Eternel qui créa le monde, le ciel, les

étoiles, le soleil, le peuple d'Israël et ses juges intègres» (Ibid, p.105).

Mais sitôt qu'il est seul - c'est un des moments culminants du drame -, sa physionomie change complètement. Après avoir supplié "l'Eternel" de l'aider à haïr ceux qui ont essayé de le rendre complice de l'injustice, il s'en va prêcher la révolte.

Le dernier acte se passe dans les bas-fonds de Jérusalem, au pied du Calvaire où Jésus agonise sur la croix. L'univers oppressé attend la mort du Christ. Sentant qu'il est suivi, mais décidé à venger son "camarade", Barabbas détruit la baraque foraine où un barnum et un pitre parodient l'agonie du Christ. A Hérode, il confie sa tristesse que le Christ n'ait pas vu la main qu'il lui tendait195.

Au moment même où Christ rend l'âme, il s'amène à la tête d'une bande de "gueux", qu'il excite à la violence. Madeleine avertit Barabbas qu'on le recherche, mais il est trop tard: le pitre lui enfonce un poignard dans le dos. Le bandit tombe sur les genoux. Et il meurt, en regardant vers le Calvaire. La pièce se présente sous forme de tableaux, elle est composée de trois actes.

Le paratexte critique souligne en sus de cette hypothèse un autre conflit latent: la discordance de points de vue entre le créateur et ses créatures. En définitive, l’examen de ces paratextes nous permet d’entrevoir plusieurs pistes de lecture qui nous permettrons de cheminer crescendo vers la saisie du sens global de la pièce de théâtre. Il s’agira pour nous d’explorer pour comprendre et faire comprendre, par la lecture et à l’aide des instruments de la narratologie, les structures narratives en présence dans Barabbas de Michel Ghelderode.