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1. CAS DE MARIE

1.13. Témoignage des stagiaires

Deux étudiantes, Sylvie et Rachel, ont été rencontrées à la fin de leur stage. Leurs témoignages ont servi à exposer des modalités d’enseignement et des interventions pédagogiques à caractère novateur ou non mis en évidence lors de l’analyse de l’entretien de Marie. Les situations qu’elles relatent ne correspondent pas nécessairement avec les événements rapportés par Marie.

Les étudiantes ont plutôt paru préoccupées par l’apprentissage du processus de travail de l’inhalothérapeute. Néanmoins, nous avons tout de même considéré les informations fournies, car les modalités d’enseignement et les interventions pédagogiques mises en évidence au cours de l’apprentissage des événements relatés contribuent aussi au développement du raisonnement clinique qui s’effectue conjointement avec le développement professionnel (Boshuizen, 2008).

1.13.1. Modalités d’enseignement

L’ensemble des modalités mises en évidence par le témoignage de Marie, c’est-à-dire le modèle de rôle, la supervision et la modalité mixte, a été corroboré par les deux stagiaires interviewées.

1.13.2. Interventions pédagogiques

Certaines interventions pédagogiques ont été particulièrement soulignées, plus que ne l’a fait Marie au cours de l’entretien. Ainsi les interventions pouvant être associées à l’articulation des connaissances, à la réflexion sur l’action, à l’anticipation et au problème provoqué ont fait l’objet d’une plus grande attention.

1.13.2.1. Articulation des connaissances. Marie fait appel à des outils pédagogiques

qu’elle a elle-même bâtis afin d’aider au rappel des connaissances chez les étudiantes et les étudiants. Nous faisons part spécialement de quatre outils mentionnés par les deux stagiaires, mais qui n’ont pas été mis en évidence lors de l’entretien avec Marie. Premièrement, au centre hospitalier où Marie est chargée d’enseignement clinique, les stagiaires ne peuvent préparer la médication qu’à la condition qu’elles réussissent un examen qui a lieu à la troisième semaine de stage. Les stagiaires n’ont droit qu’à trois erreurs lors d’une évaluation. Si plus de trois erreurs se produisent, l’évaluation est reportée d’une semaine et cela, jusqu’à ce qu’elle soit réussie. La manipulation des médicaments fait partie du processus de travail de l’inhalothérapeute. Voici comment Rachel décrit cela :

la première semaine, on ne touchait pas aux médicaments. Il a fallu faire un petit test pour savoir ma concentration de médicament à la troisième semaine. Moi et Sylvie, la première fois que nous l'avons fait, il nous manquait… une bonne réponse pour pouvoir toucher aux médicaments, fait que ça été à l’autre semaine avant qu’on puisse (S2C1. 692-696).

Un deuxième outil consiste en un recueil de bandes de rythmes cardiaques que les étudiantes consultent et doivent identifier. Cela afin de permettre aux étudiantes une meilleure reconnaissance des problèmes de rythme pouvant survenir au cours d’une chirurgie. L’analyse juste de l’électrocardiogramme est une compétence essentielle de la pratique en inhalothérapie. Cette information fait partie de la collecte de données et est nécessaire à l’évaluation de l’état du patient. Voici ce que mentionne Rachel à ce sujet :

Elle nous amenait des bandes d’ECG, elle nous faisait réviser ça. Puis aussitôt qu’elle en voyait sur les écrans, elle le faisait imprimer, puis on essayait… oui. Elle le faisait imprimer, puis on essayait de voir c’était quoi. (S2C1. 398-400)

Un troisième outil prend la forme d’un questionnaire se rapportant à des cas faisant appel à des connaissances déjà enseignées en contexte de classe ou de

laboratoire. Sylvie en fait part : « C’était une technique qu’elle avait aussi, elle avait beaucoup de petits questionnaires, puis… […] C’était très bon » (S1C1. 804-807).

Enfin, le quatrième outil se traduit par des simulations avec montages dont le but est de réviser ou d’exercer l’anticipation de situations problèmes. Marie sollicite alors les étudiantes afin qu’elles suggèrent des solutions. De plus, ces simulations servent à la réflexion sur l’action en revoyant une situation vécue par les étudiantes. Rachel indique bien que Marie révise des notions de base avec les étudiantes en utilisant la simulation. L’extrait suivant montre comment Marie procède. À noter que l’anticipation est aussi visée par cette intervention.

Souvent dans le fond, la journée qu’elle était libérée, elle prenait une salle qui était libre, elle faisait des montages, elle venait nous chercher puis on faisait une révision, elle nous posait des questions admettons sur le Swan- Ganz21 […] qu’est-ce qui fait que tu es au bon endroit puis avec ça bien tes chiffres… les doubles capteurs, bien apprendre à jouer avec le robinet, puis elle te faisait des by-pass là, elle disait si mettons ton robinet est cassé là, si tu mets une tubulure là, pour faire un by-pass, ça fonctionne-tu? Beaucoup de raisonnement comme ça là, tu sais admettons que tu es mal prise, puis que c’est cassé, qu’est-ce que tu fais toi? Puis… oui, vraiment là, elle touchait à tout là, la rachis, l’épi, elle avait des leçons sur ça, elle nous reposait des questions puis on avait des cas, la médication… oui. Elle touchait à tout je pense là. (S2C1.401-412)

1.13.2.2. Réflexion sur l’action. À l’occasion, Marie a une façon originale de

procurer une rétroaction. Elle l’enregistre sur son appareil téléphonique cellulaire. Marie a utilisé cette méthode lorsque les étudiantes travaillaient avec d’autres inhalothérapeutes. Elle observe alors les étudiantes par la fenêtre de la salle de brossage et enregistre ses commentaires. L’étudiante prend connaissance de ces commentaires dans un délai rapproché. Cette pratique a été soulevée par Rachel qui semble avoir apprécié :

Elle nous le faisait les deux, souvent elle venait dans la chambre de brossage là, pour nous voir à travers la vitre, puis là elle se mettait elle-même là sur

21 Un Swan-Ganz est le nom d’un cathéter inséré dans l’artère pulmonaire afin de recueillir

des données informant sur la condition cardiaque (débit, contractilité) et sur les échanges gazeux au niveau pulmonaire et tissulaire (capacité de transport en oxygène, capacité d’extraction de l’oxygène).

son cellulaire là, elle nous faisait un petit message, bonjour Rachel, bon on va mettre aujourd’hui que… elle s’enregistrait elle-même, puis par après elle nous le faisait écouter, puis j’adorais ça là, franchement, parce que… tu sais, tu venais juste de faire ton cas, puis là elle te disait, ça ça bien été, ça, c’était l’fun de le faire la façon (inaudible) là, on dirait que c’est… tu sais c’est motivant là. Moi j’aimais ça. Franchement là, c’était nouveau, puis… c’était la seule qui fait ça, puis j’ai vraiment aimé ça. Super original. (S2C1. 220-227)

Sylvie et Rachel ont aussi souligné que Marie s’assure de la compréhension des explications de l’anesthésiologiste lorsqu’il s’adresse à elles. Ainsi, Sylvie rapporte que Marie emploie un « langage inhalothérapeute » (S1C1.914).

1.13.2.3. Anticipation. L’anticipation fait partie du processus de résolution de

problème et se distingue de la planification par son but qui est principalement la prévention des complications ou des problèmes en imaginant la suite probable des événements (Mishoe, 2003). Sylvie et Rachel rapportent que Marie les exerce à l’anticipation en utilisant, entre autres, la simulation. Ainsi Rachel relate que Marie prend le temps d’effectuer certains montages nécessaires à un monitorage complexe, en l’occurrence le montage du cathéter de Swan-Ganz, afin de les mettre en situations problèmes. Marie leur pose alors des questions qui visent à les préparer à faire face à ces situations.

À d’autres occasions, Sylvie souligne que Marie, toujours en posant des questions, l’aide à prévoir certaines complications pouvant survenir. Ici Marie était concernée par les complications associées aux patients souffrant d’apnée du sommeil, un problème qui se présente régulièrement en pratique.

Bien elle m’a demandé, pendant que je préparais mes choses, elle m’a demandé… tu sais ce patient-là, il faisait de l’apnée, c’est quoi au juste l’apnée, pourrais-tu m’en parler un petit peu? Qu’est-ce que tu sais sur l’apnée, y en a-t-il différentes sortes, c’est causé par quoi? Puis… vraiment elle venait nous chercher puis nous poser des questions, puis qu’est-ce que ça peut entraîner dans une opération, faire de l’apnée chez un patient, puis… à quoi faut faire attention dans ces situations-là. (S1C1.300-305)

1.13.2.4. Intervention non répertoriée dans la littérature. Le problème provoqué a

aussi été mis en évidence par les stagiaires. Voici quelques situations où Marie a soit laissé s’installer, soit induit le problème.

Sans provoquer sciemment la situation, Marie a laissé s’installer un incident lorsque Sylvie n’a pas procédé correctement à un prélèvement sanguin. Selon le témoignage de Sylvie, Marie « avait prévu ce coup-là » (S1C1.527). En effet, pendant la procédure, Marie a installé une serviette sous le bras du patient, car elle avait anticipé une fuite de sang engendrée par une erreur de manipulation de la part de Sylvie. Sylvie a été surprise par l’événement et c’est Marie qui est intervenue pour corriger la situation. Voici comment Sylvie rapporte cet incident :

Oui je l’ai vu faire, puis elle m’en a reparlé après pour vraiment me confirmer que c’est ça qui est arrivé, elle avait prévu le coup alors elle est allée chercher une serviette et elle l’a placée en dessous de la canule […] pendant que je faisais mon prélèvement, alors quand je suis venue pour enlever la seringue, évidemment le sang a coulé puis il est revenu rapidement, fait qu’elle a placé tout de suite la serviette, et puis…j’ai comme eu un petit…un petit bog vu que j’ai été surprise […] J’ai… il a fallu que ce soit elle qui aille fermer le robinet. (S1C1.532-541)

Le retrait volontaire du saturomètre22 a aussi été relaté par les deux stagiaires. Lors de ces situations, Marie retire volontairement l’appareil du doigt du patient et prend en note le temps de réaction des stagiaires, c’est-à-dire le temps que prennent les stagiaires avant de s’apercevoir qu’il n’y a plus de lecture de saturation au moniteur de signes vitaux du patient. Cela se produit avec la complicité des anesthésiologistes, comme le relate Sylvie :

Ce qu’elle faisait, c’est que… en milieu de stage à peu près,… pendant la chirurgie, tout était normal, et Marie avait retiré le saturomètre du doigt du patient, puis elle voulait évaluer, là elle partait son chronomètre sur l’ordinateur sur le moniteur, puis là elle voulait voir combien de temps ça nous prenait avant de dire, je n’ai plus de pouls, fait que là… au début du

22 Un saturomètre est un appareil qui permet de mesurer la saturation en oxygène du sang artériel. Il

stage, ça prenait 2-3 min avant qu’on s’en rende compte, puis là les anesthésistes embarquaient dans le jeu, ils disaient aie mon Dieu, c’est silencieux dans cette salle-là, il n’y a pas de bruits ici hein, puis là ils attendaient toujours qu’on dise aie, je n’ai pas de pouls voyons donc! (S1C1.1028-1035)

Rachel mentionne aussi qu’au moment de la vérification initiale de la machine d’anesthésie, Marie crée occasionnellement une fuite à l’insu de l’étudiante. Le test de vérification indique alors la présence d’une fuite. L’étudiante doit repérer le test et corriger la situation avant que ne débute la journée. Voici comment Marie procède selon ce que rapporte Rachel :

Mais le matin, quand nous on arrivait, elle arrangeait déjà ça sur la machine puis nous on ne le savait pas là. On arrivait puis on pensait que la table ne marchait pas comme il faut parce que nos tests ne passaient pas, fait qu’elle nous forçait vraiment là à… on faisait tous nos tests puis là ça ne marchait pas, fait que là on cherchait partout sur notre machine puis elle en a fait au moins… à deux matins différents là, dans le fond c’était elle qui les causait là. (S2C1.66-71)