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1. RAISONNEMENT CLINIQUE: DÉFINITIONS ET MODÈLES

1.1. Définitions

Barrows et Tamblyn (1980), du domaine de la médecine, ont défini le raisonnement clinique comme étant le processus cognitif nécessaire à évaluer et à gérer un problème médical chez une personne malade. Ils ont comparé ce processus au processus hypothéticodéductif employé par les scientifiques à l’exception que ce processus s’applique spécifiquement au contexte médical. Ils ajoutent que c’est la méthode scientifique propre à la médecine. Aussi, ces auteurs constatent que c’est l’expression résolution de problème qui est le plus souvent employée afin de décrire le processus du raisonnement clinique. Leur définition ne se restreint pas uniquement au domaine de la médecine ce qui fait qu’elle pourrait s’appliquer aux autres domaines tels que celui de l’inhalothérapie. Mais parce qu’elle ne met pas en évidence l’importance de la prise de décision ainsi que celle de la participation du malade, qui comme nous le verrons, occupent une place considérable dans le

processus de raisonnement clinique, cette définition est devenue moins adaptée au contexte contemporain du milieu de la santé.

Pour leur part, toujours dans le domaine de la médecine, Nendaz et al. (2005) conçoivent le raisonnement clinique comme l’ensemble des « …processus de pensée et de prise de décision qui permettent au clinicien de prendre les actions les plus appropriées dans un contexte spécifique de résolution de problème de santé » (p. 236). Ils ajoutent que le raisonnement clinique est souvent désigné sous l’expression « résolution de problème », ce qui avait été énoncé auparavant par Barrows et Tamblyn (1980). Cette définition n’est pas orientée vers la formulation d’un diagnostic médical, ce qui pourrait convenir au domaine de l’inhalothérapie. Toutefois, certaines précisions quant aux buts du raisonnement clinique de l’inhalothérapeute sont nécessaires afin de le distinguer d’une intention de diagnostic qui est propre à la pratique de la médecine.

Carr (2004), des sciences infirmières, définit le raisonnement clinique comme l’application des connaissances et de l’expérience au développement d’une solution pour une situation clinique donnée. Même si la définition de Carr (2004) n’énonce pas de façon explicite que le raisonnement clinique est un processus de résolution de problème, le fait qu’elle soulève la présence du développement d’une solution sous- entend la présence d’un problème, et de ce fait, que le raisonnement clinique puisse être considéré comme un processus de résolution de problème. Toujours dans le domaine des soins infirmiers, selon Fonteyn et Ritter (2008), le raisonnement clinique peut être abordé selon trois axes : la résolution de problème, la prise de décision et l’intuition. Pour ces auteures, la résolution de problème constitue un des processus ou stratégies employés afin de faire des choix judicieux qui touchent la condition des malades. Elles expliquent que le raisonnement clinique est la somme des processus cognitifs et des stratégies utilisées par les infirmières et les infirmiers afin de comprendre la signification des données, d’identifier et de diagnostiquer les problèmes actuels ou potentiels, de prendre des décisions et d’aider à la résolution de problèmes afin d’optimiser le suivi du patient. Ce qui pourrait correspondre aussi aux

processus de raisonnement utilisés par l’inhalothérapeute. Mais, une définition qui désigne plus clairement les processus impliqués et qui énonce de façon explicite les buts de la démarche aiderait à circonscrire les processus ainsi que les actions qui doivent être posées afin de résoudre les problèmes propres au champ de pratique de l’inhalothérapeute.

Dans leur ouvrage portant sur la prise de décision lors de situations problèmes et de raisonnement clinique chez les professions de la santé, Higgs et Jones (2008) définissent le raisonnement clinique comme étant un ensemble de processus de pensée et de prise de décision associés à la pratique d’une profession de la santé. Il s’agit d’une composante critique et centrale qui confère l’autonomie au professionnel et qui lui permet de prendre les meilleures décisions en tenant compte d’un contexte spécifique. Ils précisent que la prise de décision a lieu à plusieurs niveaux, ou moments, au cours du processus de raisonnement.

Voici, traduite, la définition qu’en fait Bourget (2013) :

Le raisonnement clinique est un processus cognitif qui guide les actions professionnelles. Il implique une construction narrative de l’histoire médicale du patient. Ce processus cognitif est lié au contexte de la pratique professionnelle, c’est-à-dire qu’il est délimité par le cadre de référence du praticien, le milieu de soins de même que le contexte du patient. De plus, le raisonnement clinique implique la mise en commun de diverses connaissances reliées à un domaine d’expertise. Finalement, il nécessite l’activation d’habiletés cognitives ainsi que d’habiletés métacognitives.3 (p. 64)

Comme ces auteurs le mentionnent, le raisonnement clinique est un processus de résolution de problème de santé, fortement dépendant du contexte où il est

3 Définition originale: « Clinical reasoning (or practice decision making) is a context-dependant way of

thinking and decision making in professional practice to guide practice action. It involves the construction of narratives to make sense of the multiple factors and interests pertaining to the current reasoning task. It occurs within a set of problem spaces inform by the practitioner’s unique frames of reference, workplace context and practice models, as well as the patient’s or client’s contexts. It utilises core dimension of practice knowledge, reasoning and metacognition and draws on these capacities in others. Decision making within clinical reasoning occurs at micro, macro and meta levels and may be individually or collaboratively conducted. It involves metaskills of critical conversations, knowledge generation, practice model authenticity and reflexivity. » (Higgs et Jones, 2008, p.4)

appliqué, relié à la prise de décision et qui tient compte des perceptions et du contexte dans lequel évolue le malade. La prise de décision et l’approche interprétative sont traitées comme faisant partie du processus plus englobant qu’est le raisonnement clinique. Pour ces auteurs, la prise de décision et l’approche interprétative seraient donc des composantes du raisonnement clinique. Cette définition pourrait aussi s’adapter à plusieurs professions de la santé. Par contre, une définition spécifique à la profession de l’inhalothérapie permettra de mieux délimiter notre objet de recherche en tenant compte du contexte particulier où prend place le raisonnement clinique de l’inhalothérapeute.

Récemment, dans le domaine de l’optométrie, Faucher (2009) a défini le raisonnement clinique de la manière suivante :

Le raisonnement clinique est la compétence avec laquelle l’optométriste, en interaction avec la personne qui le consulte, et, s’il y a lieu, d’autres personnes concernées, résout un cas clinique par la construction progressive de sa représentation du cas, en parallèle avec l’élaboration des stratégies d’intervention, grâce à l’activation de réseaux de connaissances pertinents, à la mobilisation d’autres ressources et à des processus de planification, d’investigation et d’analyse et réflexion. (p. 360)

Bien que cette définition, tout comme dans le domaine de l’inhalothérapie, comprenne des processus de construction de la représentation, d’élaboration de stratégies d’intervention, de planification, d’investigation, d’analyse et de réflexion et tienne compte de la personne au cours du raisonnement clinique, elle devrait faire l’objet d’une adaptation au contexte de la pratique de l’inhalothérapeute. Ainsi, Faucher (2009) traite de la résolution d’un cas, expression qu’elle a préférée à celle de problème clinique parce que l’optométriste ne traite pas toujours de problèmes dans le cadre de sa pratique. Des personnes peuvent consulter l’optométriste pour un examen de routine sans présenter de problème. Ce qui ne correspond pas à la pratique de l’inhalothérapie où les personnes traitées éprouvent obligatoirement des problèmes de santé cardiorespiratoire qui nécessitent une vigilance constante. Aussi, outre les cliniques privées pour investigation des troubles du sommeil ainsi que les réseaux

d’enseignement de l’asthme et de la maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC), il est plutôt rare qu’un malade consulte un inhalothérapeute et si tel est le cas, cette consultation doit avoir été prescrite par un médecin. Dans la plupart des cas, les malades se trouvent en centres hospitaliers et reçoivent les soins d’inhalothérapeutes, soins qui sont prescrits par le médecin. C’est pourquoi une définition mieux adaptée à la réalité de la pratique de l’inhalothérapie a été élaborée.

Le raisonnement clinique de l’inhalothérapeute n’a pas comme but la formulation d’un diagnostic au même titre que le fait le médecin ou tout autre professionnel de la santé dont cet acte leur a été conféré par la loi. Néanmoins, l’inhalothérapeute fait face à des problèmes particuliers qu’il doit identifier et traiter.

Dans ces conditions, il apparaît opportun de définir plus précisément les types de problèmes auxquels sont confrontés les inhalothérapeutes. Selon de Vecchi et Carmona- Magnaldi (2002) :

Un problème c’est [...] une situation initiale comportant certaines données, qui impose un but à atteindre, qui oblige à élaborer une suite d’actions, qui mobilise une activité intellectuelle, qui fait entrer dans une démarche de recherche, en vue d’aboutir à un résultat final. Ce résultat est initialement inconnu et la solution n’est pas immédiatement disponible. (p. 22)

Dans le cadre de cette recherche, la résolution du problème s’adresse principalement aux étudiantes et aux étudiants. En effet, certaines des situations peuvent constituer un problème pour les stagiaires, mais non pour les chargés d’enseignement clinique qui devront alors aider ces derniers à résoudre ce problème en adoptant des modalités d’enseignement et en utilisant des interventions pédagogiques. Par contre, cela n’empêche en rien que ces situations puissent aussi constituer des problèmes pour la chargée ou le chargé d’enseignement clinique.

La recherche de Mishoe (2003) décrit la pensée critique chez les inhalothérapeutes ainsi que les conditions où elle est mise à contribution. Cette étude a aussi fait émerger la présence de trois catégories de situations professionnelles auxquelles sont confrontés quotidiennement les inhalothérapeutes. Il peut s’agir a) de

situations qui se rapportent à la condition physique du malade; b) de situations se rapportant à l’appareillage et à l’équipement et c) de situations où c’est la communication interprofessionnelle ou avec le patient et ses proches qui est en jeu. Chacune de ces catégories comporte des problèmes spécifiques. Le tableau 1 donne plusieurs exemples de problèmes se rapportant à chacune des trois catégories de situations professionnelles mentionnées précédemment.

Tableau1

Exemples de problèmes spécifiques aux catégories de situations professionnelles

Tiré et traduit de Mishoe (2003, p.506)

Par conséquent, en prenant en considération les définitions existantes dans les autres domaines de la santé et en tenant compte du contexte et des types particuliers de situations professionnelles qui existent dans la pratique de

Situations professionnelles Problèmes associés

État du patient État non correspondant à l’état supposé - Désaturation

- Hypercapnie

- Travail respiratoire augmenté - Sevrage difficile

- Inconfort

Modification d’une prescription, d’un traitement Prescription médicale jugée incorrecte

Patient difficile

- Comprend difficilement les consignes - Ne coopère pas

Interface appareillage/patient Ventilation mécanique : - Activation d’alarmes Appareillage :

- Tests de vérification échoués

- Mauvais fonctionnement de l’appareil - Équipement spécialisé non disponible - Montage non conventionnel

- Nouvelle technologie Communication Interprofessionnelle :

- Sollicitation d’une opinion

- Questions à propos de l’état du patient - Questions à propos de l’appareillage - Participation à la décision

Avec le patient ou ses proches :

l’inhalothérapie, nous proposons notre propre définition du raisonnement clinique qui est la suivante :

Chez l’inhalothérapeute, le raisonnement clinique consiste en un processus de résolution de problème et de prise de décision utilisé pour a) évaluer, maintenir ou améliorer la condition cardio- respiratoire; b) évaluer et optimiser l’interface- personne/appareillage et c) formuler une opinion ou répondre à un questionnement, à propos d’un problème de santé cardio- respiratoire, tout en tenant compte des données physiologiques et des dimensions affectives, psychologiques et sociales que comporte ce problème pour la personne.

Cette définition s’appuie aussi sur les connaissances apportées par les différentes approches ou écoles de pensée qui se sont penchées sur le processus de raisonnement clinique et qui ont façonné la conception du raisonnement clinique tel qu’il est abordé dans cette thèse. La prochaine section expose les modèles de raisonnement clinique qui découlent de ces approches. Un modèle du raisonnement clinique en inhalothérapie est proposé. Il consiste en l’adaptation du modèle de Faucher (2009).