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1. CAS DE MARIE

1.11. Analyse de la quatrième situation : une perte de lecture

Cette situation présente un caractère urgent où l’anesthésiologiste est tenu d’agir rapidement. Marie doit non seulement l’assister, mais elle doit aussi anticiper la suite des événements tout en gardant un œil sur sa stagiaire.

1.11.1. Modalités d’enseignement

Les modalités de supervision et du modèle de rôle ont été mises en évidence par Marie au cours de la description de cette situation.

19 Laryngoscope : instrument pour visualiser le larynx et utiliser pour effectuer une intubation

1.11.1.1. Supervision. Malgré l’urgence de cette situation, Marie confie quelques

tâches à l’étudiante, dont celle de la vérification de la présence d’un tube endotrachéal standard. Voici comment elle s’adresse à sa stagiaire : « Et là je me tourne à la gauche pour voir l’étudiante et je dis : vérifie si on a un tube numéro 8 de prêt. […] et là elle regarde, elle dit oui. » (C1C4.360-363).

Elle lui demande aussi de découvrir le patient pour aider l’anesthésiologiste dans la procédure de repositionnement du tube. Marie s’exprime alors ainsi : « …et j’ai demandé à l’étudiante d’aller enlever la couverture soufflante20, de l’arrêter, de la tasser de là, pour qu’on ait pleine visualisation » (C1C4.385-387).

1.11.1.2. Modèle de rôle. Le modèle de rôle est largement présent au cours de cette

situation. À partir du moment où l’anesthésiologiste retire le tube, c’est Marie qui l’assistera elle-même lors des différentes procédures tout en gardant l’étudiante à ses côtés.

Ainsi, lors du retrait du tube, l’étudiante observe Marie. Voici comment cela s’est produit :

Alors, l’étudiante, au lieu de lui faire dégonfler les ballons pour la mettre en action […] sur cette technique-là, je la garde à gauche de moi à observer, parce que, il commence par le faire, l’anesthésiste il me semble, sans le trachéoscope. (C1C4.303-307)

Puis, durant cette manœuvre de retrait, Marie surveille et émet à voix haute la perte de CO2 expiré qui se vérifie sur le moniteur. L’étudiante en est témoin.

Par la suite, la préparation d’un autre tube a lieu dans l’éventualité où l’anesthésiologiste aurait à réintuber le patient. Elle contrôle alors elle-même le bon fonctionnement du matériel devant son étudiante. Quelques instants plus tard, Marie avise l’équipe de chirurgie qu’il n’y a « plus de CO2 » (C1C4.467). L’étudiante est à

nouveau témoin de cette action, car elle est toujours aux côtés de Marie.

20 Il s’agit d’une couverture avec soufflerie à air chaud afin de maintenir la température corporelle

Lorsque le tube est correctement repositionné, Marie assiste l’anesthésiologiste en lui donnant « du tape pour le fixer » (C1C4 376.). Elle fait alors part à l’étudiante qu’il s’agit d’une « situation critique, et la fixation de ça, ce n’est pas moi qui vais la faire, comme ce n’était pas moi qui reculais le tube » (C1C4.431-432). Après la fixation du tube, Marie adopte toujours le modèle de rôle lorsqu’une collègue vient les remplacer afin qu’elle et son étudiante prennent une pause. L’étudiante observe toujours Marie. Voici comment se déroule cet épisode qui montre bien le modèle de rôle adopté à ce moment :

Et je fais un rapport à cette personne-là […] L’étudiante écoute ce que je dis, par rapport à ce qui s’est passé et elle dit bon oui effectivement… la personne, la nouvelle inhalothérapeute, elle dit effectivement, c’est peut-être mieux qu’on soit ici, pendant ton café. Alors finalement, on s’en va, l’étudiante et moi au café. (C1C4.507-512)

Enfin, au café, lors du retour sur la situation, Marie fait part de son analyse aux deux étudiantes ainsi qu’à l’inhalothérapeute présent « comme si on décrivait un cas clinique dans une présentation » (C1C4.541-542). C’est toujours le modèle de rôle qui est pris par Marie. Les étudiantes « …écoutent attentivement et font des signes de tête en voulant dire, ouais, les yeux grands… » (C1C4.605-606).

1.11.2. Interventions pédagogiques

Les interventions pédagogiques relevées au cours de cette situation concernent en particulier l’articulation des connaissances, la réflexion sur l’action, l’échafaudage, la modélisation, et le retrait graduel.

1.11.2.1. Articulation des connaissances. Marie explique à l’étudiante pourquoi le

tube doit être retiré. Pour cela, elle revoit avec elle les particularités de la chirurgie et comment le tube est positionné. L’extrait suivant montre comment Marie procède avec son étudiante :

Mais là ça devient un problème pour nous parce que comme on avait mis un tube gauche et qu’on va faire la suture dans la bronche souche gauche […]

nous notre tube il est là dans cette place-là […] alors on sait que quand ils vont être rendus à l’étape de faire leur suture majeure, on va devoir reculer notre tube endotrachéal. […] Et on en discute, c'est-à-dire que moi je le réexplique à l’étudiante sur les petits pictogrammes de boîtes que j’ai gardées, tu vois, finalement ils vont bien couper comme on avait dit, lorsqu’il y a une pneumonectomie à cet endroit-là, puis nous on est dans le chemin. (C1C4. 285-296)

Il est question ici d’établir des liens entre les notions théoriques apprises en contexte de classe et leur application dans le milieu de travail. Il peut aussi s’agir de nouvelles notions pour l’étudiante.

1.11.2.2. Réflexion sur l’action. Ici, la réflexion sur l’action prend la forme d’un

retour sur la situation qui se déroule lors de la pause-café. Deux étudiantes et un collègue inhalothérapeute sont alors présents. Ce retour sur la situation aide à faire réaliser aux étudiantes d’inhalothérapie la gravité de la situation, car Marie ne l’a pas exprimée de façon explicite dans la salle d’opération. Voici comment elle s’adresse à elles :

En arrivant au café, la 2e étudiante est là et il y a très peu de gens dans le café, c'est-à-dire il n’y a que l’autre inhalothérapeute qui s’occupe de cette 2e étudiante-là, alors j’en profite […] pour rejaser de la situation, pour que les deux soient en situation de connaître quelles sont les possibilités à… que peut-il arriver et qu’elles perçoivent très bien à ce moment-là, surtout l’étudiante qui était avec moi, que moi je n’étais vraiment plus à l’aise, puis que j’avais hâte qu’on recommence à avoir du C02 parce qu’on était dans un

trouble réel. (C1C4.516-524)

Ce retour sur la situation est aussi employé pour démontrer l’importance d’être en mesure de répondre à une suite possible d’événements. Elle souligne qu’« il fallait qu’on soit prêt à intervenir d’une façon X » (C1C4.528).

Elle explique aussi pourquoi elle décrit à voix haute ce qu’elle fait lorsqu’elle assiste l’anesthésiologiste, car ainsi il demeure lui aussi en mesure de vérifier s’il est prêt à faire face à la suite des événements. Le passage suivant montre bien comment Marie s’adresse aux stagiaires :

Puis c’est pour ça que j’ai commencé à en parler tout haut pour savoir si c’était prêt et tout ça et aviser verbalement, tout le temps en même, qu’on est prêt pour l’autre étape. […] Que l’anesthésiste perçoive que… quelle est votre prochaine étape. (C1C4.582-586)

1.11.2.3. Échafaudage. Au cours de cette situation, l’aide à la reconnaissance du

problème, à la recherche de données pertinentes, à l’analyse et à l’anticipation sont spécialement visées par les interventions pédagogiques de Marie.

D’abord, Marie insiste sur l’observation de la courbe du CO2 expiré. Elle

s’assure par un geste que l’étudiante en prend note elle aussi : « Mais dans mes mouvements, j’inclus toujours en démonstration des fois en pointant du doigt à l’étudiante, que là, mais là je n’ai plus de CO2 » (C1C4. 330-331). L’analyse de la

courbe et de la quantité de CO2 expiré constituent des données qui aident à la

reconnaissance de plusieurs problèmes de ventilation chez les patients. Par la suite, lors de la vérification du positionnement du tube, elle fait observer à l’anesthésiologiste qu’elle peut voir sa main à l’écran, ce qui peut signifier que le tube est très retiré. Voici comment Marie a agi :

et je fais observer à voix haute, comme j’ai fait pour les autres situations qu’on a discutées précédemment, je lui fais observer que ce que je vois à l’écran, ce sont sa lumière, mais l’espèce de blanc qu’on voit passer, c’est sa main que je vois à travers le tube, donc ça veut dire que lui il se pense quand même assez loin dans le tube, mais le loin dans le tube est à l’extérieur puisque sa main à lui, on la voit à travers. (C1C4. 337-341)

C’est cette action qui a aidé à déterminer que le tube endotrachéal était trop retiré. À ce moment, l’étudiante observe toujours.

Aussi, lors du retour sur la situation, Marie souligne qu’elle annonce toujours à voix haute le matériel qui est prêt à être utilisé. Voici un extrait de ce qu’elle leur dit à ce sujet : « Donc, si on lui dit on a déjà ça, ça, ça d’avance […] Ça va lui faire penser que si jamais ce n’est pas dans ce qu’on est en train d’énumérer l’affaire qu’il va prendre, il va peut-être nous le dire d’avance » (C1C4. 593-596).

Cette remarque montre aux étudiantes qu’il faut qu’elles sachent le déroulement possible des diverses situations qui se présentent à elles.

1.11.2.4. Modélisation. Pratiquement toutes les interventions rapportées

précédemment se font par modélisation verbale ou par le geste. En effet, Marie intervient régulièrement soit en décrivant à voix haute le déroulement de l’action, soit en procédant elle-même à la tâche.

Ainsi, pendant que l’anesthésiologiste est absorbé par la tâche de repositionnement du tube, Marie le renseigne sur l’état du patient toujours sous les yeux de son étudiante qui est à ses côtés. Elle procède, entre autres, de cette façon : « Là le patient est un petit peu plus tachycarde, on a plus de CO2. Je fais toujours les

observations à l’étudiante, et je fais tout haut, bien là on est un peu plus tachycarde, on a toujours pas de CO2 » (C1C4. 342-350).

La modélisation par le geste est nettement décrite lorsque Marie vérifie elle- même le matériel d’intubation après avoir demandé à sa stagiaire un tube endotrachéal standard. De cette façon, elle veut signifier à sa stagiaire sans l’aide de la parole, la probabilité d’avoir à réintuber le patient.

et là elle regarde, elle dit oui, je m’approche physiquement moi-même pour aller voir le tube, voir si la lame s’allume et ce mouvement-là que je fais vers le tube et en le revérifiant, la lame, c’est comme une façon pour moi de lui dire, on est sur le bord […] Je veux qu’elle sente qu’on est sur le bord d’être obligé d’enlever ce gros tube-là puis mettre un tube ordinaire. (C1C4. 363-369)

1.11.2.5. Retrait graduel. Dans ce contexte, Marie évalue le niveau de difficulté

imposée par cette situation et décide qu’elle assistera elle-même l’anesthésiologiste. Elle gardera l’étudiante à ses côtés comme l’illustre le passage suivant :

et puis là je la garde à la gauche puis là je finis par sortir le trachéoscope parce qu’il dit : passe-moi donc le trachéoscope, mais on le laisse lui-même dégonfler les ballonnets et regonfler, car ce sont des techniques qui sont plus corsées ». (C1C4.309-311)

Aussi, bien que ce soit Marie qui participe de près à la solution, c’est-à-dire à l’assistance au retrait du tube, elle confie la tâche de dégager le patient de sa couverture chauffante afin d’aider l’anesthésiologiste à travailler dans de meilleures conditions. De cette façon, Marie a impliqué l’étudiante dans l’application d’une partie de la solution même si elle n’est pas très avancée dans son stage. Le passage qui suit montre bien comment Marie a impliqué l’étudiante ainsi que ses intentions :

elle est vraiment face à la situation puis à enlever, puis le fait que je l’ai inclus à aller chercher la chose puis à la tasser, je veux qu’elle comprenne que bien qu’elle ne fasse que tasser une couverture, elle est en train d’aider l’anesthésiste quand même, bien qu’elle est à sa 2e, 3e semaine […] Ce qu’elle fait apporte à la situation quand même. (C1C4. 404-409)