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Témoignage de Nathalie, étudiante franco-colombienne ayant participé au projet « Les petits voyageurs »

Dans le document Enfants et jeunes nouvellement arrivés (Page 95-99)

en 2004-2005

En 2004-2005, quand j’ai participé au projet « Les petits voyageurs », j’étais étudiante en deuxième année de psychologie. J’avais commencé l’accompagnement à l’AFEV l’année précédente. Comme, en deuxième année, j’avais envie de m’orienter vers la psychologie interculturelle, il m’a paru intéressant de travailler auprès d’enfants nou- vellement arrivés. Je suis moi-même arrivée de Colombie à l’âge de 19 ans, donc je suis très sensibilisée à ces questions. Toutefois, je suis bien consciente que ce n’est pas du tout pareil d’arriver dans un nouveau pays à 19 ans ou au moment de l’adolescence, moment beaucoup plus difficile. Mais le fait d’être arrivée toute seule en France est cer- tainement ce qui m’a incitée à faire de l’accompagnement d’enfants en difficulté. À la base, nous avions prévu de faire une exposition à partir de photos prises dans le pays d’origine des enfants. Mais nous nous sommes rendus compte qu’il n’était pas trop réalisable de faire l’exposition parce que peu d’enfants avaient des photos de leur pays. Nous avons donc décidé de travailler sur l’écriture en français à partir d’une photo qu’ils auraient rapportée, quelle qu’elle soit.

Toutes les séances ont été centrées sur le livre. Nous ne pouvions pas nous permettre de travailler sur autre chose puisque le projet avait commencé en janvier 2005 et que la date de publication était prévue pour avril 2005, la salle du Forum FNAC n’étant libre qu’en mai.

Je dois dire que ça a été très dur au départ de faire parler les enfants de leur pays. Plusieurs enfants ne voulaient pas parler de leur passé et pays d’origine. Ils préféraient rire ou jouer pendant l’heure allouée. Il y avait une différence très marquée entre filles et garçons en termes de comportement. Avec les filles, ça s’est passé sans problème, nous avons pu parler de tout avec elles, de leur pays, de politique, voire de la pression familiale alors qu’elles n’avaient que 13-14 ans. Par contre, les garçons étaient beau- coup plus réticents. Alors on a d’abord été assez directifs avec eux. Mais quand on a vu que ça ne marchait pas, on a changé notre manière de travailler avec eux et ça a mieux marché. Parmi nous, il y avait un étudiant. Alors quand nous avions des difficultés de communication avec les garçons, c’est généralement l’étudiant qui intervenait et ça a souvent permis de résoudre les problèmes. Malgré les réticences de départ, les jeunes ont alors accepté d’apporter des photos.

Pour certains enfants, on s’est rendu compte que ce n’était pas qu’ils n’étaient pas inté- ressés, mais plutôt parce qu’ils avaient peur de parler. En particulier un jeune originaire d’Afrique ne voulait pas se confier parce que son pays lui faisait peur à cause de la

sorcellerie. Il s’est complètement bloqué et s’est mis de côté. Alors, une des étudiantes, elle-même d’origine africaine, est allée lui parler en individuel. C’est ensuite, en travaillant en confiance avec elle, qu’il s’est confié à elle et lui a fait part de sa peur de la sorcel- lerie. Une fois que nous avons compris la raison de son blocage, ça s’est très bien passé.

On a également remarqué que la participation était très différente selon les nationalités. Certains n’avaient aucun problème à parler d’eux. Mais d’autres enfants, particulière- ment ceux des pays asiatiques, Corée, Vietnam, parlaient très peu. On essayait quand même de les faire participer aux mêmes activités que les autres, mais ce n’était pas facile !

L’avantage, c’est que nous étions cinq étudiants, dont trois étaient étrangers. Je viens de Colombie, une autre venait du Venezuela et la troisième d’un pays africain. Et les deux étudiants français étudiaient la psychologie interculturelle ! Donc nous étions tous très sensibilisés aux questions et aux parcours migratoires et à la diversité des cultu- res. Et puis, ça a aussi intensifié les échanges. Les enfants eux-mêmes avaient envie de nous poser des questions sur notre pays d’origine. Par exemple, il y avait une petite Brésilienne dans la classe, voisine de la Colombie, qui aimait beaucoup parler avec moi de nos pays d’origine. Il y avait aussi une petite Angolaise (on parle portugais en Angola comme au Brésil) qui m’a raconté qu’elle regardait toutes les émissions pour enfants de la télévision brésilienne quand elle était petite !

Nous devions bien sûr veiller à ne pas raviver des événements traumatisants. Mais déjà, nous savions que les enfants présents, contrairement à ceux du collège Bellefontaine (voir le chapitre « Mieux connaître l’autre », AFEV Toulouse), n’avaient pas fui leur pays, mais avaient migré parce qu’un de leurs parents avait obtenu un emploi en France. Ce sont des circonstances qui rendent plus aisées des discussions autour du pays d’origine !

Une fois que le projet a été lancé, les enfants ont semblé heureux de pouvoir échanger avec les autres. Le travail en groupe leur a permis de découvrir la culture de leurs cama- rades. Ils ont beau être en cours ensemble, ça ne leur arrive jamais de parler de leur culture, de mettre en avant cette différence culturelle qui fait la richesse d’une classe. Ces séances en groupe ont vraiment permis de laisser de la place à l’échange entre les enfants sur leur vie passée, les coutumes et traditions de leur pays.

On a essayé de faire des présentations des photos personnelles devant les autres. Nous l’avons fait une fois. Mais quand l’enfant les a présentées devant tous les autres, ça n’a pas marché. Ils n’étaient pas prêts à l’écouter. Par contre, quand, une fois, nous avons préparé des textes sur notre pays pour leur montrer ce qu’on voulait obtenir à l’issue du projet, tous nous ont écoutés très attentivement. Après l’échec de la présentation individuelle devant le groupe, nous avons décidé de procéder autrement. Nous leur avons demandé d’apporter chacun une photo et de se mettre en groupe de deux ou trois, ou bien en individuel s’il le voulait, pour écrire un texte sur leur pays d’origine. En fin d’année, nous avons eu la chance de présenter le livret au Forum de la FNAC à Toulouse. Nous, les étudiants, avons brièvement présenté le projet, mais nous leur avons rapidement laissé la parole. En plus, plusieurs professeurs de leur collège avaient pris la peine de venir, ainsi que certains parents et des passants. Alors, nous voulions que les enfants soient vraiment au premier plan. Les moins timides ont osé parler, ils ont expliqué ce qu’ils avaient fait, comment ils avaient écrit les textes et les échanges qu’il y avait eu durant les séances. Ils étaient vraiment fiers de présenter ce qu’ils avaient fait et surtout d’être valorisés comme ça, surtout les plus jeunes, mais égale- ment les plus vieux. Ils ont également présenté le livre au collège à la fin de l’année, devant tous leurs camarades. Ça a été un grand moment pour eux.

C’est vraiment au moment où on a présenté le projet, que ce soit à la FNAC ou au col- lège, qu’on a vu à quel point ils étaient contents de mettre en avant leurs différences pour des raisons positives, et non pour être stigmatisés. De voir que même les plus réticents, ceux avec qui on avait eu le plus de mal, qui ne voulaient tout d’abord pas apporter de photos ou écrire de textes, étaient contents, heureux de présenter le fruit de leur travail, ça nous a beaucoup émus et fait très plaisir.

Les professeurs qui sont venus à la présentation à la FNAC ainsi que le professeur de la classe d’accueil ont fait des commentaires très positifs. D’ailleurs, le nouveau prin- cipal voulait refaire un projet du même style l’année suivante. Mais, parmi les étudiants, personne ne souhaitait ou ne pouvait participer au projet l’année suivante. J’ai donc continué avec un enfant d’origine algérienne, en individuel ; j’aurais bien continué avec les enfants nouvellement arrivés, mais je ne pouvais pas à cause de mon emploi de temps.

J’ai trouvé très intéressant de travailler en groupe avec des adolescents, parce que ça crée une véritable dynamique. Un des enfants était parfois très agité, mais quand l’étu- diant garçon était là, ça se passait beaucoup mieux.

Si jamais quelqu’un souhaitait mettre en place ce type de projet, je lui conseillerais de ne pas forcer les jeunes à parler de leur pays s’ils n’en ont pas envie. Ensuite, une chose primordiale est l’engagement des intervenants dans le projet. Il ne faut surtout pas que les enfants aient l’impression qu’un des accompagnateurs n’est pas intéressé par ce qu’ils font ou ne s’investit pas au maximum.

C’est aussi la raison pour laquelle il faut toujours préparer à l’avance les séances afin qu’il n’y ait pas de moments de flottements. Je pense qu’il est important de veiller à la mixité aussi bien dans le groupe d’intervenants que parmi les enfants. C’est égale- ment une bonne chose d’avoir des accompagnateurs eux-mêmes originaires de pays étrangers.

Valoriser le regard

Dans le document Enfants et jeunes nouvellement arrivés (Page 95-99)