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Témoignage de Natacha Cyrulnik, réalisatrice

Dans le document Enfants et jeunes nouvellement arrivés (Page 129-131)

Depuis plusieurs années, je travaille avec des jeunes de la cité Berthe à La Seyne-sur- Mer. En 2002, j’ai fait un film sur l’amour Quand Alex, Charles, Lesly et les autres…

aiment, pour lequel j’ai eu l’occasion de filmer des jeunes primo-arrivants et de ren-

contrer leur enseignante, Agnès Gauthier. En 2004, cette enseignante, intervenant auprès d’une classe de jeunes primo-arrivants (16-20 ans) au centre social Sainte- Musse de Toulon, m’a proposé de réaliser un documentaire sur la classe de primo-arri- vants durant toute une année scolaire.

Elle souhaitait que je puisse amener un regard extérieur, mon propre regard sur la classe, les jeunes et leur développement durant l’année, à des fins documentaires. Ce projet n’aurait pu voir le jour sans une forte complicité de départ entre l’enseignante et moi-même. D’ailleurs, ce film s’entend également comme un hommage au travail de l’enseignante et de toute l’équipe du centre social.

Dès l’inscription des élèves à la formation du centre social, l’enseignante a présenté aux parents les objectifs, termes et étapes du projet. Des interprètes sont intervenus pour traduire aux parents non francophones. Le film a dès le départ été présenté comme un atout pour ces jeunes. Il s’agissait de porter un regard particulier sur cette classe, de présenter l’épanouissement de l’enfant au fur et à mesure de l’année tout en veillant scrupuleusement à ne pas mettre ces jeunes en porte à faux et à ne pas leur faire de mal. Ensuite l’enseignante a soumis le projet à l’approbation des parents et jeunes majeurs, sans quoi le projet n’aurait pu être possible. Tous ont accepté et le projet a commencé. J’ai donc passé un an dans la classe de jeunes primo-arrivants, de septembre 2005 à fin mai 2006.

Je suis arrivée dès le jour de la rentrée seule avec ma caméra et suis revenue réguliè- rement jusqu’à la fin de l’année scolaire. Le montage a été finalisé durant le mois de juin, afin que les jeunes puissent voir le film finalisé avant la fin de l’année scolaire, et qu’ils puissent éventuellement le montrer à leur famille comme une fierté pour ceux qui rentrent au pays pendant les vacances. Il était important pour moi d’être là quand ils ont découvert le film le jour de la projection, de partager ce moment avec eux pour constater le fruit de nos efforts communs.

Aucun des jeunes n’était francophone. Il est apparu rapidement que les jeunes nouvel- lement arrivés avaient un rapport à la caméra et à l’image très différent de celui des jeu- nes occidentaux. Ainsi, au départ, les jeunes avaient très peur de la caméra et n’osaient pas s’en approcher, alors que, poussés par la télé-réalité, la majorité des jeunes partout en France se bousculent devant la caméra pour être filmés ! Ceux de la classe n’avaient tout d’abord aucune envie d’être exposés, avaient déjà de nombreux problèmes à gérer et ne souhaitaient pas avoir un poids supplémentaire sur le dos. Ces difficultés ont fait qu’il a fallu beaucoup de temps avant que les rapports ne deviennent plus intimes. Mais la confiance s’est installée, ils se sont ensuite très bien habitués et ont même montré un intérêt marqué pour la caméra. Après quelques semaines, j’ai été acceptée comme part entière de l’environnement des jeunes.

Le documentaire témoigne des attentes, espoirs et difficultés de départ, alors que des jeunes de 16-20 ans sont quelque peu frustrés de devoir en passer par des exercices de niveau primaire pour apprendre le français. Le documentaire prend le temps de regarder comment le jeune apprend. Le film présente des élèves très motivés, attentifs en classe. Les jeunes sont conscients du véritable tremplin vers l’intégration que repré- sente cette formation et s’attachent à en tirer le maximum. Le documentaire atteste de cette motivation sans bornes, suit leurs progrès et présente l’aboutissement d’un an de travail, ce dont les jeunes ont été très fiers. Le documentaire montre également tous les aléas et les difficultés jonchant le parcours des jeunes : la question des papiers, la défi- nition du projet professionnel, les difficultés administratives en matière d’accès à l’em- ploi et à la formation. Par exemple, durant l’année, un parent d’élève s’est immolé par le feu parce qu’il n’avait pas réussi à obtenir ses papiers, ce qui a été très traumatisant pour son fils et ses camarades.

La projection du documentaire a eu lieu en juin en présence de nombreux institution- nels et des jeunes de la classe. Les jeunes ont été très touchés par le documentaire et impressionnés de se voir. Ils étaient très heureux d’être ainsi valorisés, que leur aven- ture soit présentée devant de nombreuses personnes, tous présents pour voir le docu- mentaire dont ils sont les héros. Les jeunes ont pu venir sur scène, répondre à quelques questions, s’exprimer en français, autant de preuves de leurs progrès consi- dérables durant l’année ! Alors qu’en temps normal, ils sont très marginalisés et vivent en vase clos à l’écart des autres jeunes, le film et la projection leur ont permis de com- muniquer et d’être valorisés aux yeux de personnes extérieures avec lesquelles ils n’au- raient eu aucun contact.

Aujourd’hui, je sais que certains sont déjà retournés au pays, d’autres sont en attente concernant leurs papiers, un emploi ou une formation. Mais au moins, ils sont en pos- session de quelque chose de très précieux, le film de leur première année en France, peut-être leur seule année. Ce documentaire se veut donc comme un outil permettant aux enfants de témoigner d’où ils sont partis, ce qu’ils ont fait durant leur première année en France, et où ils veulent aller ensuite. Si l’opportunité se présente, j’aimerais beaucoup filmer à nouveau ces jeunes dans dix ans pour voir ce qu’ils sont devenus depuis la formation au centre social !

Enfin, Un autre chemin d’écoliers se veut un moyen d’échanger pour envisager de créer d’autres classes ou structures de ce type en France pour les jeunes primo-arrivants de 16 ans et plus, selon la volonté du centre social Sainte-Musse. À ce titre, un projet de DVD-Rom est en cours de création avec des compléments juridiques, administratifs, et pédagogiques.

Un autre chemin d’écoliers, un film de Natacha Cyrulnik

Dans le document Enfants et jeunes nouvellement arrivés (Page 129-131)