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nouvellement arrivé durant le parcours scolaire d’intégration (Claude Beaudoin)

Dans le document Enfants et jeunes nouvellement arrivés (Page 33-37)

Claude Beaudoin est coordinateur pédagogique du CASNAV de Paris.

L’élève nouvel arrivant (ENA) n’est pas une entité modélisable, chacun d’entre eux est porteur d’une spécificité tant langagière que scolaire, familiale et culturelle. L’idée que le traitement de la scolarisation de ces élèves pourrait être normalisé à partir de données généralisables tient du non-sens et conduit à une impasse inévitable. C’est pourquoi sur l’académie de Paris, la ligne directrice de la politique d’intégration de publics nouveaux arrivants concerne désormais l’individualisation des parcours d’intégration, portée par une réflexion sur les modalités de scolarisation et les contenus des enseignements.

Nous avons clairement affirmé que si l’objectif premier est bien l’acquisition et la maîtrise minimale de la langue française comme vecteur indispensable à toute forme d’intégration, il est également primordial de considérer chaque ENA comme un cas particulier et de faire en sorte que sa spécificité soit prise en compte tout au long de son parcours scolaire d’intégra- tion.

La difficulté majeure pour tous ces élèves désireux de s’intégrer au plus vite dans notre sys- tème scolaire pour y réussir leurs études ne réside pas essentiellement dans l’acquisition des compétences langagières suffisantes pour comprendre et se faire comprendre. Les ensei- gnants en charge de ces élèves savent pertinemment que le temps passé dans les divers dispositifs permet avant tout de mettre en place des acquis, certes indispensables pour la communication scolaire et extrascolaire, de donner des rudiments pour se débrouiller dans l’univers de l’école française où ils seront prochainement intégrés, mais que cela ne sera pas suffisant pour faire face aux multiples difficultés qu’ils vont rencontrer dans les classes ordi- naires.

Pour l’élève nouvel arrivant, la première étape consiste à maîtriser suffisamment la langue française pour s’adapter à l’environnement oral et écrit de l’école sans être trop dérouté ni désarmé ; le passage en classe ordinaire est pour lui une épreuve très délicate car il va se trou- ver immergé au milieu d’élèves scolarisés en France depuis leur plus jeune âge, ayant franchi tous ensemble les mêmes étapes du processus d’apprentissage conduisant de la maternelle

QUESTIONS/RÉFLEXIONS

apprentissages scolaires, et des enfants du voyage. Ainsi, leur principal champ d’inter- vention est la maîtrise de la langue française dans le cadre des apprentissages scolai- res. Les personnels des CASNAV créent les conditions favorables à l’accueil des familles et des associations qui interviennent auprès d’elles en leur fournissant une information complète.

Interfaces entre l’éducation nationale et d’autres services ou réseaux de ressources locales, ils sont à même d’informer nos partenaires, de réguler des relations et de coopérer avec les interlocuteurs compétents. Ils peuvent aussi répondre à des deman- des d’information, élaborer et animer des formations en partenariat auprès des acteurs nombreux et divers qui œuvrent dans le même domaine (élus et employés des collecti- vités territoriales, travailleurs sociaux, éducateurs, membres d’associations).

Les CASNAV constituent donc un élément clé de la mise en œuvre de la politique aca- démique relative à l’intégration scolaire des enfants et des jeunes nouvellement arrivés en France ou issus de familles du voyage.

au collège et au lycée, avec les mêmes repères, les mêmes outils, les mêmes constructions intellectuelles ; ils savent décoder, décrypter, transcrire les attendus des enseignants, ils connaissent les fonctionnements, les rouages, les codes de notre système éducatif ; ils par- tagent un même habitus scolaire.

Suivons le parcours d’une jeune élève d’origine chinoise arrivant à Paris sans connaître un traître mot de français. Après un premier temps passé en dispositif de français intensif, elle aura acquis un lexique suffisant pour communiquer dans des situations simples, elle maîtri- sera les bases de la syntaxe et aura découvert la complexité du système verbal français. Dans la classe d’accueil où elle aura été par la suite affectée, l’enseignant poursuivra ce tra- vail sur la langue, l’amènera à produire des discours oraux et écrits simples dans divers contextes, elle suivra les enseignements dispensés dans sa classe de rattachement selon ses compétences et à son rythme, elle découvrira ainsi peu à peu la vie des élèves français, elle sera probablement ébahie en écoutant les conversations dans la cour de récréation, ne com- prenant qu’un mot sur dix de cette langue étrange des élèves ; elle se sera certainement per- due dans les couloirs de son collège à rechercher désespérément le CDI, le CPE ou la COP ; elle aura assurément été bouleversée par les prises de parole débridées des élèves pendant certains cours.

Élève travailleuse, sérieuse, progressant vite, elle sera récompensée de ses efforts par une affectation en classe ordinaire à la rentrée de septembre. C’est pour elle une réussite, le bonheur d’avoir franchi aussi vite toutes ces épreuves, d’être enfin scolarisée « comme les autres ». En France depuis seulement quelques mois (une année et demi environ), la voilà dans sa nou- velle classe de cinquième. Les autres élèves sont aussi curieux d’elle qu’elle peut l’être d’eux, de leur vie, de ce qu’ils ont étudié jusqu’alors, du français qu’ils utilisent entre eux et qu’elle voudrait bien comprendre pour rire avec eux, de ces expressions inconnues de son diction- naire et de son traducteur électronique, qui semblent être autant de clés pour pénétrer dans leur monde d’adolescents.

En cours de français on étudie une œuvre du Moyen Âge, un roman de chevalerie, texte diffi- cile qu’elle parvient à comprendre après des heures de travail chez elle. Elle doit rendre une rédaction où on lui demande d’écrire la suite d’un épisode ; elle se rend au CDI qu’elle a enfin localisé, elle y recherche l’œuvre en question avec l’aide de la documentaliste, retrouve l’épi- sode qu’il faut poursuivre. Avec application et ténacité, elle recopie la suite de l’histoire telle que l’illustre auteur de ce roman l’avait imaginée ; satisfaite de ce long travail, elle attend que le professeur la complimente car elle a porté une attention particulière à bien faire figurer les accents et les signes de ponctuation qui demeurent encore pour elle des marques incompré- hensibles. Mais un grand trait rouge traverse sa feuille, et elle parvient difficilement à lire, tant son trouble est grand, qu’il ne fallait pas recopier le texte original mais imaginer une suite. Mais que signifie « imaginer » et pourquoi « imaginer » ce qu’un si grand auteur a si bien écrit ? Moi, petite élève chinoise, je ne suis pas un écrivain français du Moyen Âge ! Jamais en Chine on ne m’aurait demandé d’imaginer la suite d’un épisode d’un roman de chevalerie ! Le mercredi après-midi, elle se rend au cours de soutien mis en place pour les élèves sortant des classes d’accueil, elle y retrouve des élèves qui, comme elle, ont bien du mal à compren- dre ce qu’on leur demande de faire. À côté d’elle, un jeune garçon originaire d’Afrique veut comprendre ce que le professeur de sciences et vie de la terre attend de lui car il doit obser- ver des documents et, à partir de là, trouver une loi scientifique sans aucune autre aide que les réponses à trouver aux questions qui sont dans le manuel ; il a réussi à trouver les répon- ses aux questions mais il est complètement bloqué, il ne sait plus quoi faire.

Le professeur de français langue de scolarisation qui a été recruté et formé par le CASNAV va alors patiemment expliquer à ces élèves ce qui est attendu par leurs professeurs, il va devoir

démêler cet écheveau de fils qui tissent avec complexité tous les apprentissages dans notre système éducatif français, expliquer qu’imaginer, créer un texte, signifie d’abord identifier et tenir compte de tous les indicateurs narratifs du texte de référence, construire à partir de là un écrit reprenant la structure de cet épisode et y apporter un déroulement personnel, ce qu’elle a le droit de faire en France, sans peur ni honte.

Il expliquera que le professeur de sciences attend de l’élève qu’il analyse correctement chaque document, les compare, les confronte, pour mettre en lumière ce qu’ils ont de commun, et qu’à partir de cette analyse l’élève puisse dégager une loi scientifique. Il répondra en souriant à ce jeune garçon qui ne comprend pas qu’on perde autant de temps à faire en sorte que les élèves découvrent une loi que les professeurs connaissent bien et qu’il suffirait de faire apprendre par cœur, ce qu’il aurait fait volontiers.

Expliquer pourquoi et comment les élèves français travaillent et construisent leurs connais- sances est un acte difficile, mais indispensable ; il ne s’agit plus d’expliquer le sens d’un mot ou d’éclairer une construction syntaxique mais de toucher du doigt les modalités des actes d’enseignement et d’apprentissage, telles qu’elles sont pratiquées en France et telles qu’elles ne sont pas pratiquées dans la plupart des pays d’origine de nos élèves nouveaux arrivants. C’est là également que réside notre mission, dans cet accompagnement des élèves vers la compréhension de ce qui a été mis en place dans les cerveaux des élèves français depuis les premiers moments de leur vie à l’école, ce qui a été construit très progressivement par empi- lement et imbrication, comme autant de briques de savoirs et de savoir-faire, formes de rai- sonnement inductifs et déductifs, attitude d’observation et d’analyse scientifiques, émergence guidée d’un moi créatif, progressive prise d’autonomie dans l’organisation du travail, acquisi- tion d’outils de recherche personnalisés. Après une ou deux années passées dans les dispo- sitifs de scolarisation pour ENA, tous les élèves ne peuvent avoir intégré ces mécanismes intellectuels propres au système français, ils ont déjà eu tant à apprendre et à comprendre avec notre langue si complexe !

La mission des formateurs des CASNAV ne peut se réduire à proposer des outils d’acquisi- tion de la langue française : une attention et un travail particuliers doivent être portés en direc- tion de ce vaste champ des évidences de notre monde scolaire qui ne sont évidentes que pour les élèves et les enseignants baignant depuis toujours dans cet univers, comme pour leurs parents qui en sont issus. Travailler à dénouer ces nœuds de compréhension, expliciter l’im- plicite qui sous-tend les discours, clarifier les codes de notre système, aborder la question des représentations avec les élèves, les enseignants et tous les acteurs de l’intégration scolaire afin d’éviter les maladresses et les incompréhensions réciproques, ce sont là les véritables missions confiées aux CASNAV et aux partenaires en charge de l’accompagnement des ENA dans leur parcours d’intégration. Pour eux, rien n’est fait d’évidences.

Pour aller plus loin

GOI C., Des élèves venus d’ailleurs, SCEREN-CRDP, coll. « Les cahiers de VEI », Orléans-

Tours, 2005.

L’Intégration des nouveaux arrivants : quelle mission pour l’école ?, SCEREN-CRDP,

coll. « Les actes de la DESCO », Versailles, 2005.

Les enfants

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