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étudiante bénévole à Bellefontaine en 2005-

Dans le document Enfants et jeunes nouvellement arrivés (Page 77-79)

J’ai toujours été intéressée par l’éducation. Très tôt, j’ai souhaité être enseignante. J’avais déjà fait de l’accompagnement à l’AFEV en individuel, mais ce qui m’a attirée dans le projet de Bellefontaine, c’était d’être face à un groupe. C’est un peu un défi quand même, parce qu’au départ, aucun des enfants ne parlait français. Le nombre de jeunes suivis a varié au cours de l’année. Au départ, il y avait huit ou neuf enfants, puis il y a eu des nouveaux arrivants en cours d’année, donc le groupe a évolué, d’autres enfants ont ensuite décroché. Il y avait des enfants d’origines très diverses, quatre Maghrébins, deux Turcs, deux Bangladais, une Russe. Nous n’avions qu’une partie des élèves de la CLA, les élèves non francophones. Je dois dire que ceux qui m’ont le plus impressionnée, ce sont les enfants originaires de Turquie. Lorsqu’ils sont arrivés, ils ne comprenaient pas un seul mot de français. Alors la communication est beaucoup pas- sée par le regard pour créer un climat de confiance.

Les enfants ont bien compris la démarche du projet et le rôle qu’on avait. Notre rela- tion était vraiment d’un autre ordre que la relation professeurs/élèves. Il y avait une autre confiance, c’était complètement différent. Ils venaient se confier à nous pour par- ler de leurs relations avec les autres élèves. Parfois, ils se sentaient soit agressés, soit jugés, parce qu’ils ont des cultures très différentes. Par exemple, les Turcs parlaient peu, il fallait respecter ça. Et à l’inverse, les Maghrébins, très extravertis, avaient ten- dance à prendre toute la place. On a essayé de faire respecter l’espace de chacun, de rétablir l’équilibre. Il y a quelques fois eu des tensions dans le groupe, notamment entre jeunes originaires du Maghreb et Bangladais. C’est la raison pour laquelle, au départ, on a vraiment travaillé sur la découverte de l’autre : apprendre à se connaître et surtout, apprendre à s’aimer. Tout le travail s’est articulé autour de ça. On a fait beaucoup d’exercices d’entraide au cours desquels on imposait les binômes. Ensuite, la tension entre les deux groupes s’est un peu réduite, sans toutefois qu’elle disparaisse : ça nécessite un travail sur le long terme. Au sein du groupe, on a également dû veiller sur les fratries. Il y avait par exemple deux frères dans la classe, qui, selon nous, avaient des tendances dépressives. Le frère aîné « sursollicitait » le cadet, qui se débrouillait beaucoup mieux. Ils avaient pris l’habitude que le petit frère agisse et réfléchisse pour deux. On a vraiment essayé de travailler dessus pour que le petit frère puisse s’épa- nouir. On essayait de ne pas les mettre ensemble, et de faire bien comprendre au petit frère qu’il ne fallait pas qu’il donne directement la réponse, parce que c’était devenu quasiment instinctif pour lui.

Le problème dans les classes d’accueil, c’est que les élèves sont tous de niveaux et d’âges très différents. Or, il faut réussir à considérer chaque enfant individuellement et personnaliser le soutien. Cela requiert vraiment un investissement très important. Ça nécessite une grande motivation des professeurs, ainsi qu’une bonne cohésion entre eux, la CPE et les étudiants. Cela a été la difficulté principale cette année-là puisque la professeure de FLE s’est très peu investie. Au début, la communication par l’intermé- diaire du cahier marchait bien, on écrivait tout ce qu’on faisait avec les enfants, mais après ça s’est interrompu. Heureusement que la CPE était là. Elle a véritablement joué

un rôle essentiel durant l’année, c’était elle qui faisait le lien entre nous, la prof et les parents particulièrement.

Il est arrivé que nous nous sentions un peu perdus puisque aucun de nous n’avait eu affaire à un public comme celui-là. On a réussi à décoincer les choses par le biais de l’expression corporelle et du théâtre. On était deux à avoir déjà fait du théâtre et de l’animation, ce qui a beaucoup aidé ! Et puis surtout on a beaucoup échangé entre nous (étudiants) sur tous les moyens qu’on pourrait mettre en œuvre pour que le projet réus- sisse. On se rencontrait à chaque fois avant la séance. On restait aussi à chaque fois au moins une demi-heure après la séance pour discuter de ce qu’on y avait vécu, ce qu’on avait ressenti. On discutait aussi des problèmes d’autorité qui se posaient. On était tous dans une démarche personnelle profonde, avec chacun l’envie de se dépasser dans le cadre du projet. Nous avions décidé qu’on se soutiendrait entre nous trois (les trois accompagnateurs) en cas de problème. On a eu des conflits à plusieurs reprises avec certains élèves. Certains poussaient le bouchon à tel point qu’il nous est arrivé de leur dire que s’ils se comportaient comme ça à la prochaine séance, on ne leur permettrait plus de revenir. Dans le même temps, on savait qu’ils ne voulaient pas partir et que, donc, ils essaieraient de faire en sorte de mieux se comporter. On a vraiment cherché à montrer que nous n’étions pas trois individus séparés, mais véritablement un groupe soudé travaillant en commun. À ce niveau-là, la réunion avec le formateur du CASNAV nous a beaucoup aidés. C’était vraiment super, c’est simplement dommage qu’on n’ait pas pris le temps d’en faire d’autres. Cela nous a beaucoup aidés à communiquer entre étudiants, à nous souder.

Une fois, nous avons fait appel à un intervenant spécialisé dans le conte. Il est venu raconter un conte aux enfants. La séance d’après, les enfants ont créé leur conte à l’oral. Le travail de recherche a bien fonctionné, mais après ils ont eu beaucoup de mal à s’écouter entre eux, à prendre chacun leur place. Certains enfants se moquaient beau- coup de la manière dont les autres parlaient français. On leur a alors expliqué qu’on avait le droit de rire de quelqu’un, mais pas quand c’est à son détriment, et qu’il y a une grande différence entre rire et se moquer. Il ne faut pas oublier que ces enfants sont dans un contexte difficile, qui peut même apparaître hostile. La mère d’un des enfants a été expulsée en cours d’année, il a été placé en foyer. C’était un élément moteur au départ, il était très impliqué, ensuite il a complètement changé, il a décroché. Il ne croyait plus en rien, n’avait plus d’espoir.

J’ai pu mesurer les différences avec l’accompagnement à domicile. À domicile, il y avait un lien avec les parents beaucoup plus fort. Quand c’était fini avec l’enfant, je passais beaucoup de temps à parler avec les parents. Ils comprenaient très bien ce que je venais faire là. Au collège Bellefontaine, on a eu très peu de contact avec les parents. On les avait conviés à une réunion après la troisième séance. La CPE était présente aussi, pour expliquer ce qu’on allait faire durant l’année, les élèves ont présenté aux parents ce qu’ils avaient déjà fait. Lors de la réunion, ça s’est très bien passé, on a pu créer du lien, mais ça a vraiment été le seul moment d’échange. Malheureusement, peu de parents sont venus. Pour moi, la difficulté d’un projet de ce type, c’est de réussir à atteindre les parents et leur faire envisager la pertinence du projet alors qu’ils ont telle- ment d’autres problèmes à résoudre. Je pense qu’il est primordial d’avoir un relais à la maison. Il faudrait investir plus les parents, les convier aux réunions de projets. Parce que s’ils ne savent pas ce que c’est, ils ne vont pas prendre le temps de s’y intéresser. Au niveau des acquis scolaires, c’est plus facile de travailler en individuel parce qu’on peut s’adapter aux difficultés de l’enfant et essayer de décoincer petit à petit chaque problème. En groupe, c’est délicat, il n’y a pas le même degré d’individualisation. Par

contre, le groupe permet vraiment de travailler sur l’intégration en société, l’acceptation de l’autre. Et, pour moi, c’est essentiel.

Avant de faire ce projet, j’étais déjà très sensibilisée aux causes politiques et humani- taires. Maintenant que je suis en formation de professeur des écoles, j’envisage de tra- vailler avec des enfants nouvellement arrivés. Le bénévolat s’inscrit toujours dans une démarche, c’est souvent à l’intersection d’une envie, d’un intérêt universitaire et pro- fessionnel. Je crois qu’il est important de garder ça en tête, parce que le bénévolat ne prend du sens pour l’enfant que si ça prend du sens pour le bénévole.

Dans le document Enfants et jeunes nouvellement arrivés (Page 77-79)