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2.2 A L ’ ECHELLE DU PAYS : L E MIRACLE INDIEN DES TELECOMMUNICATIONS

2.2.1 Le téléphone fixe

Tout comme pour le chemin de fer, le réseau de télécommunication indien a été mis en place par l'administration anglaise dont les objectifs étaient avant tout politiques. Les premières expériences du télégraphe, par exemple, eurent lieu dès 1839, l'année même ou Samuel Morse mis en place la première ligne de télégraphe au Royaume-Uni. La première ligne opérationnelle indienne fut construite entre Calcutta, qui était alors le siège du pouvoir britannique, et Diamond Harbour en 1851 sur 22 kilomètres environ. Le réseau de télégraphe était sous le monopole du gouvernement et dépendait directement du Gouverneur Général britannique. Vingt ans après son introduction, il était possible d'envoyer un télégramme depuis toutes les grandes villes indiennes (B. Mody, 1997). De même, le téléphone fut introduit en Inde par des capitaux anglais privés seulement cinq ans après son invention en 1881. Calcutta fut, une fois de plus, le point de départ du réseau. La première ville à avoir un « automatic exhange » fut Shimla qui était alors la station d’été des britanniques. Les firmes privées géraient les services dans cinq grandes villes indiennes tandis que le Directeur Général avait en main tous les autres services nationaux qui étaient toutefois limités aux espaces urbains. L'Inde britannique comptait 86 000 lignes de téléphones et 338 cabines téléphoniques longue distance. Le nombre de téléphones était alors de 0,25 pour 1000 habitants. Les cadres législatifs mis en place par les Anglais ont posé les bases légales du monopole de l'Etat indien sur le secteur des télécommunications après l'Indépendance. Il s'agissait de l'Indian Telegraph Act de 1885 et du Wireless Telegraph Act de 1932. Ils restent à l'heure actuelle les bases légales du système de télécommunication indien. En effet, le terme « télégraphe » y avait été défini de manière à inclure toutes les formes de communication, avec ou sans fil, comme le téléphone, le télex, la vidéo, le transfert de données ou la radio.

La période qui suivit l’indépendance était caractérisée par la faible attention accordée au secteur des télécommunications (Cf. Chapitre1). Depuis l'ouverture économique du pays en

1991, les changements dans le domaine des technologies de communication et d'information ont été rapides et ils ont contribué à modifier de manière spectaculaire certains aspects du paysage socio-économique indien. Des progrès phénoménaux ont été faits en peu de temps dans le domaine des infrastructures. Fin 1999, l'Inde avait installé un réseau de plus de 25 millions de lignes, ce qui en faisait le neuvième plus grand réseau mondial. Quatre vingt pour- cent de cette infrastructure n’ont été ajoutés que dans les années 1990. Le graphique 2.1 montre que le nombre de téléphones en Inde a crû de manière spectaculaire depuis le début des années 1990 : On comptait 3,27 millions de lignes en 1986 et 14,5 en 1997. En un peu plus de dix ans le nombre de téléphones a donc été multiplié par plus de quatre.

Graphique 2.1 : croissance du réseau téléphonique indien entre 1971 et 2002

0 1 2 3 4 5 6 1971 1973 1975 1977 1979 1981 1983 1985 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2001 Sources : Annual Report 2002-2003. Departement of Telecommunications. Governement of India.

N o mb re d e lig n es en service (pour 100 habitants)

Le réseau de téléphone indien semble poursuivre la tendance que lui avaient impulsée les Anglais au départ : il est essentiellement urbain (comme dans la plupart des étapes initiales de la diffusion d’une innovation) : tandis que 75 % de la population indienne vit dans les espaces ruraux, 90 % de téléphones sont localisés dans les espaces urbains. L'expansion des télécommunications dans les années 1990, bien que prêtant attention aux besoins des ruraux, était menée en particulier par les besoins des entreprises et des classes moyennes et supérieures. Les quatre métropoles sont les portes d’accès pour les communications internationales qui sont assurées soit par des satellites internationaux de communication soit par des câbles sous-marins. Le trafic avec un pays étranger dépend du niveau des transactions commerciales avec ce pays et le nombre d’indiens expatriés vivants là bas ; le trafic avec les Etats-Unis représente environ

36 % du trafic total du VSNL (Raina J. 1998).

Le téléphone public tente tout de même de remédier à cette tendance : il est considéré comme l'un des moyens d’atteindre l'accès universel auquel aspire le gouvernemen. Aujourd’hui, « les téléphones sont toujours rares dans les maisons, mais un grand nombre de petites boutiques, dans tous les quartiers et jusque dans les villages permettent l’accès à ce service qui fonctionne parfaitement dans l’Inde entière depuis le début des années 1990 » (Cadène P. in Saglio- Yatzimirsky M.C., 2002). A l’heure actuelle, l'Inde est très efficace dans ce domaine et on compte, à l’heure actuelle plus de 500 000 téléphones publics dans les villes mais, encore une fois, seulement 58 % des villages en disposent d’un (T.H. Chowdary, 2000).

Dans la plupart des Etats les objectifs fixés par le Department of Telecom (DoT) ne sont pas remplis à part dans des Etats du sud comme l'Andhra Pradesh, le Tamil Nadu, le Karnataka et, dans une moindre mesure, le Maharashtra. Le reste des villages pourrait vraisemblablement être couvert en deux ans, mais il faudrait recourir à des méthodes imaginatives impliquant à la fois des choix politiques (compagnies privées ou publiques ?) et technologiques (avec ou sans fil ?). Des projets mis en place par des organismes privés, des ONG et le Département des Télécommunications couvrent d'antennes et de relais certaines régions, pendant que les téléphones mobiles et Internet font irruption dans certains villages. La technologie du multimédia et les messages vocaux en langues locales ont l’avantage de dépasser les problèmes de compréhension liés à l’analphabétisme et à la diversité des langues indiennes. Ces nouvelles technologies sont utilisées dans plusieurs domaines, administration publique, informations sur les cours du marché, formation ou conseils portant sur de nouvelles techniques ou de nouveaux produits agricoles36.. Mais on se demande encore s’il s’agit d’expériences pionnières

ou anecdotiques. Pour les villages situés dans les zones les plus reculées se pose en outre la question de la rentabilité non seulement à cause des coûts de maintenance des infrastructures, mais aussi à cause des faibles besoins en télécommunication que l'on prête aux habitants de ces villages. Toutefois, le modèle du Grameen Telephone, au Bangladesh, où des téléphones cellulaires gérés par des femmes servent de téléphones publics montre que la mise en place d'un tel service peut se révéler être assez rémunératrice (A.Bayes, J. von Braun, R. Akhter, 1999).

Une certaine prise de conscience de l'intérêt économique que pourraient représenter les villages indiens a émergé en juillet 2001. En effet, avec le ralentissement de la croissance aux États-Unis au début de l'année 2001, le secteur des technologies de l'information indien dû faire face à de sérieux problèmes, en particulier en ce qui concerne l'exportation de logiciels.

Les entrepreneurs indiens durent trouver de nouveaux débouchés et surtout de nouveaux marchés à exploiter. La solution, pour eux, pourrait venir des campagnes indiennes qui représentent un vaste marché quasiment inexploré : « au lieu de regarder au-delà nos rivages, pourquoi ne pas nous tourner vers notre propre pays et également au-delà des espaces urbains ?37 » (Vittal N. 2001). Les campagnes indiennes devront peut-être leur connexion au

réseau de télécommunication national, au ralentissement de la croissance aux Etats-Unis. A la fin du mois de décembre 2002, plus de 84 % des villages indiens étaient connectés au réseau de téléphone par le BSNL.