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2.2 A L ’ ECHELLE DU PAYS : L E MIRACLE INDIEN DES TELECOMMUNICATIONS

2.2.4 Disparités à l’échelle nationale

nombre de téléphone pour 100 habitants dans les Etats indiens et les districts d’Inde du sud avec la même échelle, donne une image assez homogène du pays (carte 2.7 à 2.9). Les quatre métropoles se distinguent pourtant avec des taux proches de ceux de l’Europe de l’Est tandis que les Etats indiens connaissent dans leur ensemble des taux semblables à ceux de l’Afrique sub-saharienne. Ces cartes permettent toutefois de mettre en évidence que le territoire indien est divisé globalement selon une ligne nord-sud, avec l’enclave du Punjab, de l’Haryana, et de l’Himachal Pradesh au nord-ouest de New Delhi et que dans le sud ce sont les districts qui comptent les capitales des Etats et les districts côtiers qui sont les mieux pourvus. Changer d’échelle de discrétisation va nous permettre d’affiner l’étude de ces différences.

S’ils se plaisent à souligner le retard de l’Inde par rapport à l’ensemble du monde, les auteurs indiens ne sont pas non plus les derniers à souligner les profondes disparités qui marquent le territoire national : « le gouvernement indien est enthousiaste à propos du futur du pays avec les autoroutes de l’information et les cybervilles mais il existe un contraste douloureux avec nos villages et nos bidonvilles sans eau potable, ni système sanitaire, ni possibilités d’éducatives ou économiques et avec une pauvreté chronique (sans même imaginer les luxes de l’électricité, du téléphone ou même d’une route correcte) » (Prasad K. 2004 P.6). Le décalage entre la politique qui favorise les secteurs de technologie de pointe et la classe moyenne qui en vit, a coûté les élections législatives de 2004 au parti nationaliste, dont le slogan « India Shining » s’adressait aux classes favorisées, au bénéfice du parti du Congrès de Sonia Gandhi. Comme le souligne M. Castells (1998, p.143), les disparités qui existent à l’échelle du monde se retrouve également à l’échelle de l’Inde : « la croissance économique, la capacité technologique et les conditions sociales se diversifient aussi de plus en plus entre les régions du monde, entre les pays, à l’intérieur des pays voire des provinces. L’Asie du Sud, et particulièrement certaines régions de l’Inde, s’est engagée au cœur des années 1990 dans un processus rapide de croissance économique, d’intégration dans l’économie globale, améliorant sa performance moyenne de la décennie précédente (…). Après la crise économique de 1990, l’Inde s’est lancée dans une politique nouvelle d’internationalisation et de libéralisation de son économie qui s’est traduite par un boom dans les régions d’Ahmedabad, Bombay, Bangalore (nouveau centre nodal de l’industrie électronique mondiale) et New Delhi. En revanche la plupart des zones rurales et quelques centres métropolitains comme Calcutta connaissent toujours la quasi-stagnation économique. Et l’on peut dire que l’inégalité sociale et un capitalisme sauvage d’un genre nouveau maintiennent dans la misère la majorité de la population indienne y compris dans les centres urbains les plus dynamiques ». En effet, « L’intégration de l'Inde aux réseaux mondiaux par sa participation à une circulation généralisée des biens des hommes et des capitaux ne

s'effectue qu'en certains lieux, principalement quelques villes du sud. La révolution de l'Information, en Inde comme dans le reste du monde est un phénomène largement urbain ou semi urbain » (A. Singhal, E. Rogers, 2000).

Ainsi, si à l’échelle du monde dans son ensemble, la répartition des taux de connexion de la population indienne au téléphone fixe peut sembler assez homogène (Carte 2.8 et Carte 2.9) et que « l’espace indien est certes plus intégré au début du troisième millénaire qu’il ne l’a jamais été » (Cadène C, Morel J.L. 2003), les disparités relatives aux infrastructures de communication sont très fortes sur le territoire indien. Le gouvernement indien le rappelle à chaque nouveau rapport sur les télécommunications, comme dans celui de 2002-2003 : « la fracture numérique mesurée en terme de télédensité entre les différents Etats et à l’intérieur même des Etats, en particulier ceux qui ont une vaste superficie et une population importante, est très visible. Tandis que, en général, les Etats du Sud, y compris le Maharastra, ont une télédensité plus importante que la moyenne nationale, ceux de l’Ouest, (excepté le Gujarat), du Centre et de l’Est ont une télédensité inférieure à la moyenne nationale » (Annual Report 2003-2003,

Department of Telecommunication, Government of India). La question de la disparité entre

espace rural et espace urbain est celle qui semble se poser avec le plus d’acuité pour le gouvernement indien : « (…) il n’y a pas un plan du Department of Telecommunication qui ne promette pas de plus en plus de téléphones dans les espaces ruraux et l’amélioration du service pour ces téléphones ruraux et isolés » (T.H. Chowdary, 2000)40. Toutefois, souligne l’auteur, à

part dans les Etats comme l’Andhra Pradesh, le Tamil Nadu, le Karnataka et parfois le Maharastra, l’objectif des téléphones publics ruraux n’a jamais été atteint par le DoT. Il faut dire que l’Etat fédéral n’est plus le seul, depuis 1991, à prendre les décisions en matière d’investissement : « les Etats peuvent désormais définir les conditions d’investissement sur leurs territoires au moyen de réductions fiscales et d’autres primes de localisation » (Kennedy L., in M-C. Saglio-Yatzimirsky, 2002). Nous allons chercher ici à détailler plus précisément la structure des disparités sur le territoire indien et à apporter des éléments d’explication.

Les cartes 2.11 à 2.13 donnent une image de la réparation dans la population de trois moyens de communication, le téléphone fixe, le téléphone mobile et Internet à l’échelle de l’Etat indien. Il faut d’ores et déjà souligner une différence importante dans les données utilisées pour réaliser ces cartes. Celles du téléphone fixe, recueillies dans le rapport annuel du DoT de 2002- 2003, tiennent compte du réseau public (BSNL et MTNL) et de celui des opérateurs privés. Il en va de même pour les données relatives au téléphone mobile recueillies sur le site du Cellular

importante (76 %) dans la téléphonie fixe que dans la téléphonie mobile (24 % en septembre 2004). Enfin, en ce qui concerne les connexions Internet, nous disposons malheureusement uniquement des données relatives à l’opérateur public Sancharnet. Ceci peut se révéler important dans l’interprétation des structures spatiales révélées par les taux de connexions dans la population et cela d’autant plus que les fournisseurs d’accès privé tiennent une place très importante.

Les trois cartes générales41 (2.11 2.12 et 2.13) nous permettent de constater que les taux de

connexions sont les plus importants dans les quatre métropoles qui structurent l’espace indien, New Delhi, capitale de l’Union indienne, Mumbai capitale économique, Kolkata et Chennai. On y trouve, par exemple, respectivement un nombre de téléphones fixes de 28, 33, 35, et 39 pour 100 habitants, ce qui est nettement supérieur à la moyenne indienne (9 %), mais ce qui reste nettement inférieur à la moyenne mondiale de 47 %. Ces quatre agglomérations urbaines sont donc les mieux dotées en infrastructures de télécommunication.

En ce qui concerne les Etats indiens, ces cartes présentent des structures relativement semblables, même lorsque, pour le téléphone fixe, nous avons détaillé le taux de connexion au réseau téléphonique entre les espaces ruraux et les espaces urbains. Les représentations de trois indicateurs qui nous semblent pouvoir rendre compte du degré de développement économique des Etats, et pourvoir contribuer à expliquer le niveau de connexions aux moyens de communication, la richesse des Etats indiens, leurs taux d’urbanisation et de connexions des foyers au réseau électrique, (cartes 2.14 à 2.16), présentent des structures semblables. La carte des « composantes de la différenciation spatiale actuelle », proposée dans l’ouvrage Asies

Nouvelles (Durand-Dastès F., in Foucher M., 2002), rend compte également des mêmes

disparités spatiales, tandis que P. Cadène (in M-C. Saglio-Yatzimirsky, 2002) propose un modèle graphique qui présente la même structure.

Hors des métropoles, les taux de connexion les plus importants se rencontrent dans le Sud de l’Inde, dans l’Ouest (Maharashtra et Gujarat) et dans les petits Etats situés autour de New Delhi, l’Haryana, le Punjab, et l’Himachal Pradesh. Les cartes 2.14 et 2.15 montrent que ce sont également les Etats les plus riches, les plus urbanisés et dans lesquels le taux des foyers connectés au réseau électrique est le plus important. Le territoire national est ainsi fortement contrasté. Les quatre Etats du Sud de l’Inde, sur lesquels nous reviendrons en détail par la suite, présentent un niveau de développement économique important, basé sur des capitales économiques dynamique (Chennai, Bangalore et Hyderabad) et un réseau de villes plus dense dans le Tamil Nadu. Le Maharashtra connaît également un développement important, dynamisé par Mumbai qui « domine un semis de villes constituant un axe de développement le long du littoral s’étendant sur deux puissants Etats, le Maharashtra et le Gujarat » (F. Durand- Dastès, 2002, p.90) qui comptent également Ahmedabad, Surat et Pune, au riche passé industriel et commercial. Enfin la capitale indienne, New Delhi, est également le « centre d’un ensemble dynamique du point de vue agricole et industriel » (F. Durand-Dastès, in Foucher M., 2002, p.89). Les petits Etats du Punjab et de l’Haryana ont connu une modernisation

agricole importante, lors de la Révolution Verte, qui a été le vecteur d’un développement commercial et industriel.

Les taux de connexion les plus faibles sont localisés dans les Etats du centre de l’Inde, la plaine du Gange, et les Etats montagnards de l’Est. Tout d’abord, si la région de Kolkata connaît un fort taux d’urbanisation du fait de la présence de la métropole, les taux de connexions aux infrastructures de communication y restent faibles. En effet, capitale délaissée par les Britanniques au profit de Delhi et victime, d’un point de vue économique, de la partition qui l’a coupée d’une bonne partie de ses ressources situées en territoire bangladeshi et qui a déversé sur la ville des flots de réfugiés, Kolkata n’a pas le pouvoir économique de Delhi et de Mumbai. L’Etat du West Bengale souffre d’une situation économique médiocre et son environnement régional est particulièrement peu dynamique d’un point de vue économique, avec la proximité du Bihar, de l’Orissa et des Etats de l’Est. La pression démographique y est très forte comme dans le reste de la plaine du Gange (Uttar Pradesh et Bihar). L’Uttar Pradesh, qui ne connaît pas les taux de connexions les pires, profite dans sa partie ouest de la diffusion du processus de développement induit par New Delhi et d’un réseau de grandes villes. Le Bihar (et le Jarkhand qui en est issu), sont parmi les Etats les plus en retard. Ces Etats souffrent d’un contexte socio- politique dû au pouvoir des grands propriétaires, qui empêchent le développement, malgré des terres fertiles et riches en minerais. L’Orissa, le Chattisgarh, et les Etats de l’Est sont caractérisés par la présence importante de population dites « tribales » et ces espaces, qui n’ont pratiquement jamais été intégrés aux constructions politiques pan-indiennes, restent très à l’écart du développement. Si ces Etats sont peu riches, peu urbanisés et peu connectés au réseau électrique (avec toutefois des situations très variées dans les Etats frontaliers de l’Est), le taux de pénétration des moyens de communication n’est pas toujours parmi les derniers, en particulier en ce qui concerne le téléphone fixe (et même comme le montre la 2.11.b pour les téléphones ruraux), ce qui pourrait traduire une volonté politique d’intégration ou pour les Etats de l’Est, correspondre à leur situation frontalière stratégique.

Au centre de l’Inde, le Madhya Pradesh et le Rajasthan sont dans une situation globalement moyenne. Ces deux Etats ont un réseau de villes assez important. Le Madhya Pradesh connaît une situation particulière : les indicateurs de développement choisis pourraient contribuer à classer cet Etat parmi les moins défavorisés mais il semble assez peu favorisé dans le domaine des télécommunications. Le Rajasthan, relativement en retard par rapport au reste du pays, connaît toutefois un développement rapide entre Jaipur, sa capitale, et Ahmedabad (au Gujarat), le long de la route nationale reliant New Delhi et Mumbai. P. Cadène et J.L. Morel

(2003) soulignent que le Rajasthan connaît une extrême diversité de situations : « certains villages situés sur l’axe Delhi-Ahmedabad-Mumbai, même encore dépourvus de routes goudronnées découvrent la possibilité d’avoir accès au haut débit grâce qu passage de réseaux de fibres optiques liant les deux régions en développement que sont celles de Delhi et de Mumbai alors que d’autres villages doivent encore attendre l’arrivée du téléphone ».

2.3 DIFFERENTES ECHELLES DES DISPARITES DE LA REPARTITION DES

TELECOMMUNICATIONS EN INDE