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Synthèse de la première partie

CHAPITRE 5 : Investiguer les modalités d’intervention des professionnels

II. Le cadre méthodologique de l’analyse du travail

2. La tâche : répondre à des contraintes

Les liens étroits qui unissent tâche et activité ne permettent pas d’apporter un éclairage qui dissocierait ces deux objets sur la scène de l’analyse du travail. Nous

aborderons la tâche confiée aux professionnels comme un élément préexistant à l’activité. Nous définirons d’abord les composantes qui guident notre travail de recherche, pour ensuite préciser de quelle manière aborder les contours et les implications de la finalisation de cette tâche en activité, en fonction des contraintes que se fixe le sujet ou qui se posent à lui. Nous prendrons en compte le contexte particulier d’analyse du travail qui est le notre : un établissement scolaire n’est pas une entreprise. Le profitable se détermine plus en termes d’éducation des élèves qu’en une simple capitalisation de savoirs. De fait, les professionnels de l’Ecole se placent dans une perspective non linéaire, avec une multitude de paramètres contraignants qui les mettent en tension dans leur travail (Rabardel, 1995).

La définition de Leontiev (1976) caractérise la tâche comme « un but donné dans des conditions déterminées ». Cette définition sous-tend les notions de « tâche prescrite » et de « tâche redéfinie » (Goigoux, 2005). Nous pouvons les décrire du point de vue des états, des opérations et des procédures qui les conditionnent (Leplat et Hoc, 1983). « L’analyse du travail peut diverger sensiblement du sens commun qui décrit généralement une tâche comme un ensemble d’opérations, erreur fondamentale en analyse du travail, qui est d’exprimer le comment par le quoi, assimiler l’activité à la tâche, l’effectif au prescrit » (ibid.).

La « caractérisation de la tâche dans un espace d’états plus ou moins large (en fonction des contraintes apparaissant dans la définition de la tâche) et plus ou moins bien définie (selon le niveau de précision adopté) » (Leplat et Hoc, 1992) permet de déterminer des états initiaux d’observation, autrement dit leurs « conditions d’apparition ». Ainsi, les micro ou macro contraintes temporelles (durée d’une séance de classe, découpage de l’emploi du temps ou de l’année scolaire…) et spatiales (lieux d’intervention, géographie de l’établissement…) ne peuvent être appréhendées sans la prise en compte des individus qui animent ces espaces et ces temps : les élèves et les personnels. Il s’agit ici d’un élément de distinction fort entre ce qui est constitutif de l’analyse du travail de l’homme sur des machines industrielles et de l’analyse du travail de l’homme sur des « machines » humaines, creusets de l’aléatoire et du prévisible, de l’irrationnel et du rationnel. Cette bivalence est densifiée par le dénombrement difficilement

exhaustif des variables intervenantes. Notre contrainte de recherche la plus importante est d’identifier les variables principales en introduisant l’idée de leur affecter des valeurs relatives du fait de l’importance potentielle de certaines de ces variables par rapport à d’autres.

La description des espaces d’états de la tâche (Leplat, 1992) est dynamisée par ses acteurs. Toute situation conserve une valeur transitoire. Aussi, la description d’états intermédiaires construit un espace d’états dont le moment de description doit être pris en compte. Deux études situées à des temps différents de notre recherche contribueront à faciliter l’identification de ces états au service d’une

« mise en valeurs » du processus observé. Nous introduirons, lorsque cela s’avère pertinent, des données quantitatives au service du recueil qualitatif de données. Les opérations qui permettent la transformation de ces états s’organisent en système. « Elles indiquent comment cheminer dans l’espace d’états » (Leplat et Hoc, 1992). Cette approche systémique apporte une précision sémantique importante dans le champ de la prévention du tabagisme. Le terme de « programme de santé » (en sa qualité en santé publique d’interventions prédéterminées) ne nous convient pas. Nous emploierons plutôt le terme de

dispositif avec une double valeur : personnelle et d’opération (Hoc, 1980) ou collective (Vial, 1999). Plusieurs dispositifs personnels d’opérations peuvent composer un dispositif collectif. Pour Vial (1999), « le terme « dispositif » est plus approprié, si on y entend un schéma de la relation qui devra s'actualiser à chaque fois différemment selon les conditions d'exercice et les aléas de la relation humaine, un ensemble de principes et non pas un plan à suivre ». La réalisation d’un répertoire d’opérations contribue à rapprocher « dispositif » et « tâche ». Elle offre un contrôle du processus à partir du point de vue du sujet. Cette démarche d’analyse du travail, à partir de ce que met en œuvre le sujet, nous semble être un levier indispensable pour dépasser les contraintes évaluatives de l’action des professionnels du milieu scolaire. Le contrôle du processus s’en trouvera amélioré puisque collant au plus près du sujet et ce, en considérant ses contraintes opérationnelles (Karnas, 1987) (figure 5).

L’analyse autour du « comment » qui accompagne l’observation ou le prélèvement d’indices des procédures engagées, concourt à l’établissement de

principes d’élaboration de réponses possibles à la tâche prescrite autour d’une double intention : l’intention du prescripteur qui souhaite orienter l’activité, et celle relative à la lecture que le sujet en propose au travers de son activité de redéfinition mentale.

Figure 5 : Contextualisation de la tâche et de l’activité (d’après Karnas, 1987)

Légende : Le schéma distingue les exigences du travail de l’activité, « à savoir les statuts respectifs des notions de tâche et de conditions de travail dans leur relation avec l’activité ».

Pour le prescripteur, sa capacité à détailler ou non la tâche est un facteur important, tout particulièrement pour des domaines transversaux comme l’éducation à la santé et la prévention du tabagisme. Les prescriptions dans ces domaines restent à un niveau souvent très général, et le sujet doit les intégrer avec très peu d’énonciation de liens avec son activité. L’importance de l’implicite est telle qu’il peut faire obstacle. Mais une autre dimension de l’implicite existe. Les professionnels peuvent se déclarer comme faisant « implicitement » ou « explicitement » de la prévention du tabagisme, comme pour « passer sous silence » (Leplat, 1992) certaines conditions d’engagement ou de non engagement sur ces problématiques. Pour reprendre Leplat (1997), « la description d’une tâche se réfère toujours, implicitement ou explicitement à une conception du sujet auquel elle s’adresse ». Il semble incontournable de repositionner le sujet au centre des procédures opératoires qu’il mobilise. Sa lecture du « comment » confrontée au « comment » initialement prescrit par les textes officiels se traduit par une distance porteuse de sens. Cet écart, dû à l’implicite que la tâche prescrite suppose, peut ou non permettre d’exécuter la tâche sans traduction. La nécessité

Tâche Caractéristiques de l’opérateur Activité Conséquences pour l’opérateur Conséquences pour le système Conditions de travail

d’explicitation de la tâche renvoie aux langages parfois très différents utilisés selon qu’il s’agisse de prescripteurs en santé publique ou de professionnels de l’Ecole. Cela n’est pas propice à une compréhension mutuelle. Il ne faut pas s’étonner si ces difficultés « langagières » confortent une impression de distance entre les procédures opératoires observables et celles qui sont prescrites. Il ne viendrait à l’esprit de personne de demander à un maçon d’utiliser des outils de pâtissier pour construire un mur, ni de se baser sur le schéma d’une pièce montée pour qu’il construise une maison !

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