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CHAPITRE 2 : Education et santé : vers une modélisation

II. La question des thématiques de santé

1. Des contenus définis en référence aux pratiques sociales

La spécificitédes objets d’enseignement en matière de santé impose de prendre en compte leurs caractéristiques. Leur statut inhabituel dans le milieu scolaire de concepts à caractère juridique, idéologique et politique nécessite de les ancrer fortement dans un réseau notionnel et conceptuel issu de différents champs disciplinaires. Mais il convient également de tenir compte de savoirs implicites, voire cachés, chargés de valeurs, qui s’y trouvent associés (Lange et Victor, 2006). Ainsi, en l’absence de savoirs identifiés susceptibles de fonder ses contenus (une discipline académique), l’éducation à la santé fait appel aux pratiques sociales existantes dans le champ concerné, à ce qui est reconnu comme commun à un moment donné sans pour autant prétendre à l'universel. Ceci n’est pas spécifique à l’éducation à la santé ni même aux « éducations à ». L’éducation physique et sportive ou l’éducation technologique par exemple sont aussi dans cette situation. Le concept de pratiques sociales de référence, défini par Martinand dans le champ didactique13 consiste à mettre en relation les activités scolaires avec « les situations, les tâches et les qualifications d’une pratique donnée ». Le problème est que dans le domaine de la santé et plus généralement des

13 À propos d’un projet d’initiation aux techniques de fabrication mécanique en classe de quatrième, in A.

Giordan (coord.). Diffusion et appropriation du savoir scientifique : enseignement et vulgarisation. Actes des Troisièmes Journées Internationales sur l’Education Scientifique. (pp. 149-154) Paris : Université Paris 7.

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comportements privés, il n’y a pas, par définition, de norme sociale générale et reconnue par tous.

Si c’est essentiellement en référence aux thématiques de santé publique que se structurent les pratiques sociales, plusieurs cas de figure se présentent. Un certain nombre de comportements sont clairement encadrés par la Loi (drogues illicites, violences sexuelles, conduite sous l’emprise des psychotropes…). Les savoirs enseignés sont légitimés par le rôle de l’Ecole dans la formation du citoyen et l’éducation au « vivre ensemble » pour lequel le rapport à la Loi est central. D’autres comportements, s’ils restent du registre de la liberté individuelle, ne font pas l’objet d’un consensus social fort : c’est le cas notamment de la consommation de tabac, source de débats intenses. Enfin, pour d’autres, il n’y a pas une pratique sociale déterminée sur laquelle fonder la transmission soit parce que ce n’est pas possible pour des raisons éthiques de respect de la différence, soit par carence d’informations scientifiques ou de représentations sociales. C’est le cas notamment du domaine de la sexualité. Pour ce thème, c’est la référence à ce qui définit le « vivre ensemble » c'est-à-dire les valeurs de dignité, de liberté, de responsabilité, de laïcité comme de fraternité qui doit guider la définition des contenus et aussi les limites de la contribution de l’Ecole. Cette référence au statut social des thématiques constitue l’une des façons d’organiser les contenus en éducation à la santé. Une autre, basée sur la finalité éducative, peut être proposée.

2. Prendre soin de soi et des autres, éviter les conduites à risque

Il semble en apparence difficile de regrouper dans un même ensemble des activités éducatives aussi hétéroclites que celles ayant pour objet l’équilibre alimentaire, les rythmes de vie, les habitudes d’hygiène quotidienne, l’épanouissement de la sexualité de la personne, la prévention de la violence, des toxicomanies, de la prise de risques routiers, la diminution du risque cardio- vasculaire ainsi que le développement d’un regard positif sur son propre corps ou le respect d’autrui… La question de l’unité de l’éducation à la santé en milieu scolaire est nécessairement posée car l’élaboration d’un programme listant les compétences à acquérir dans tous ces champs conduirait à la structuration d’un édifice lourd et confus. Or l’éducation d’une personne ne peut être basée sur

l’empilement de modules aussi bons soient-ils, il doit y avoir cohérence14. Ce qui est valable pour l’éducation en général l’est aussi pour l’éducation à la santé. L’empilement de séquences éducatives sur un vaste ensemble de thèmes conduits, de surcroît, à allouer un temps très court à chacune de ces séquences : le temps scolaire n’est pas extensible et les priorités éducatives sont bien nombreuses ! En général lorsque l’éducateur dispose de peu de temps, son action se limite à une information. L’ensemble de ces raisons ne peut que conduire à faire le deuil d’une approche exhaustive des problèmes de santé et risques potentiels. Cette liste de thèmes a, du reste, pour caractéristiques d’évoluer au cours du temps. Les comportements à promouvoir et les risques à prévenir, lorsque les élèves d’aujourd’hui auront atteint l’âge adulte, ne seront probablement pas les mêmes que ceux qui sont l’objet de l’éducation à la santé de nos jours. Il n’est d’autre choix que de faire confiance à l’apprenant et d’aborder l’éducation à la santé comme un tout faisant sens et prennant sa place au cœur de l’ensemble des activités éducatives de l’Ecole. Cette nécessité de cohérence éducative est loin d’être en opposition avec les apports des neurosciences15 et de la psychologie en particulier dans le domaine des conduites à risque. Les motivations qui conduisent à regrouper la consommation pathologique de psychotropes (alcool, cannabis, héroïne, cocaïne, anxiolytiques…), la prise de risques sportifs ou routiers, les troubles du comportement alimentaire ou le dopage, dans les conduites à risque sont liées au fait que bon nombre des facteurs psychologiques ou environnementaux qui les conditionnent sont communs. Identifier des éléments communs (sur lesquels l’éducation est susceptible d’avoir une action) ne veut bien évidemment pas dire que tous les objets de l’éducation à la santé soient solubles dans un seul et même cadre explicatif. Une telle approche ignorerait la complexité

14 D’une façon générale, l’une des causes les plus profondes de l’échec scolaire est localisée dans cette

absence de perception de sens chez les élèves et au sentiment de passer arbitrairement d’un domaine de connaissance à l’autre.

15 Les bases neurochimiques des comportements addictifs sont communes : tous les psychotropes modifient la

production de certains neuromédiateurs dans le système nerveux central et agissent sur la production d’hormones. On sait en particulier qu’une de leurs actions est d’accroître la production de la dopamine dans les structures du cerveau impliquées dans la régulation des émotions. Des stimulations d’une autre nature que la prise de psychotropes sont susceptibles d’avoir des effets de même nature. Il s’agit en particulier de la pratique physique intense, les sportifs acharnés qui doivent brutalement cesser leur activité peuvent être plongés dans un véritable état de manque physique. Le dopage est par ailleurs considéré par de nombreux auteurs comme étant une forme de toxicomanie. En tout état de cause, il existe un lien entre pratique physique de haut niveau, dopage et toxicomanie, cette dernière se développant particulièrement au cours de périodes de vulnérabilité : blessure, arrêt, baisse des résultats.1

inhérente aux réalités humaines. Les questions posées par les conduites à risque (toxicomanies, risque routier, sportif, violence…) et celles relatives au « prendre soin de soi et des autres » (hygiène, nutrition, rythmes de vie, activité physique…) restent encore pour une large part différentes. Toutefois, il reste possible de trouver une certaine cohérence par l’analyse des facteurs qui, dans l’histoire de l’individu, sont susceptibles d’interagir avec la mise en œuvre de comportements mettant en cause sa santé et celle de la communauté. L’Ecole n’a ni la mission ni les moyens d’agir sur l’ensemble des aspects concernés. Pour autant, certains sont accessibles à l’action éducative en milieu scolaire. Des contenus spécifiques doivent indéniablement faire l’objet d’apprentissages. Il est probablement tout aussi inadéquat de réduire l’éducation à la santé à des apports thématiques que de la limiter au développement de savoir-être généraux (compétences personnelles et sociales au sens large du terme). Il est une nouvelle fois question ici d’articulation de dimensions différentes et irréductibles (document 3).

Document 3 : Les diverses thématiques de l’éducation à la santé peuvent se répartir en deux groupes. Celles qui sont centrées sur la prévention des conduites à risque et celles qui renvoient au prendre soin de soi et des autres.

Education à la santé et thèmes

Une action éducative qui vise à permettre aux élèves de : • Etre autonome en matière de santé • Faire des choix libres et responsables

Apprendre à prendre soin de soi et des autres Eviter les conduites à risque

« Prendre soin » ne renvoie pas à un mode de vie standardisé. L’action éducative ne peut être normative tant le poids des déterminants sociaux et de la diversité des situations humaines est grand. L’individu ne peut être tenu pour seul responsable de ses choix ni, corrélativement, être considéré comme le jouet de déterminants sociaux que le dépassent. Cette idée du « prendre soin » n’inclut aucun caractère moral, elle est centrée sur la capacité à choisir et la responsabilité qui sont des compétences citoyennes. Elle situe la santé non comme une fin en soi mais comme une condition de possibilité d’une vie pleinement humaine. Enfin, contrairement aux conduites à risque, les thèmes concernés ne sont pas nécessairement en lien avec une problématique sociale aiguë.

Les conduites à risque peuvent se définir comme « l’exposition d’une personne à une probabilité non négligeable de se blesser ou de mourir, de léser son avenir personnel ou de mettre sa santé en péril »16. Il

peut s’agir d’actes uniques ou d’habitudes installées dans la durée. Cette définition ne préjuge pas du caractère légal ou illégal des conduites. Cette approche des questions de santé par les conduites à risque n’a pas de caractère normatif et ne se réfère pas à une vie « sans risque ». Elle n’inclut aucun caractère moral, elle est centrée sur la capacité à choisir et la responsabilité qui sont des compétences citoyennes. Enfin, les thèmes concernés sont en général en lien avec des questions sociales vives.

16 Le Berton (2003) In M. Bantuelle et R. Demeulemeester (dir.) « Comportements à risque et santé : agir en

• Alimentation • Hygiène • Rythmes de vie • Sexualité • Activité physique

• Sécurité (domestique, routière, professionnelle) • Apprentissage du porter secours

• Usage du système de santé • …

• Usage de substances psychoactives licites ou illicites (toxicomanies, consommations à risque)

• Violence dirigée contre soi ou contre les autres • Conduites dangereuses sur la route et dans le

cadre d’activités sportives • Conduites sexuelles à risque • …

Dans les deux cas, il n’est pas possible de se référer à une causalité univoque, on retrouve toujours l’interaction entre les comportements considérés, les spécificités des personnes et de leur histoire et les

déterminants environnementaux.

Dans les deux cas, l’action en milieu scolaire se réfère à la citoyenneté et au vivre ensemble. Elle s’inscrit dans la double finalité de la création des conditions de la réussite de tous les élèves et de l’émancipation des

personnes.

Légende : L’action éducative peut être définie en référence à « apprendre à prendre soin de soi » ou à « éviter les conduites à risque ». Pour ces deux axes, les comportements, l’histoire de l’individu et ses spécificités interagissent.

Ce chapitre a permis de situer le champ dans lequel se développe notre travail de recherche. Il importe maintenant de définir plus précisément l’objet de notre étude au sein de la problématique des relations existant entre éducation et santé. Nous allons ainsi développer le cas de la prévention de la consommation des produits psychoactifs et notamment du tabac.

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