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Dépendance, usage nocif, usage : une problématique de santé Les produits psychoactifs sont des substances d'origine naturelle ou synthétique

CHAPITRE 2 : Education et santé : vers une modélisation

I. Dépendance, usage nocif, usage : une problématique de santé Les produits psychoactifs sont des substances d'origine naturelle ou synthétique

qui, lorsqu'elles sont absorbées, modifient l'activité mentale, les sensations et le comportement. Il s’agit de ce que l’on appelle couramment les « drogues » (héroïne, cannabis, cocaïne…), l’alcool et le tabac mais aussi des classes de médicaments du système nerveux. Leurs effets incitent à un usage répétitif qui conduit à instaurer la permanence de cet effet et à prévenir les troubles psychiques (dépendance psychique), voire même physiques (dépendance physique), survenant à l’arrêt de cette consommation qui, de ce fait, s’est muée en besoin (Académie de médecine séance du 28 novembre 2006). On parle alors d’addiction.

Le terme addiction vient du latin « ad-dicere » qui signifie « dire à ». En droit romain, il était utilisé pour désigner la contrainte par son corps de celui qui ne pouvait honorer ses dettes. Cette définition renvoie à la dépendance à autrui, à une position servile. Aujourd’hui encore, elle existe sous une forme mineure dans le droit français avec « la contrainte par corps »17. Ce terme apparaît aussi dans la langue anglaise avec le verbe « to addict » signifiant « s’adonner à ». La notion de conduite addictive comprend à la fois les addictions aux produits psychoactifs ou psychotropes18 (alcool, tabac, drogues illicites) mais également les addictions comportementales, sans substances psychoactives (au jeu par exemple).

L’intérêt pour ces questions a émergé tardivement au cours des XIXème et XXème siècles. C’est l’alcoologie française, fondée par Fouquet en 1956, qui a permis d’insister sur l’interaction entre l’individu, le produit et l’environnement qui concourt à l’installation d’une maladie définie comme « une perte de la liberté de s'abstenir d’alcool ». Cette définition fut ensuite élargie à la consommation des

17 Code de procédure pénale, partie législative, titre IV, articles 749 à 762.

18 Selon Jean Delay en 1957 : « On appelle psychotrope, une substance chimique d'origine naturelle ou

artificielle, qui a un tropisme psychologique, c'est-à-dire qui est susceptible de modifier l'activité mentale, sans préjuger du type de cette modification ».

autres produits et à la mise en œuvre d’une addiction au jeu, à l’Internet, au sexe, etc.

Trois grands types de comportements dans la consommation de produits psychoactifs sont identifiés par la communauté scientifique internationale : la

dépendance, l’usage nocif (ou l’abus)19 et l’usage. Ils permettent de prendre en compte la personne et ses comportements dans un environnement donné. Le produit n’est plus l’unique point de centration, autorisant ainsi d’extrapoler ce cadre d’interaction de facteurs aux addictions sans produit.

1. La dépendance

Certains donnent parfois une définition très large de la dépendance en la fondant uniquement sur le désir de se procurer tel ou tel produit ou de mettre en œuvre tel ou tel comportement. On pourrait donc être dépendant, par exemple, du chocolat… Même si des comportements de consommation compulsive existent, il nous semble important d’isoler la dépendance au sens strict de tels comportements. En effet, si l’on peut consommer de façon régulière et massive du chocolat, on ne peut parler de dépendance. Pour qu’il y ait dépendance, il faut à la fois qu’il y ait désir de se procurer les produits, perte de contrôle des quantités consommées, signes de sevrage et tolérance. A notre connaissance la tolérance, qui se manifeste par la nécessité d’augmenter les doses pour obtenir le même effet, n’a pas été décrite dans le cas du chocolat, pas plus que de l’existence d’un syndrome de sevrage. On peut être « accro » à tel ou tel comportement mais on ne peut considérer qu’il y a dépendance réelle que lorsqu’il y a perte de liberté avec cette consommation, lorsqu’il y a envahissement de l’existence par la recherche du comportement ou du produit considéré.

La définition proposée par Goodman (1990), et qui est reconnue aujourd’hui au plan international comme étant la référence, fait état d’« un processus dans lequel est réalisé un comportement qui peut avoir pour fonction de procurer du plaisir et de soulager un malaise intérieur, et qui se caractérise par l’échec répété de son contrôle et sa persistance en dépit des conséquences négatives ». Ce psychiatre américain renvoie ici à l’impossibilité de résister aux pulsions amenant à ce type

de comportements, à la sensation croissante de tension précédant immédiatement le début de ce comportement, au plaisir ou au soulagement d’abord, puis à la sensation de perte de contrôle pendant sa durée, et enfin, à la présence d’au moins cinq parmi neuf critères établis20 qui soulignent l’aliénation de la personnalité au travers d’une dépendance allant parfois jusqu’à l’isolement social de l’individu21. Cette définition relève donc d’un esprit différent de celle proposée par l’OMS22 en 1969. L’OMS avait alors considéré la notion de dépendance comme étant « un état psychique et quelque fois physique, résultant de l’interaction entre un organisme vivant et une drogue, se caractérisant par des modifications de comportement et par d’autres réactions, qui comprennent toujours une pulsion à prendre le produit de façon continue ou périodique afin de retrouver ses effets psychiques et quelques fois d’éviter le malaise de la privation ». La communauté scientifique ne se réfère plus à cette définition de nos jours. Son intérêt réside davantage dans la trace qu’elle laisse d’une terminologie dont le sens a évolué au cours du temps.

2. L’usage nocif

Il convient de distinguer la dépendance et l’usage nocif pour la santé, qui s’évalue par ses conséquences observables. Il ne comporte ni perte de contrôle ni obsession à se procurer le produit. « En revanche, l’abus (ou usage nocif) de substances psychoactives pose un réel problème conceptuel et de positionnement : il est difficile de parler de maladies alors que cet état est réversible, et en grande partie sous l’effet de la volonté du consommateur et qu’il ne se différencie que progressivement de la consommation d’usage. Toutefois, l’existence des

20 Préoccupation fréquente au sujet du comportement ou de sa préparation / Intensité et durée des épisodes

plus importantes que souhaitées à l’origine / Tentatives répétées pour réduire, contrôler ou abandonner le comportement / Temps important consacré à préparer les épisodes, à les entreprendre ou à s’en remettre / Survenue fréquente des épisodes lorsque le sujet doit accomplir des obligations professionnelles, scolaires ou universitaires, familiale ou sociales / Activités sociales, professionnelles ou récréatives majeures sacrifiées du fait du comportement / Perpétuation du comportement, bien que le sujet sache qu’il cause ou aggrave un problème persistant ou récurrent d’ordre social, financier, psychologique ou psychique /Tolérance marquée: besoin d’augmenter l’intensité ou la fréquence pour obtenir l’effet désiré, ou diminution de l’effet procuré par un comportement de même intensité.

21 Par exemple, « les consommateurs de cannabis ayant une longue histoire de dépendance à cette substance

peuvent présenter de nombreuses difficultés à s’intégrer dans un milieu professionnel et réduisent leurs contacts sociaux à des personnes également dépendantes au cannabis » (Hüsler et al., 2005). Parallèlement, la dépendance physique au cannabis reste une question posée à la recherche, seule la dépendance psychique arrive à faire consensus.

complications somatiques ou psychiatriques et des dommages sociaux, familiaux ou juridiques induits justifie de parler de « troubles liés à la consommation de... » (en anglais : « Substances Use Disorders ») et de proposer une véritable réponse sanitaire d’aide à la gestion de ces comportements nocifs » (Reynaud, 2002). L’usage nocif d’un produit psychoactif peut s’accompagner (mais pas nécessairement) d’une problématique de polyconsommation. Une étude épidémiologique française montre que la consommation de cannabis est souvent associée à la consommation d’alcool et de tabac (Choquet et al., 2002). De manière générale, prendre régulièrement une des trois substances augmente la probabilité d’en consommer une autre. Dans cette étude, les jeunes qui ont été ivres au moins trois fois durant les trente derniers jours, sont non seulement plus souvent consommateurs réguliers d’alcool, mais aussi plus fréquemment consommateurs réguliers de tabac et de cannabis que ceux qui ne se sont pas ou peu enivrés (ibid.). Pour autant, l’augmentation de la consommation de cannabis dans la population occidentale n’a pas entraîné une augmentation de la polyconsommation de drogues, y compris celle des drogues « dures ».

Reynaud23 décrit l’usage nocif comme étant « la résultante de l’interaction de trois facteurs rappelant l’équation à trois inconnues formulée par Olievenstein : un produit, une personnalité, un moment socioculturel. Le premier facteur de risque est celui lié au produit, et il est double : risque de dépendance et risque d’apparition de complications sanitaires, psychologiques ou sociales. Le second est représenté par les facteurs individuels de vulnérabilité que celle-ci soit d’ordre psychologique, psychiatrique, biologique ou génétique. Et enfin le troisième regroupe les facteurs environnementaux de risque tels que les facteurs sociaux, familiaux et socioculturels ».

3. L’usage

L’usage se réfère à trois modalités de consommation (Reynaud, 2002) : la non- consommation, la consommation socialement réglée, les usages à risque. Si « l’usage est caractérisé par la consommation de substances psychoactives n’entraînant ni complications somatiques ni dommages » (ibid.), il est considéré

« à risque » lorsqu’il renvoie à la consommation dans certaines situations, selon certaines modalités ou au-delà de certaines quantités. La frontière entre l’usage à risque et l’usage nocif reste assez floue et ne permet pas une distinction tranchée de certaines consommations, tout particulièrement celles ayant lieu dans un cadre festif par exemple. De même, la difficulté est de reconnaître le seuil à partir duquel l’expérience initiale est vécue, ressentie comme un besoin impérieux mais « normal », et le moment où la consommation de psychotrope devient pathologique sous la forme d’une dépendance à une drogue. La prise en compte du risque de comportements addictifs ne peut donc pas se satisfaire d’une logique de culpabilisation de l’individu. Cela reviendrait à considérer que les dimensions personnelles sont les seules responsables. Des entrées multiples sont nécessaires. Elle amène également l’idée qu’un objectif prioritaire est fixé : celui d’accompagner les prises de décision. Il n’est donc pas surprenant que si la progression des connaissances scientifiques a fait évoluer le concept d’addiction, par jeu réciproque, la prévention s’en trouve influencée.

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