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Synthèse de la deuxième partie

du 13 juillet 2000 Partie législative ordonnant

III. Des conditions de travail en nette dégradation

2. Le malaise enseignant

Le fait que la profession enseignante soit en crise ne signifie pas que nous ayons à faire à une situation exceptionnelle. En fait, tout se passe comme si le malaise était permanent. En 1899 déjà, dans son « Enquête sur l'enseignement secondaire, rapport général à la chambre des députés », Ribot écrivait : « nous avons recherché avec la plus grande sincérité les causes du malaise de l'enseignement

secondaire ». De la même manière, dans son introduction, le rapport de Joxe « La fonction enseignante dans le second degré, Rapport au ministre de l'Education nationale » publié en 1972 soulignait : « on ne saurait aborder les problèmes posés par le malaise des enseignants, et plus généralement par la crise de l'enseignement, sans poser d'abord les éléments quantitatifs de ces problèmes »83. Trente-six ans plus tard, « l’idée d’un métier impossible » (Lantheaume, 2006) commence à être partagée par nombre d’enseignants. Auto-prescription et prescription se confondent pour nourrir cette idée. « Le discours prescriptif très fréquent dans les entretiens relève autant de l’auto-prescription que de la prescription : « il faut », « on doit », « on n’a pas le droit », sont des expressions qui reviennent régulièrement. Elles font référence à une nécessité de fonctionnement, une contrainte propre à l’activité, une exigence institutionnelle ou sociale, une obligation difficile à assumer » (ibid.). Le sens accordé au métier d’enseignant est de l’ordre de « l’empilement de tâches situées dans plusieurs registres : pédagogique, administratif (et juridique), vie scolaire. Elles apparaissent comme non hiérarchisées et non coordonnées ». Un sentiment de « mal travailler » est exprimé du fait d’une organisation du travail vécue comme défaillante. « Il ne savent plus ce que « bien faire son travail » signifie » (Lantheaume, Hélou, 2008). La mission d’intervenir auprès des élèves et être à leur service (dans une démarche de service à la personne) apparaît comme « mission impossible » (Lantheaume, 2006). Face aux difficultés sociales et scolaires, la tâche semble immense, d’où un sentiment de découragement, de dépassement. « La difficulté à identifier les limites et les normes du métier, provoque un doute sur le sens du travail, aggravé par une reconnaissance sociale défaillante » (ibid.). « L’impression de dispersion l’emporte et accompagne le doute sur ce qui constitue le cœur du métier » (ibid.).

83 Ces deux citations proviennent du « livre vert sur l’évolution du métier d'enseignant » rédigé sous la

présidence de Marcel Pochard remis au premier ministre le 4 février 2008 qui tente d’analyser les questions posées aujourd’hui et propose des pistes politiques pour y répondre.

Au quotidien, « tous [ces enseignants] s’efforcent de trouver en classe un bien- être suffisant pour « tenir » chaque jour ou « durer » toute une carrière84. Ils sont à la recherche d’un équilibre entre deux principales logiques de planification et de régulation de leur activité : la logique des savoirs enseignés (la logique didactique stricto sensu) et la logique de la conduite de la classe (celle de la régulation sociale des échanges et des comportements) » (Goigoux, 2007). Cette pression réclame une adaptation perpétuelle que certains écrits qualifient de « ruses ». Ainsi, « L’analyse d’exemples, extraits d’enquêtes ethnographiques récentes, montre que ces ruses sont le signe d’un défaut d’adaptation et la preuve d’une capacité à ajuster son action afin de rendre le travail possible. Selon les situations, elles sont défensives ou manifestent l’inventivité individuelle et la capacité d’agir collectivement. Elles peuvent ainsi être, selon les situations, sources de souffrance ou de plaisir au travail » (Lantheaume, 2007).

Des travaux institutionnels récents (2005) tels que les travaux préparatoires à l’élaboration du Plan Violence et Santé en application de la Loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004, insistent sur les liens unissant le travail et sa reconnaissance, et cette reconnaissance et la santé mentale. Les conséquences d’un défaut de reconnaissance se problématisent autour d’un « rapatriement de la reconnaissance du faire dans le registre de l’être […] du ressort stricte du sujet singulier ». Cette notion a une dimension individuelle et collective, contextuelle et organisationnelle, et elle « dépend fondamentalement de la qualité des relations au travail, c’est-à-dire de la façon dont les principes de justice sont respectés non seulement par le management mais à l’intérieur […] de l’équipe de travail ». La demande de reconnaissance du travail est constante dans l’activité enseignante. En 2000, l’étude de la crainte de ne pas être reconnu ne montrait pas de différences significatives entre les enseignants et les non- enseignants (Kovess-Masféty et al., 2000). Mais, ce sentiment arrivait à niveau

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Au Canada, Tardif et Lessard (1999) ont appréhendé le travail des enseignants en incluant les phénomènes globaux de société ou d’évolution du système d’enseignement. Néanmoins, ils s’attachent à considérer le métier d’enseigner comme une interaction quotidienne « avec, pour et sur des jeunes êtres humains ». Ils font l’hypothèse que cet « objet humain » rejaillit sur tous les aspects du travail. La dimension collective du travail au sein de l’organisation a également, selon eux, une large place.

presque similaire aux agressions verbales pour ce qui est des inconvénients redoutés.

Sans doute peut-on émettre l’hypothèse selon laquelle la position de l’Ecole au cœur des tensions sociales et dans un écartèlement perpétuel entre « ce qui est » et « ce qui devrait être » conduit à des réajustements permanents qui ne sont pas sans conséquences sur les personnels.

Dans ces conditions, la commission Pochard a été mandatée en 2008 par le gouvernement français afin de rédiger le livre vert sur le métier enseignant. La partie considérant l’état des lieux des conditions de travail souligne 6 caractéristiques professionnelles à partir de la consultation des enseignants :

- un service défini en heures d’enseignement et non sur la base d’une durée de travail ;

- des contextes d’exercice très divers ; - une confrontation à des actes de violence ;

- un déficit en matière d’action sociale, d’hygiène et de sécurité ; - un suivi mieux assuré des enseignants en difficulté par une

démarche de retour à l’emploi ; - un absentéisme limité.

Le rapport Pochard montre en premier lieu que la motivation des enseignants pour ce métier est forte. L’expression de la satisfaction professionnelle des enseignants du second degré au regard de l’exercice du métier est proche de celle des professeurs des écoles, et elle est plus élevée qu’en 2004 (87 % contre 81 %). Pour autant, les arguments et les facteurs de malaise présentés dans le rapport Pochard sont nombreux. Ils peuvent être répartis selon qu’ils trouvent leur origine à un niveau endogène « au plan personnel et professionnel » ou à un

niveau exogène « relatifs à l’Institution et à la société » ou « relatifs aux élèves et à leurs parents » (tableau 14).

Tableau 14 : Classification des principales données du rapport Pochard (2008) selon leurs origines :

Origines exogènes Origines endogènes

« relatifs à l’Institution et à la société »

« relatifs aux élèves et à leurs parents »

« au plan personnel et professionnel » Série des demandes institutionnelles

sans accompagnement et d’évaluation

Plus de 80 % des enseignants réfutent désormais l’idée que l’Education nationale puisse se démocratiser encore et permettre une plus grande égalité des chances

Le sentiment de malaise serait alimenté par la perception qu’ont les enseignants du positionnement de leur métier dans la hiérarchie globale des professions

Réformes multiples mais

19 % des enseignants regrettent de ne pas suffisamment participer à l’évolution de l’Ecole (ils étaient 9% en 1972)

Principale difficulté « l’adaptation au niveau des élèves »

Le sentiment de malaise est lié à l’âge : il est décrit par la moitié des enseignants de moins de 32 ans, 67 % des 32-40 ans, et 72 % des 41-48 ans

Moins de prestige : cette dégradation

est ressentie de manière quasi unanime : 92 % des chefs

d’établissement, 95 % des directeurs d’école et, respectivement, 94 % et 95 % des enseignants du premier et du second degré estiment en 2007

Du prestige : 38 % dans le second

degré

59 % des enseignants estimaient que les élèves ont de moins en moins le goût d’apprendre (35% en 1972, 44% en 2003)

64% à dire « avoir du mal à les intéresser »

Le sentiment de malaise est lié à l’ancienneté : 63 % de ceux qui exercent depuis 21 à 30 ans trouvent le métier de plus en plus difficile contre 19 % de ceux qui ont moins de 5 ans d’ancienneté

Ils seraient confrontés à la fois à «une dégradation de leur image dans la société » citée par 50% d’entre eux

Trop de temps devant la télévision et/ou Internet

La question de leurs revenus « Manque de prise en compte des

difficultés concrètes du métier » par leur autorité de tutelle pour 68 % des enseignants interrogés

Le sentiment que les élèves ont un rapport délicat

à l’autorité : 74 % des enseignants dans le primaire, 65 % dans le secondaire

Les satisfactions apportées par le métier passent de 33 % en 1972 à 24% en 2007.

Repli sur la sphère familiale comme source de satisfaction personnelle Insuffisante considération de leur

activité 38 % à estimer que les exigences des parents sont une cause plus importante de difficultés

relationnelles avec les élèves

Alors que le sentiment de découragement touche 40 % des cadres français, les deux tiers des enseignants (70 % dans le premier degré, 64 % dans le second degré) déclarent le ressentir dans leur travail.

Les enseignants du second degré sont de plus en plus nombreux à souhaiter « un plus grand soutien des parents » pour atténuer ce malaise

86% ressentent un alourdissement de leur charge de travail, et les deux tiers éprouvent un sentiment de découragement dans leur travail (contre 40% des cadres français en moyenne)

46 % des enseignants du premier degré et 39 % des enseignants du second degré disent penser à quitter ce métier en raison du stress qu’il engendre.

Légende : Les origines du malaise enseignant sont décrites par ceux-ci depuis un niveau endogène (« au plan personnel et professionnel ») ou depuis un niveau exogène « relatifs à l’Institution et à la société », ou « relatifs aux élèves et à leurs parents »).

Le rapport de conclure :

- « La définition du métier est floue et empêche les enseignants de percevoir leurs missions comme un tout répondant aux besoins de la classe et du système éducatif » ;

- « Un grand nombre d’activités apparaissent comme optionnelles et relever de la libre appréciation de leur nécessité par l’enseignant, alors que certaines d’entre elles sont indissociables de l’acte d’enseigner et sont essentielles pour la réussite des élèves, comme l’organisation collective de travail » ;

- « Pour faire face aux besoins des établissements, les chefs d’établissement, faute de dispositifs adaptés, «font» avec les moyens du bord, à mi-chemin entre le droit et le non-droit, et manipulent des masses d’heures qui peuvent être considérables : 7 000 équivalents emplois au titre des décharges de service non- statutaires, 1,7 million d’heures supplémentaires échappant à la nomenclature actuelle » ;

- « Ne pas définir la responsabilité de l’enseignant, c’est risquer de le charger de tâches qui incombent à d’autres intervenants : autres personnels éducatifs, collectivités publiques, familles, etc. ».

Les questions de changement du métier enseignant et de son organisation sont au cœur de débats de société. L’expression du malaise enseignant et des difficultés de l’Institution pour y répondre relèvent d’un affichage récent et nouveau. Mais qu’en est-il vraiment sur le plan de la santé au travail des personnels des établissements scolaires.

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