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cession, compl´ ementarit´ e et accumulation des connaissan ces

3.2.3 Un syst` eme complexe de cr´ eation des connaissances

Cette sous-section a pour but de mettre en ´evidence la complexit´e du syst`eme de cr´eation des connaissances dans le cas de la production de m´edicaments. Contrairement `a d’autres secteurs, la pharmacie pr´esente des contraintes institutionnelles tr`es fortes, puisque cette activit´e concerne le domaine de la sant´e. L’objet mˆeme de la production des m´edicaments en fait, par cons´equent, un secteur “`a part”. C’est au milieu du vingti`eme si`ecle que les contraintes institutionnelles se sont renforc´ees, en raison notamment du scandale de la thalidomide en 1961. Il fut estim´e que ce s´edatif et anti´em´etique prescrit entre autres `a des milliers de femmes enceintes, provoqua la malformation de pr`es de 12 000 nourrissons d`es leur naissance (Pignarre 2004). Ceci provoqua un changement radical dans le proces- sus de production de m´edicaments, pour lequel les essais cliniques jugeant de l’efficacit´e th´erapeutique ´etaient jusqu’alors “ouverts”. En effet, les chimistes pouvaient laisser libre court `a leur cr´eativit´e, testant les mol´ecules comme ils l’entendaient au sein des milieux hospitaliers, i.e. sans proc´edure particuli`ere de contrˆole et sans m´ethodologie, d’o`u la qualification d’´etudes dites ouvertes. Alors “qu’il fallait deux `a trois ans dans les ann´ees 1960 pour passer du laboratoire `a la clinique, un m´edicament comme le Prozac, ´etudi´e pour la premi`ere fois en laboratoire en 1974, n’a un usage clinique qu’en 1987” (ibid ).

Le m´edicament est un produit complexe, dont la formulation et la prescription re- qui`erent un long processus de recherche. Pisano d´ecrit de mani`ere assez simple mais rigoureuse l’ensemble des probl`emes soulev´es par l’absorption d’un m´edicament (Pisano 2006, p. 42-43). Rappelons bri`evement qu’un m´edicament est une mol´ecule (un principe actif) destin´ee `a interagir dans l’organisme vivant sur une cible (cellules r´eceptrices, en-

3.2 Des savoirs et des technologies transdisciplinaires et compl´ementaires

zymes ...) sur laquelle il peut se lier et agir, afin de produire l’effet th´erapeutique d´esir´e. Une fois la cible et l’ingr´edient actif d´etermin´es, l’effet th´erapeutique escompt´e peut ´echouer pour de nombreuses raisons. Il se peut que le m´edicament n’ait pas le rˆole biolo- gique escompt´e dans l’organisme, la cible ayant ´et´e mal choisie. L’ingr´edient actif peut ´egalement avoir ´et´e mal d´etermin´e, n’atteignant pas la cible comme pr´evu, ou bien at- teignant plusieurs cibles simultan´ement pouvant ainsi provoquer des effets secondaires graves. L’absorption trop lente ou trop rapide de la mol´ecule dans l’organisme vivant peut ´egalement ˆetre un facteur d’´echec, de mˆeme qu’un mauvais dosage. L’´enonc´e de ces difficult´es `a produire un m´edicament viable, bien qu’incomplet, permet de souligner la complexit´e du processus de fabrication d’une cible th´erapeutique, avant que toute com- mercialisation soit possible. La phase de recherche et de d´eveloppement d’un m´edicament tente alors de r´epondre `a chacun des probl`emes ´evoqu´es (ibid, p. 44). Aussi, cette phase de recherche et d´eveloppement se d´ecoupe-t-elle en quatre ´etapes successives d´ecrites ci-dessous.

3.2.3.1 Les diff´erentes phases du processus de cr´eation des connaissances 1. La recherche fondamentale

Comme l’indique son nom, cette ´etape est destin´ee `a chercher dans un premier temps (dans le cas d’une pathologie d´etermin´ee) des mol´ecules cibles, pour dans un second temps, d´eterminer des principes actifs qui pourront se lier et agir sur ces mol´ecules cibles. Cette ´etape repose `a la fois sur la connaissance accumul´ee des chercheurs et sur les nombreuses bases de donn´ees disponibles sur les g`enes et les prot´eines. Une fois la structure de la mol´ecule cible d´etermin´ee, les chercheurs identifient au moyen des m´ethodes de screening (criblage) des principes actifs qui seront susceptibles d’en modifier la structure. Grˆace aux nouvelles m´ethodes de chimie combinatoire, de criblage `a haut d´ebit, les chercheurs sont capables de tester des milliers de mol´ecules ayant un effet probable sur la mol´ecule cible et de disposer `a terme de quelques dizaines de mol´ecules. Les chercheurs, par le biais de la chimie de synth`ese, cr´eent ´egalement des mol´ecules analogues ou bien des d´eriv´es de ces mol´ecules afin de les doter de meilleures propri´et´es. Ici, le choix sera fait notam- ment en fonction des caract´eristiques des mol´ecules qu’il sera possible de transformer en m´edicaments i.e facilement assimilables par le corps humain.

2. Le d´eveloppement pr´e-clinique

Au cours de cette deuxi`eme ´etape, les quelques principes actifs mis en ´evidence vont subir des exp´erimentations en laboratoire pour d´eterminer si les composants chimiques

Chapitre 3 - Biotechnologies et innovations pourront ˆetre viables sur l’ˆetre humain. Jusqu’alors, les chercheurs disposent de mol´ecules dont ils ont fait l’hypoth`ese qu’elles pourraient avoir un effet th´erapeutique, mais il existe une chance sur cinq mille que le composant test´e soit un “gagnant” (Pisano 2006, p. 48) Les exp´erimentations seront faites `a la fois via des m´ethodes in vitro et in vivo. Le but est de d´eterminer les ´eventuels effets toxiques que peut produire l’absorption du principe actif par un organisme vivant, ainsi que l’efficacit´e du principe actif. La r´eussite de ces essais pr´e-cliniques est incertaine, car ce qui peut se r´ev´eler efficace pour des animaux de laboratoire ne l’est pas forc´ement dans le cas d’ˆetres humains.

N´eanmoins, ils sont de bons indicateurs de l’efficacit´e et de la toxicit´e potentielles d’un m´edicament (effets d’une administration prolong´ee, effets secondaires). Dans le cas o`u des effets toxiques sont d´ecel´es, les chercheurs doivent revenir sur la structure de la mol´ecule afin de la modifier et de la rendre plus efficace. Cette ´etape peut se r´ep´eter plusieurs fois afin de d´eterminer la mol´ecule susceptible d’avoir un effet th´erapeutique. Une fois que les tests se r´ev`elent assez prometteurs, une application est soumise aux instances publiques charg´ees de r´eguler la mise sur le march´e des m´edicaments et qui peuvent rejeter la demande dans le cas d’un manque de preuves quant `a l’efficacit´e et la non toxicit´e des principes actifs susceptibles d’ˆetre r´ealis´es sur les ˆetres humains (Gambardella 1995).

3. Les essais cliniques chez l’homme

Une fois l’application valid´ee, les tests sur l’homme peuvent commencer. Les tests r´ealis´es sur des animaux de laboratoire n’´etant que des indicateurs, il est n´ecessaire d’ˆetre prudent dans l’administration de nouvelles substances encore jamais prises par l’homme. Aussi, les essais cliniques sur l’homme se d´ecomposent-ils en trois phases successives des- tin´ees `a agrandir progressivement la taille de l’´echantillon et recueillir des donn´ees sur l’efficacit´e, la tol´erance, la s´ecurit´e de l’absorption du principe actif. Le contrˆole de ces essais repose sur la prescription de m´edicaments placebo. On r´epartit la population de patients en deux groupes, l’un recevant le placebo, l’autre le candidat-m´edicament et ceci dans l’ignorance des patients et des m´edecins investigateurs, d’o`u l’appellation de ces tests en “double aveugle”.

Durant la phase n➦1, ce sont davantage les effets toxiques ainsi que la tol´erance de la substance qui sont test´es. Ces tests se font sur la base du volontariat sur des hommes en bonne sant´e ou bien, dans le cas de maladie comme le cancer, sur des personnes malades. La substance th´erapeutique est prodigu´ee `a petite dose, pour ˆetre ensuite augment´ee pro- gressivement, afin de mesurer la r´eponse du patient au traitement, le temps d’absorption

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dans l’organisme, ainsi que le niveau de dosage tol´er´e. L’´echantillon varie d’une dizaine `a une centaine de personnes.

Durant la phase n➦2, les effets th´erapeutiques de la substance sont test´es dans le traitement de la maladie. L’´echantillon varie d’une centaine `a un millier de patients qui pr´esentent les conditions cliniques, i.e. qui pr´esentent la mol´ecule cible sur laquelle le candidat-m´edicament doit agir. Les chercheurs tentent, durant cette seconde phase, de d´eterminer les niveaux de dosage et les moyens de d´elivrance de la substance (pilule, injection, infusion ...) les plus appropri´es. La phase n➦3 donne lieu `a des essais cliniques sur une population variant d’un `a cinq milliers de personnes sur diff´erents sites cliniques. La taille plus large et internationalis´ee de l’´echantillon de patients permet de mesurer l’innocuit´e de la prescription de la substance et de v´erifier l’efficacit´e th´erapeutique. Ceci permet ainsi de donner les premiers r´esultats convaincants des risques et des b´en´efices que procure la nouvelle substance dans le traitement de la maladie.

4. La demande d’autorisation de mise sur le march´e

Une fois cette s´erie de tests r´ealis´ee, les laboratoires demandent aux diff´erentes au- torit´es en mati`ere de sant´e l’autorisation de pouvoir mettre sur le march´e le candidat- m´edicament. Dans le cas des ´Etats-Unis, les chercheurs remplissent une New Drug Appli- cation (NDA) destin´ee `a la Federal Drug Administration (FDA). Dans le cas de l’Europe, c’est un formulaire de demande d’autorisation de mise sur le march´e (AMM) destin´e `a l’Agence Europ´eenne pour l’´Evaluation des M´edicaments (EMEA). Dans ces formulaires, le proc´ed´e de fabrication de la nouvelle substance, ainsi que les donn´ees recueillies durant les phases d’essais cliniques afin de prouver le non danger et l’efficacit´e th´erapeutique de la nouvelle substance sont requis. Si la demande d’autorisation sur le march´e est ac- cord´ee par les autorit´es en mati`ere de sant´e, une phase n➦4 d’essais est conduite, appel´ee surveillance post-marketing, afin de r´ecolter des donn´ees suppl´ementaires sur les risques de long-terme, les b´en´efices et l’utilisation optimale du m´edicament. Cette phase repose sur un ´echantillon de plus d’une dizaine de milliers de patients.

3.2.3.2 Un processus de cr´eation de connaissances long et coˆuteux

L’´enonc´e des diff´erentes phases de R&D, auxquelles sont soumis les m´edicaments, a ´et´e fait afin d’expliciter la sp´ecificit´e du secteur de la sant´e. Le processus de cr´eation de connaissances est long et coˆuteux. De l’´etape de la recherche fondamentale `a l’´etape d’autorisation par les autorit´es de mise sur le march´e, l’´elaboration d’un m´edicament

Chapitre 3 - Biotechnologies et innovations peut durer de dix `a quinze ans. Plus pr´ecis´ement, la p´eriode de recherche fondamentale et d’´etudes pr´e-cliniques est de trois `a six ans, celle des essais cliniques sur l’homme de six `a sept ans et la p´eriode d’autorisation de mise sur le march´e de six mois `a deux ans (PHRMA 2009, p. 36). Par ailleurs, le nombre de mol´ecules test´ees d´ecroˆıt tout au long du processus d’innovation, qui met en ´evidence la forte incertitude relevant de l’environnement technologique des chercheurs.

Ainsi, sur dix mille mol´ecules ´evalu´ees lors de la recherche fondamentale, seules deux cent cinquante feront l’objet de tests cliniques. Sur ces deux cent cinquante mol´ecules, il n’en restera plus que cinq destin´ees `a ˆetre test´ees cliniquement sur l’homme. Sur ces cinq mol´ecules, une seule fera l’objet d’une demande d’autorisation de mise sur le march´e (ibid, p.36). Ng (2004, p. 5) cite des chiffres de 2002 donn´ees par l’association Pharma- ceutical Research and Industrial of America (PHRMA), qui montrent que le temps de production d’un m´edicament est pass´e en moyenne de 8,1 ans dans les ann´ees 1960 `a 11,6 ans dans les ann´ees 1970, 14,2 ans en moyenne dans les ann´ees 1980 `a 15,3 ans dans les ann´ees 1990. Selon l’´etude de PHRMA publi´ee en 2009, les coˆuts de d´eveloppement d’un m´edicament sont pass´es de 138 millions de dollars en 1975 `a 318 millions en 1987, 802 millions en 2001, 1,318 milliard en 2006. Le rapport souligne que ce sont les essais cliniques qui repr´esentent les plus gros coˆuts des laboratoires.

Si les laboratoires, malgr´e ces coˆuts, investissent toujours davantage, c’est dans le but de trouver des candidats m´edicaments qui pourront faire l’objet de blockbusters, `a savoir des m´edicaments rapportant au-del`a du milliard de dollars. N´eanmoins, comme le souligne Pisano (2006, p. 52), le processus de r´eussite de cr´eation d’un m´edicament tel que nous l’avons d´evelopp´e `a travers les diff´erentes ´etapes du processus d’innovation est davan- tage l’exception que la norme. La majorit´e des candidats-m´edicaments ne parviennent pas jusqu’aux ´etapes d’essais cliniques sur les hommes, et ceux qui arrivent `a ce stade ne prou- vent souvent aucun effet th´erapeutique nouveau, ou encore pr´esentent des risques sani- taires potentiels pour l’homme. Ces ´echecs fr´equents dans l’identification d’un candidat- m´edicament n´ecessitent alors des retours en arri`ere dans le processus d’innovation.

Th´eorie et exp´erimentation se compl`etent l’une l’autre dans le but d’obtenir une meilleure compr´ehension des m´ecanismes biologiques `a l’œuvre dans l’´etude d’une mala- die. L’un des apports de la biologie mol´eculaire et du g´enie g´en´etique, en favorisant les techniques de rational drug design, est d’avoir permis une meilleure interpr´etation des exp´eriences faites en laboratoire de mani`ere in vivo ou in vitro. Comme le souligne Gam-