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Information et connaissance dans la

1.3 La nature fondamentale ou appliqu´ ee des con naissances

D´eterminer la nature fondamentale ou appliqu´ee des connaissances n’est pas une tˆache ais´ee. Nelson (1959) consid`ere en effet qu’il existe un spectre continu de la recherche scientifique pour lequel il est difficile de dessiner une ligne de d´emarcation claire entre la recherche scientifique de base et la recherche appliqu´ee. En raison de l’incertitude croissante quant aux r´esultats d’un projet de recherche sp´ecifique, les objectifs `a at- teindre deviennent moins clairement d´efinis et moins ´etroitement li´es `a la solution d’un probl`eme pratique sp´ecifique (ibid, p. 300). La d´emarcation entre recherche fondamentale et recherche appliqu´ee a longtemps ´et´e consid´er´ee par les ´economistes comme relevant de la distinction entre le monde de la science et celui de la technologie. Saviotti (1994) pr´ecise que traditionnellement la science et la technologie ´etaient consid´er´ees de fa¸con si distinctes qu’on refusait toute dimension cognitive au monde de la technologie. ‘La science d´ecouvre, la technologie applique’ repr´esente pr´ecis´ement cette perception des diff´erents rˆoles de la connaissance associ´es au monde de la science et au monde de la technologie.

En proposant “the chain-linked model ”, Kline & Rosenberg (1986) montrent que l’activit´e d’innovation requiert des it´erations et des interactions entre les activit´es scien- tifiques et les activit´es technologiques. Selon leurs propres termes: “the linkage from science to innovation is not solely or even preponderantly at the beginning of typical inno- vations, but rather extends all through the process-science can be visualized as lying along side development processes, to be used when needed ” (p. 291). Les caract´eristiques de la connaissance ne sont donc pas r´eductibles `a une vision exclusive, i.e. sans lien entre science et technologie. Afin de d´eterminer la nature fondamentale ou appliqu´ee des con- naissances, nous pr´ef´erons aborder les enjeux cognitifs li´es `a chaque type de connaissances.

Dans ce but, nous pr´esentons dans un premier temps la terminologie de la connaissance propos´ee par Popper (1979), puis dans un deuxi`eme temps celle d´evelopp´ee par Arora & Gambardella (1994a). L’int´erˆet de ces deux terminologies est de montrer que, partant d’une d´efinition semblable de la connaissance fondamentale, deux enjeux distincts mais compl´ementaires de la connaissance sont identifi´es : un principe de verticalit´e et un principe de d´econtextualisation, nous permettant ainsi de proposer une d´efinition originale de la connaissance fondamentale.

1.3 La nature fondamentale ou appliqu´ee des connaissances

1.3.1

L’arbre de la connaissance

La m´etaphore de l’arbre de la connaissance revient `a Popper (1979) qui dans son septi`eme chapitre “Evolution and Tree of Knowledge” analyse la mani`ere dont la connaissance croˆıt. L’id´ee de d´epart est de consid´erer que tout individu dispose de ce que l’auteur qualifie d’“inborn knowledge” ou encore d’“hypothetical knowledge” qui pousse les individus `a se questionner sur la r´esolution de nouveaux probl`emes. Popper critique ainsi la relation entre th´eorie et observation et r´efute l’id´ee selon laquelle la th´eorie, la connaissance scien- tifique ´emerge toujours de l’observation des faits qui sont `a la port´ee des individus. Selon lui, la connaissance scientifique ne d´ebute jamais par des observations mais toujours par des probl`emes, qu’ils soient d’ordre pratique ou th´eorique. Ainsi l’´evolution de la connais- sance provient du passage d’anciens `a de nouveaux probl`emes au moyen de conjectures et de r´efutations (p. 258). En travaillant assez longtemps sur un probl`eme `a r´esoudre, il devient de plus en plus ´evident pour l’individu de distinguer les hypoth`eses critiquables et r´efutables, de celles susceptibles de parvenir `a une solution.

Popper (1979) d´ecrit plus pr´ecis´ement la m´ethodologie associ´ee `a la r´esolution d’un probl`eme de la mani`ere suivante : on commence `a voir les ramifications du probl`eme, de ses sous-probl`emes et ses connexions `a d’autres probl`emes. C’est seulement `a cette ´etape qu’il est possible de faire l’hypoth`ese d’une solution nouvelle pouvant ˆetre soumise `a la critique des autres et ´eventuellement publi´ee (p. 260). C’est grˆace aux critiques des solutions apport´ees au probl`eme que l’individu peut apprendre toujours davantage sur ce mˆeme probl`eme. Que les solutions r´esistent ou non `a la critique, c’est dans la r´efutation que se fait le progr`es. Ce processus de r´efutation des solutions apport´ees conditionne les progr`es de la connaissance : “the growth of knowledge is always the same: we try to solve our problems, and to obtain, by a process of elimination, something approaching adequacy in our tentative solution” (p. 261). Dans ce contexte, l’auteur sp´ecifie plus pr´ecis´ement la structure de l’´evolution des connaissances, qu’il qualifie d’arbre de la connaissance.

L’´evolution de l’arbre de la connaissance va diff´erer selon le type de connaissance analys´ee, `a savoir la connaissance appliqu´ee d’une part et la connaissance fondamentale d’autre part. Tel un arbre, la connaissance appliqu´ee d´ebute par un tronc commun qui progressivement se diversifie en plusieurs branches de plus en plus sp´ecialis´ees. Comme le pr´ecise l’auteur, “the growth of applied knowledge is very similar to the growth of tools and other instruments: there are always more and more different and specialized applica- tions” (p. 262). En revanche, la connaissance pure, comme l’appelle l’auteur, que nous

Chapitre 1 - Information et connaissance dans la th´eorie ´economique associons `a la connaissance fondamentale suit une toute autre ´evolution, `a l’oppos´e de celle de la recherche appliqu´ee. Contrairement `a la connaissance appliqu´ee qui ´evolue selon un processus de sp´ecialisation et de diff´erenciation, la connaissance fondamentale a pour but d’int´egrer, d’unifier les diff´erentes th´eories. Selon les propres termes de l’auteur, “pure knowledge (or ‘fundamental research’ as it is sometimes called) grows in a very different way. It grows almost in the opposite direction to this increasing specialization. [...] it is largely dominated by a tendency towards increasing integration towards unified theories” (p. 262).

L’´evolution de la connaissance fondamentale permet donc l’int´egration des connais- sances pass´ees favorisant une meilleure compr´ehension des probl`emes pos´es aux individus. Car comme le remarque Popper (1979), les probl`emes associ´es `a la connaissance fonda- mentale sont des probl`emes d’explications (p. 263). Un probl`eme initialement pos´e se ramifie en divers probl`emes connect´es les uns aux autres, qui poussent `a se questionner sans cesse sur la v´eracit´e des th´eories propos´ees. La connaissance fondamentale est donc cette connaissance qui permet de mettre en relation des ph´enom`enes a priori distants, dans le but de rechercher une th´eorie “vraie” qui correspond aux faits. Popper (1979) souligne en effet “together with the fact that our curiosity, our passion to explain by means of unified theories, is universal and unlimited, our aim of getting nearer to the truth ex- plains the integrative growth of the tree of knowledge” (p. 264). La conceptualisation de l’arbre de la connaissance permet de mettre en ´evidence la nature ´evolutive des connais- sances, qui selon leur nature fondamentale ou appliqu´ee suivent des chemins contraires.

De l’approche popp´erienne de la connaissance, nous retenons le principe de verticalit´e de la connaissance fondamentale. Cette d´efinition nous semble en effet pertinente avec l’´evolution de l’activit´e de recherche. Le rˆole d’int´egration de la connaissance fondamen- tale r´eside dans sa dimension verticale, qui permet de relier des ph´enom`enes a priori distants. Si Arora & Gambardella (1994a) n’identifient pas le rˆole d’int´egration de la connaissance fondamentale, leur d´efinition de la connaissance en tant que connaissance abstraite et g´en´erale permet d’apporter une dimension compl´ementaire des enjeux li´es `a la connaissance fondamentale, `a savoir que l’utilisation de ce type de connaissances permet de limiter la contrainte locale li´ee au processus d’innovation.

1.3 La nature fondamentale ou appliqu´ee des connaissances

1.3.2

Connaissance abstraite et g´en´erale vs concr`ete et locale

Au-del`a de la distinction entre information et connaissance (cit´e pr´ec´edemment), Arora & Gambardella (1994a) proposent une d´efinition originale de la connaissance, consid´er´ee comme abstraite et g´en´erale. Selon leurs propres termes : “by ‘abstract’ we mean the abili- ty to represent phenomena in terms of a limited number of ‘essential’ elements, rather than in terms of their concrete features. By ‘general’ we mean knowledge that relates the outcome of a particular experiment to the outcomes of other, more ‘distant’ experiments” (p. 524). D’une part, la connaissance permet la repr´esentation abstraite de ph´enom`enes concrets et d’autre part, elle permet la mise en rapport de faits a priori distants ou ´etrangers l’un de l’autre. En ce sens, cette d´efinition rejoint celle propos´ee par Popper (1979), lorsque celui pr´esente la connaissance fondamentale comme expliquant les liens qui unissent les divers sous-probl`emes. Cette d´efinition d’une connaissance abstraite et g´en´erale pr´esente ´egalement des similarit´es avec la d´efinition de la connaissance propos´ee par Saviotti (1994, p. 4), lorsque celui-ci parle de repr´esentation th´eorique (abstraction) et de corr´elations entre les variables (g´en´eralisation). La nature abstraite et g´en´erale de la connaissance permet la compr´ehension des ph´enom`enes au moyen d’un nombre limit´e d’´el´ements essentiels a priori distincts et la g´en´eralisation de ces ph´enom`enes.

Rejoignant la citation pr´ec´edente de Saviotti (1994) concernant la port´ee des con- naissances, les connaissances abstraites et g´en´erales rel`event d’une plus grande port´ee que des connaissances plus concr`etes et locales. Les auteurs pr´ecisent toutefois que la cr´eation et l’utilisation de connaissances abstraites et g´en´erales doivent ˆetre combin´ees `a de l’information. La combinaison n´ecessaire de ces deux types de connaissances r´eside dans le fait que dans tout processus d’innovation, il existe des d´etails g´en´eralement igno- r´es des repr´esentations abstraites (p. 524). Autrement dit, la port´ee de connaissances abstraites et g´en´erales ne d´efinit pas leur pertinence, dans la mesure o`u ces connais- sances laissent ´echapper des aspects plus locaux tout aussi n´ecessaires dans l’activit´e d’innovation. La connaissance locale et concr`ete correspond ainsi `a la connaissance appliqu´ee qui r´esulte des processus d’exp´erimentation, d’essais-erreurs sp´ecifiques au contexte dans lesquels ils sont mis en place. L’activit´e d’innovation, et par l`a mˆeme de cr´eation de connaissances, est une activit´e complexe qui requiert des connaissances diverses dont la port´ee diff`ere, mais dont la compl´ementarit´e est n´ecessaire pour la compr´ehension et l’interpr´etation des ph´enom`enes.

Chapitre 1 - Information et connaissance dans la th´eorie ´economique et g´en´erale versus concr`ete et locale, consid´erant la connaissance abstraite et g´en´erale comme de la connaissance fondamentale et la connaissance concr`ete et locale comme de la connaissance appliqu´ee. Une typologie distinguant la connaissance abstraite et g´en´erale de la connaissance concr`ete et locale permet de d´epasser la vision traditionnelle selon laquelle les connaissances scientifiques seraient de la connaissance fondamentale et les connaissances technologiques seraient de la connaissance appliqu´ee. En effet, Arora & Gambardella (1994a) dans leur analyse du changement technologique ´evitent d´elib´er´ement de caract´eriser les connaissances au vu de leur caract`ere scientifique ou technologique, car comme ils le soulignent “both science and technology utilise and produce both general and abstract knowledge and concrete information” (p. 524). ´Etudiant les industries de haute technologie, les auteurs soulignent que les progr`es scientifiques de ces derni`eres d´ecennies ont transform´e l’activit´e de recherche en favorisant la production et l’utilisation de con- naissances abstraites et g´en´erales.

La compl´ementarit´e des progr`es dans les domaines de l’instrumentation et de l’informa- tique associ´es `a la meilleure compr´ehension th´eorique des probl`emes ont permis aux chercheurs de se d´etacher de certaines contraintes techniques et plus particuli`erement de la logique d’essais-erreurs qui restreint les r´esultats de la recherche `a leur contexte d’origine. La production et l’utilisation de connaissances abstraites et g´en´erales rend possible le fait que “l’information pertinente `a l’innovation, quelque soit sa source, peut d´esormais ˆetre class´ee dans des cadres et des cat´egories qui sont plus universels” (ibid, p. 524). Les connaissances abstraites et g´en´erales pr´esentent fr´equemment un fort degr´e de codification. Par cons´equent, le processus d’abstraction et de g´en´eralisation rend pos- sible une d´econtextualisation de la production des connaissances (Guilhon 2004).

L’exploitation de connaissances abstraites et g´en´erales ´etend la port´ee des connais- sances `a diff´erents domaines d’application, r´eduisant ainsi la contrainte locale li´ee au processus d’innovation. Le fait de consid´erer la connaissance au regard de sa nature abstraite et g´en´erale permet alors de d´epasser la vision traditionnelle selon laquelle les acteurs de la recherche publique seraient les producteurs de la science et les acteurs de la recherche priv´ee ceux de la connaissance appliqu´ee. Les modalit´es d’organisation de la recherche se sont ainsi modifi´ees, donnant lieu `a une nouvelle division du travail dans les activit´es de recherche men´ees dans les industries de haute technologie.

1.3 La nature fondamentale ou appliqu´ee des connaissances

1.3.3

Les cons´equences de la production de connaissances fon-