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Une nouvelle boˆıte ` a outils pour les scientifiques : les biotechnologies de nouvelle g´ en´ eration

Biotechnologies et innovations

3.1 Des biosciences aux biotechnologies

3.1.4 Une nouvelle boˆıte ` a outils pour les scientifiques : les biotechnologies de nouvelle g´ en´ eration

Les progr`es de la science et les outils d´evelopp´es se situent `a deux niveaux : d’une part, le patrimoine g´en´etique de toute cellule vivante et, d’autre part, les catalyseurs ou en- zymes biochimiques qui assurent les r´eactions vitales, avec la vitesse, la r´egulation et la sp´ecificit´e requises (Douzou et al. 1983, p. 12). Plusieurs sous-disciplines de la bio- logie sont mobilis´ees et constituent de mani`ere plus large les biotechnologies de nou- velle g´en´eration. Nous reprendrons la cat´egorisation de Douzou et al. (1983, p. 9), qui d´efinissent les biotechnologies de nouvelles g´en´erations comme les techniques associ´ees au g´enie g´en´etique, `a la culture et la fusion des cellules, au g´enie des fermentations (ou g´enie microbiologique) et au g´enie enzymatique. Nous ne pr´etendons pas que ce soient les seules disciplines cit´ees dans la litt´erature, car le champ scientifique et technologique li´e aux biotechnologies est vaste. N´eanmoins, cette cat´egorisation nous a paru la plus ad´equate pour la suite de l’expos´e. Plutˆot que de pr´esenter chacune de ces disciplines, il nous a paru pr´ef´erable et plus int´eressant au vu de notre probl´ematique de nous concen- trer sur les progr`es m´ethodologiques majeurs de ces derni`eres d´ecennies, qui se situent au sein de ces quatre sous-disciplines.

L’´emergence des biotechnologies de nouvelle g´en´eration constitue un tournant dans les sciences de la vie, car on est pass´e de la compr´ehension du vivant `a sa manipula-

Chapitre 3 - Biotechnologies et innovations tion grˆace aux techniques de s´equen¸cage et de clonage des g`enes. Pendant longtemps, les scientifiques se sont concentr´es sur l’´etude des micro-organismes. Aussi, la maˆıtrise de la culture des cellules vivantes est-elle l’une des bases m´ethodologiques essentielles de la recherche biologique moderne. “La cellule vivante est l’unit´e du monde vivant comme l’atome est l’unit´e de la mati`ere” (Douzou et al. 1983, p. 9). De mˆeme que pour les micro- organismes, les cellules vivantes pr´esentent deux propri´et´es essentielles : la capacit´e de mener une vie autonome et la capacit´e de se reproduire. “Toute cellule synth´etise pour son propre compte des “mol´ecules g´eantes” (macromol´ecules) qui assurent ses fonctions vi- tales au sein d’une “machinerie” complexe : des acides nucl´eiques transf`erent l’information de g´en´eration en g´en´eration et des g`enes aux prot´eines. Les prot´eines sont souvent des catalyseurs (enzymes) impliqu´es dans le m´etabolisme cellulaire. Enfin, d’autres prot´eines complexes jouent un rˆole structural dans la constitution des cellules” (ibid, p.13).

L’obtention de clones, assez facile dans le cas des bact´eries et des micro-organismes, est une op´eration bien plus difficile dans le cas de cellules complexes. L’activit´e de clonage des g`enes fut une ´etape d´ecisive dans la recherche scientifique car elle permet la production d’ensembles homog`enes d’individus. Ceci a deux effets : d’une part, de faciliter la capacit´e d’interpr´etation des ph´enom`enes `a ´etudier et, d’autre part, de disposer de mati`ere en tr`es grande quantit´e pour les travaux d’exp´erimentation. Le clonage repose sur un moyen de purification des cellules : la purification par voie g´en´etique qui permet d’isoler les cel- lules n´ecessaires aux exp´erimentations. Consid´er´e comme impossible jusqu’au d´ebut des ann´ees 1970, le clonage des g`enes va devenir possible grˆace `a un ensemble de d´ecouvertes et de techniques nouvelles que nous allons ´evoquer.

3.1.4.1 Les enzymes de restriction et l’ADN ligase

Les travaux sur l’isolement du g`ene constituent l’une des premi`eres avanc´ees significa- tives rendues possibles grˆace aux progr`es accomplis dans le domaine de l’enzymologie. L’identification en 1970 des enzymes de restriction par Werner Arber et confirm´ee par la suite par Hamilton O. Smith, constitue l’une des ´etapes majeures et un outil indispen- sable du g´enie g´en´etique. Les enzymes de restriction, appel´ees ´egalement “les ciseaux `a ADN” sont des prot´eines qui coupent l’ADN en des sites sp´ecifiques. Elles reconnaissent dans l’ADN de courtes s´equences sur lesquelles elles se fixent et coupent l’ADN en ces s´equences. Ces enzymes de restriction assurent des fonctions essentielles, notamment en mati`ere de d´efense contre l’intrusion d’ADN ´etranger (ce qui leur a valu leur nom).

3.1 Des biosciences aux biotechnologies

La d´ecouverte de ces enzymes de restriction marque l’´emergence du g´enie g´en´etique car elles permettent de couper de mani`ere syst´ematique des macromol´ecules complexes. Ces coupures sont si sp´ecifiques et si reproductibles que les scientifiques ont pu ´etablir une car- tographie (carte de restriction) sur laquelle figurent les sites dits de restriction, identifiant les ´el´ements de la s´equence. Une seconde enzyme fut d´ecouverte permettant la manipula- tion des cellules vivantes : l’ADN ligase. Cette enzyme intervient dans la r´eparation des coupures et assure le couplage de la s´equence d’ADN. Une fois que les enzymes capables de couper et de coller les s´equences d’ADN entre elles ont ´et´e d´ecouvertes, les possibilit´es de manipulation des g`enes devenaient immenses avec principalement la mise au point d’une technique essentielle du g´enie g´en´etique : l’ADN recombinant.

3.1.4.2 ADN recombinant et anticorps monoclonaux

C’est Paul Berg, en 1972, qui fabriqua pour la premi`ere fois de l’ADN recombinant en utilisant diff´erents fragments d’ADN d’origines diff´erentes. Il r´eussit ainsi `a combiner l’ADN d’une bact´erie avec l’ADN d’un virus. Par la suite, en 1973, Stanley Cohen et Herbert Boyer marquent l’histoire de la biologie avec la cr´eation du premier organisme g´en´etiquement modifi´e (OGM) en laboratoire. En utilisant la bact´erie Escherichia coli, dans laquelle ils introduisirent un g`ene de r´esistance, ils r´eussirent le premier transfert de g`enes d’un organisme `a un autre. La technique de l’ADN recombinant devient alors un outil indispensable du g´enie g´en´etique, car elle permet de produire des macromol´ecules qui jusqu’`a pr´esent ne pouvaient l’ˆetre en raison de leur grosseur. Les techniques tradi- tionnelles de chimie de synth`ese ne pouvaient produire que des mol´ecules allant jusqu’`a une taille avoisinant les 500 daltons3. Les progr`es de l’ADN recombinant ont conduit

au d´eveloppement en 1975 d’une autre technologie fondamentale du g´enie g´en´etique : la technique dite de l’hybridome. Celle-ci fut mise au point par Georges K¨ohler et C´esar Milstein et permet de produire des anticorps monoclonaux.

Un anticorps est une prot´eine complexe utilis´ee par le syst`eme immunitaire pour d´etecter et neutraliser les antig`enes (sites contenus dans la couche superficielle du mi- crobe envahisseur) de mani`ere sp´ecifique. Les anticorps sont s´ecr´et´es par les plasmo- cytes qui constituent la derni`ere ´etape de diff´erenciation des lymphocytes B. La pro- duction d’anticorps, jusqu’`a l’invention de cette technique, ´etait telle que les anticorps r´eagissaient aux diff´erents ´el´ements de l’antig`ene (les ´epitopes) qu’ils attaquaient. Appel´es

3Le dalton est l’unit´e de mesure standard permettant de mesurer la masse des atomes et celle des

Chapitre 3 - Biotechnologies et innovations “anticorps polyclonaux” (de multiples anticorps), ils limitaient de ce fait le r´esultat et l’efficacit´e d´esir´ee dans la lutte contre l’´el´ement pathog`ene. Les anticorps monoclonaux, par d´efinition tous identiques et produits par un seul clone de plasmocyte, ne reconnais- sent qu’un seul ´epitope de l’antig`ene. La production `a grande ´echelle de ces anticorps ne peut s’effectuer qu’`a partir de cellules rendues immortelles, i.e. tumorales. Millstein et Kohler montr`erent que la fusion des lymphocytes B (producteurs d’anticorps) avec des my´elomes (cellules tumorales ayant la propri´et´e de se multiplier ind´efiniment) conduisait `a la multiplication de cellules tumorales elles-mˆemes productrices d’un seul type d’anticorps monoclonaux : les hybridomes. Cette technique, par l’utilisation de cellules immortelles, pouvait ˆetre produite en milieu “in vitro” permettant la production d’anticorps mono- clonaux `a tr`es grande ´echelle.

3.1.4.3 G´en´etique in vitro, s´equen¸cage et PCR

Le proc´ed´e d’exp´erimentation “in vitro” constitue ´egalement l’une des techniques consti- tutive et essentielle du g´enie g´en´etique4. Jusque l`a confin´es `a la m´ethode in vivo en

raison du caract`ere profond´ement al´eatoire et incertain de la recherche, les chercheurs ne pouvaient faire leur travaux d’exp´erimentation que sur des organismes suffisamment connus d’eux. L’av`enement de l’`ere mol´eculaire change profond´ement la fa¸con de faire de la recherche, dans le sens o`u une meilleure caract´erisation des g`enes permettait de reproduire en laboratoire l’environnement artificiel similaire `a l’environnement naturel dans lequel ´evoluent les organismes vivants. Une autre ´etape fut d´ecisive dans l’histoire de la g´en´etique moderne avec, au milieu des ann´ees 1970, la mise au point par deux laboratoires de deux techniques permettant de s´equencer, de mani`ere r´ep´etitive, l’ADN, i.e. de trouver l’ordre des ´el´ements A, C, G et T sur un simple brin d’ADN. En effet, les nucl´eotides constitutifs de l’ADN ´etaient connus, mais l’enchaˆınement de l’ordre de ces nucl´eotides pour chaque organisme vivant restait `a faire.

L’´equipe de Walter Gilbert, aux ´Etats-Unis, mit au point une m´ethode par d´egradation chimique s´elective, tandis que l’´equipe de Frederick Sanger, en Grande-Bretagne, d´evelop- pa une m´ethode par synth`ese enzymatique s´elective. C’est ainsi qu’en 1977 est r´ealis´e le premier s´equen¸cage d’un organisme biologique (le virus bact´eriophage). La m´ethode Sanger fut privil´egi´ee en raison de sa capacit´e `a s´equencer des fragments d’ADN de grosse taille, contrairement `a celle de Gilbert, qui par ailleurs n´ecessitait l’utilisation de r´eactifs

4Le principe de la m´ethode in vitro repose sur la capacit´e des chercheurs `a r´ecr´eer en laboratoire

un environnement artificiel similaire `a ce qui devrait se passer via la m´ethode in vivo, i.e. au sein de l’organisme vivant.

3.1 Des biosciences aux biotechnologies

chimiques toxiques. De plus, les progr`es scientifiques ont permis la robotisation de la m´ethode Sanger la rendant, de ce fait, plus efficace. Tout un ensemble de progr`es tech- nologiques ont ´et´e faits dans les ann´ees 1980 permettant un s´equen¸cage automatique de l’ADN `a plus grande ´echelle et sur des s´equences d’ADN de plus en plus longues. L’une des ces innovations majeures fut, au milieu des ann´ees 1980, la mise au point de la tech- nique d’amplification g´en´etique appel´ee plus commun´ement “polymerase chain reaction” (PCR). La PCR repose sur l’utilisation de l’enzyme polym´erase dont l’utilisation permet, `a partir de la double h´elice d’un fragment d’ADN, de reconstruire `a partir de chaque brin un nouveau fragment d’ADN compos´e de ses deux brins. Ainsi, un fragment d’ADN donne naissance `a deux fragments d’ADN identiques et la force de la PCR est de pouvoir multiplier ce processus ind´efiniment, permettant aux chercheurs de b´en´eficier en quelques heures de milliers de fragments d’ADN identiques.

Pour r´esumer, grˆace aux nouvelles techniques de s´equen¸cage et de clonage des g`enes, “n’importe quel g`ene peut ˆetre isol´e et sa s´equence d´etermin´ee, puis rabout´ee `a d’autres g`enes et modifi´e `a volont´e, non plus par l’exploitation d’´ev`enements al´eatoires rares mais selon des protocoles enti`erement d´etermin´es” (Douzou et al. 1983, p. 34). Depuis les ann´ees 1970, les technologies et techniques d´evelopp´ees de fa¸con m´ethodique et rigoureuse dans la manipulation des g`enes ont permis aux chercheurs de s’´ecarter de l’al´ea biologique. Le passage de la biologie traditionnelle `a la biologie moderne s’inscrit comme le passage d’une science de l’observation et de l’exp´erimentation `a une science de la compr´ehension et de la manipulation. Ce changement offre aux scientifiques la possibilit´e d’analyser la nature sous un angle nouveau, de d´efinir des probl´ematiques nouvelles sur des ph´enom`enes encore inexplor´es (ou connus mais incompris), et dont la recherche de solutions suit un processus rationnel et d´eductif plutˆot qu’un processus empirique et al´eatoire. Le passage `a la biologie mol´eculaire et `a la g´en´etique a eu un impact consid´erable sur un grand nombre d’activit´es scientifiques et dans de nombreux secteurs ´economiques, au centre desquels se trouve l’activit´e de production de m´edicaments. Aussi, la prochaine section a-t-elle pour but d’´etudier l’´evolution des savoirs mobilis´es dans le domaine de la recherche m´edicale et de montrer que l’activit´e de production de m´edicaments r´esulte aujourd’hui de disciplines multiples et compl´ementaires.

Chapitre 3 - Biotechnologies et innovations

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Des savoirs et des technologies transdisciplinaires