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Les premières traces spécifiques aux LS (excluant la description des signes dans une écriture de LV) furent le dessin. Capable de figurer en une seule image synthétique les traits constitutifs d’un « signe mimique », c’est en 1854 que Rémi Valade professeur à l’institut impérial des Sourds-Muets de Paris expose les modes de description des signes, incluant la « syrmographie »69 pour rendre compte de l’action70 en décomposant le geste en plusieurs mouvements progressifs entre autres. Pour illustrer le mouvement, Pélissier (1856) associe au dessin, des flèches indiquant le type de trajectoire et la position initiale de la main notée en pointillés (Illustration 10). D’autres suivirent ce procédé jusqu’aux dictionnaires bilingues actuels (Déléage 2013, 26 ; Boutora 2008, 195 ; Bonnal 2005, 151).

68 Comprenant leur contexte de production.

69 Néologisme créé par Valade. Du grec « συρμός » : « mouvement rapide en rayant, rasant, balayant » et de « γραφή » : « écriture ».

Illustration 10. Dessins de signes de la langue des signes française du XIXe siècle. Iconographie des signes, Notes explicatives de la Planche XV, Pierre Pélissier, 1856.

Approche

Ces dessins ont une tendance logographique (graphème qui transcrit une unité lexicale [un signe LS]) avec une représentation pictogrammatique (dessin figuratif et réaliste). À ceci près que la syrmographie, contrairement à la majorité des logogrammes, vient s’ajouter pour nous indiquer la manière dont on doit exécuter le signe.

Cette forme de notation en fait une représentation des LS efficace pour la lecture. Elle tient au fait que le dessin figuratif communique de façon quasi immédiate l’ensemble du signe. La synthèse des référents corporels (posture) et spatiaux, et de la gestuelle annotée avec des tracés agit comme un révélateur pour le lecteur qui peut s’identifier et ainsi reconstruire le signe.

En revanche, la réalisation des images contraint ce système à sa seule lecture. Il s’agit là plutôt d’un décalque de l’oral du signe LS, comme outil pour l’enseignement, d’aide-mémoire ou de sauvegarde de lexique, que d’un système d’écriture à part entière. En outre, la représentation centrée sur l’aspect visible du signe, nous pouvons constater l’absence des éléments de dynamique.

8.1. Bébian

Même si certains professeurs, pédagogues, directeurs d’institut travaillant auprès des sourds pensent qu’une écriture de la langue des signes pourrait prendre une forme se rapprochant de l’écriture hiéroglyphique (Degérando (1800), Rambosson (1854) Valade (1854) ou bien chinoise (Morel (1850), Vaïsse (1853), Rambosson (1854)), le seul à s’atteler à la tâche fut Roch-Ambroise Auguste Bébian, dès 1817. En tant que professeur de l’Institut National des Sourds-Muets de Paris il écrit son premier ouvrage intitulé Essai sur les « sourds-muets » et sur

le langage naturel. Puis il continue avec Mimographie ou Essai d’écriture mimique, propre à régulariser le langage des sourds-muets en 1825 alors qu’il est censeur (adjoint au directeur) de

l’institut. Malheureusement, les successeurs de Bébian n’ont pas poursuivi son travail. La majorité préfère les dictionnaires de signes illustrés, étant donné la complexité du codage à connaître avant de pouvoir accéder au signe.

Dans une volonté d’adresser une méthode d’enseignement pour tout instituteur, Bébian, connaissant la langue des signes et considérant son potentiel de développement et d’uniformisation, proposa de joindre à son manuel d’enseignement un essai d’écriture de ce « langage mimique » ou « langage d’action ».

Il en déduit « un petit nombre d’éléments » et considère le geste comme un « mouvement extérieur, partiel ou général du corps ». Il le place comme articulateur d’autres éléments le complétant. Il consacre donc la première partie de son ouvrage à illustrer (Illustration 11) et décrire les différents mouvements (formes et directions) en spécifiant leurs dynamiques ou encore s’il y a une « opposition » (flexion/extension) et une rotation (poignet, tête).

Illustration 11. Mimographie, extrait de la Planche 1 représentant les caractères du mouvement. Bébian, 1825

La forme des caractères est motivée par leur simplicité et leur facilité de mémorisation. Même s’ils sont choisis arbitrairement, Bébian opta pour des formes rappelant les éléments désignés tels que le fragment d’une roue « » pour le mouvement ou d’ailes d’oiseau « » pour la vitesse.

On dénombre un total de 187 caractères regroupés en différents paramètres : — 59 caractères indicatifs du mouvement

— 8 accents modificatifs du mouvement — 80 caractères indicatifs des parties du corps — 6 accents indicatifs des parties de l’organe — 14 signes de position

— 22 points physionomiques

Un signe se compose de manière linéaire, de gauche à droite, commençant par l’organe de l’action, puis le mouvement, et enfin, de manière facultative l’expression du visage. Un signe pourra se composer comme suit :

Illustration 12. Dieu : La main vers soi et les doigts vers le haut s’élève lentement vers le ciel ; la physionomie exprime le respect.

Approche

Les signes ainsi composés font de ce système de notation à tendance phonographique (séparation du signe [lemme] en unités minimales combinables) avec une représentation graphique en partie pictogramatique (choix iconique pour faciliter la lecture).

Ce système a un degré d’abstraction plus important que celui des dictionnaires, permettant, cette fois-ci, de noter à l’aide d’un nombre restreint de symboles, un plus grand nombre de signes dans un espace-temps plus réduit. Le mouvement bénéficie d’une description plus fine, intégrant une certaine dynamique.

Son insuccès tient au fait qu’il est à la fois trop complexe pour être écrit comme on pourrait écrire un discours71 (Bonnal 2005, 138) et pas assez détaillé pour permettre une inscription complète de la forme linguistique sans en connaître déjà les signes. En l’état, ce système se positionne plus comme outil à l’établissement d’un aide-mémoire lexical.

8.2. Stokoe

S’inspirant des recherches initiées plus d’un siècle auparavant, William Stokoe, linguiste américain et président du département d’anglais à l’université Gallaudet72 publie Sign

Language Structure (1960). C’est dans la perspective de démontrer le statut linguistique de

l’ASL que son système de notation phonétique fut créé. Il conçoit les signes comme les sons. Ce système n’a donc pas la prétention d’être un système d’écriture à usage courant, mais bien plus comme un outil de recherche linguistique. Largement centré sur le paramètre manuel, il

71 Bébian le déclare lui-même selon Valade (1854, 53) et dans son essai lorsqu’il stipule que son système est incomplet et qu’il mériterait d’être perfectionné, plus clair et en ajoutant un ensemble de signes idéographiques secondaires.

72 Université américaine qui encore aujourd’hui est la seule au monde a concevoir tous ses programmes et services spécifiquement pour les sourds et malentendants.

est actuellement incomplet si l’on veut étudier les autres paramètres de la LS (expression faciale, mouvements de la bouche, balancements corporels, regard, etc.)73

Le choix des symboles s’est fait au sein de caractères existants. Ceux de l’alphabet latin, des chiffres arabes, de signes de ponctuation et autres diacritiques. Cela permet une transcription pratique et requêtable.

55 symboles :

— 19 formes ou configurations manuelles – DEZ « dezignator » — 12 emplacements où le signe est articulé – TAB « tabula »

— 24 mouvements effectués par la main ou le bras – SIG « signation »

La gestualité

Les symboles du mouvement décrivent les trajectoires rectilignes regroupant la main et le bras dans l’espace (vers le haut/bas ; vers la main dominante/non-dominante, le centre ; vers le signeur/s’éloignant du signeur ; d’avant en arrière) (Illustration 13) ou des interactions entre les mains (contact, converger, croiser, entrer, séparer, échange de positions), des mouvements qui produisent un changement de configuration de la main (saisir, ouverture/fermeture, pianotement) et autres « attitudes » du bras (pronation/supination ; flexion/extension). Nous verrons plus en détail la vision de Stokoe dans la partie Gestualité des LS : phonologie.

axe

Type de mouvement

unidirectionnel (vers…) bidirectionnel horizontal < gauche > droite droite-gauche

vertical ⋀ haut ⋁ bas   haut-­‐bas   profondeur ⊥ avant ⊤ signeur   va-­‐et-­‐vient  

Illustration 13. Tableau des éléments de la méthode d’Entretien d’Explicitation qui posent question en langue des signes française

Un signe se compose de manière linéaire et stricte, de gauche à droite, commençant par décrire la position initiale du signe en indiquant l’emplacement (TAB), puis la configuration de la main et son orientation (DEZ), et enfin le mouvement (SIG). Un signe pourra se composer comme suit :

73 Stokoe l’affirme lui-même : “While the cheremic analysis of the SL seems to be complete enough to make a number of observations [...], the writer is aware that the period of the study is all too short to have arrived at a complete and exhaustive analysis. [...] The other kinds of signals, such as the head dip or ‘questioning look’ are only beginning to be analyzed, and a number of pre-linguistic, paralinguistic [...], dualinguistic data remain to be La gestualité considered” (Stokoe 1960, §3.6)

Illustration 14. Signe [BEAR] en ASL transcrit selon la notation de Stokoe (1965)

Approche

Après la première tentative de décomposition de Bébian, Stokoe parachève cette démarche avec son approche phonographique (séparation du signe [lemme] en unités minimales combinables) avec une représentation graphique en très grande partie arbitraire. On s’éloigne radicalement du désir d’écrire la langue pour une transcription à des fins d’analyses linguistiques. Étant le premier de son genre, ce système n’est pas complet à la vue des recherches qui suivirent.

8.3. HamNoSys

HamNoSys est le Hamburg Sign Language Notation System, système de transcription élaboré par l’université de Hambourg (Prillwitz et al. 1989) et orienté vers les chercheurs.

La formule de description est basée sur celle de Stokoe et a été augmentée au fil des années (e.g. paramètre non-manuel, emplacements en dehors de la zone de signation). Ce système se veut efficace, et à ce titre il vise une utilisation internationale, une compatibilité avec les outils informatiques d’affichages et d’indexations standards, une capacité d’extension, une syntaxe ergonomique suivant les principes de compositionnalité, une économie syntaxique (e.g. principes de symétries) et une iconicité des symboles (facilité de mémorisation) (Thomas Hanke 2004).

Dans l’ensemble, le système s’est focalisé sur la finesse de transcription des paramètres manuels. Il contient environ 210 symboles représentant les 4 paramètres manuels repris de Stokoe, s’ajoutant à cela, on trouve quelques indications pour l’expression faciale. La formule graphématique d’un signe s’ordonne de manière linéaire et stricte, de gauche à droite. Elle décrit la posture de départ en commençant par l’opérateur de symétrie (indiquant la relation entre les deux mains), puis la configuration de la main, comprenant la configuration de la main dominante puis non-dominante, leur orientation, leur emplacement et également des

éléments non manuels, et enfin « l’action » (Illustration 15). S’affranchissant des caractères existants (alphabet romain), l’ensemble de ces symboles est disponible en téléchargeant la police de caractères et un clavier virtuel d’aide à la saisie.

Illustration 15. Signe [BEAR] en ASL transcrit selon la notation de HamNoSys

Ainsi la syntaxe et les symboles du mouvement sont par défauts dédiés aux mains. Ils peuvent néanmoins s’appliquer à d’autres parties du corps (tête et ses parties, épaules) sans être réellement développés par le système.

La gestualité

Le paramètre du mouvement est décrit par une combinaison de mouvements de trajectoire et/ou de mouvement sur place (i.e. changement de configuration, mouvement du poignet/avant-bras). La combinaison peut être de type séquentiel, « cotemporel » (i.e. parallèlement) ou fusionné (i.e. quand il n’y a pas de pause entre un mouvement et le suivant) (T. Hanke 2013). La trajectoire est indiquée formellement par des droites, arcs, cercles, ellipses, ziz-zag/vague (additionnels aux autres trajectoires). Elle est répartie dans l’espace par tranches de 45 degrés autour du signeur (Illustration 16).

Illustration 16. HamNoSys, symboles pour des mouvements rectilignes dans l’espace de signation74 Deux types de mouvements s’appliquent à la trajectoire : un mouvement ciblé qui spécifie son emplacement cible et le mouvement relatif qui détermine sa direction et sa taille (petit, standard et grand) du mouvement. À ces mouvements de trajectoires viennent s’ajouter différentes indications. HamNoSys prend en compte une certaine dynamique (rapide, lent, tendu, arrêt au départ, arrêt soudain, rebond en arrière) et des éléments de répétition (une, plusieurs fois, répétées à l’emplacement de fin du mouvement précédent, dans la direction opposée, en changeant de main).

Approche

Grâce aux recherches qui ont suivi celles de Stokoe, ce système de transcription a su tirer parti d’une description phonographique fine en ajoutant une représentation en partie pictogramatique (choix iconique pour faciliter la lecture de mémorisation).

Selon le consortium IRCOM (corpus oraux et multimodaux) constitué de linguistes, HamNoSys « est d’une relative efficacité pour la représentation de signes isolés, mais ne permet pas de représenter le discours en LS, caractérisé par une exploitation massive de l’espace et l’implication simultanée dans la construction du sens des différentes composantes corporelles » (IR-CORPUS s. d.)