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PARTIE 3 : METHODOLOGIE, ANALYSE ET CONCEPTION

34.   Matériel

L’expérience demande la préparation de guides pour mener l’entretien. Nous avons vu la préparation de l’accompagnement en langue des signes, nous nous intéresserons maintenant à la mise en place de l’expérience, aux supports visuels associés et aux critères de télicité sur lesquels se référer pour orienter l’attention de l’interviewé durant l’entretien.

137 Cela fait partie du contrat d’attelage (voir 32.1 Préparation de l’accompagnement). Nous les rassurons en leur expliquant que nous sommes également filmé, qu’il n’y a aucun jugement de notre part et que leur image ne sera pas diffusée (accompagné d’un contrat de droit à l’image).

34.1. Création d’un vécu de référence

Nous l’avons vu, l’objectif est d’aller explorer la gestuelle de la langue qui s’est en partie automatisée, d’interroger sa dynamique au niveau du micro-phénomène. Pour cela, nous ne pouvons pas invoquer n’importe quelle occurrence gestuelle, ni même la refaire durant l’entretien. Nous risquerions de tomber sur des représentations générales ou acquises et non uniques. Il est important de faire appel à un vécu spécifié. Mais dans le flot quotidien de nos paroles, c’est comme si nous vous demandions, maintenant, de revenir sur un moment en particulier où vous avez dit « Je suis allé… », de décrire ce qui s’est passé pour vous précisément sur le mot « aller », puis autour de la lettre « a », etc. La problématique pour cela est de pouvoir non seulement évoquer un vécu portant une gestuelle particulière – en l’occurrence un signe porteur de télicité –, mais également que ce vécu soit relativement similaire pour tous les participants afin de faciliter l’analyse en procédant à une comparaison. Pour structurer cela, nous avons décidé de créer un vécu en proposant une petite expérience. Celle-ci devient alors le vécu de référence pour mener l’entretien.

Au départ, nous avons restreint l’expérience à verbaliser en la réduisant au maximum. Cela se résumait à l’élicitation d’un verbe atélique présenté sous forme écrite (en français). Ce choix était motivé par la nécessité de limiter la variation de proposition entre les personnes et obtenir un énoncé court à évoquer dans l’intention de recentrer rapidement le questionnement sur la gestuelle. Bien entendu, même si cette expérience constitue une tâche effective et spécifiée, elle n’en reste pas moins obscure ou sans intérêt pour la personne. L’évocation s’en est trouvée particulièrement difficile à mettre en place et à maintenir. La personne fait alors appel à son expérience générique, ce qui sort du spécifié pour aller dans le rationnel. L’expérience proposée doit être assez signifiante pour que la personne puisse y faire appel. En effet, cela nous a montré, d’une part, que l’expérience était trop rigide et, d’autre part, que le rapport au français est pour certaines personnes sourdes, un renvoi à leur passé scolaire139 difficile (DUHAYER et al., 2006). Finalement, nous avons préféré créer un dialogue un peu plus long140, mais plus naturel et proposer une image évoquant le verbe télique.

34.2. Choix des signes

La petite expérience doit amener le locuteur à énoncer un certain verbe porteur de télicité : aspect lexical (signe pris pour lui-même) qui implique la grande notion d’accompli/inaccompli, avec délimitation ou non (bornes), et qui implique également une trajectoire spatiale. À noter que dans la situation de notre expérience l’aspect lexical est pris

139 Langue secondaire et difficulté d’apprentissage à lire et écrire le français.

dans un énoncé (dans le contexte grammatical du verbe) et donc par l’aspect grammatical (signe pris dans l’énoncé). Ce qui peut faire varier la structure temporelle interne au procès, qui touche le mouvement et sa qualité et qui est un bon démonstrateur d’une dynamique gestuelle porteuse de sens.

Le choix du verbe à signer s’est porté sur le verbe [ALLER] qui est porteur ou non de télicité ce qui lui confère un double emploi suivant la phrase (contexte grammatical).

Comme le signalent Gosselin et François (1991, 22), il est difficile de dire si le verbe « aller » est télique ou atélique. « Aller » est de préférence atélique, mais avec une prédication élargie (contexte élargi) il devient télique. Par exemple, dans une zone actancielle en contexte minimal, nous pouvons dire « je vais », alors qu’en contexte élargi nous dirions « je vais à Paris ».

Ainsi, en prévention lors de l’entretien, nous avons ajouté le verbe clairement télique [ARRIVER] comme élément de comparaison au cas où il y aurait des difficultés dans la description de [ALLER].

34.3. Images associées

Il s’agit maintenant d’illustrer le signe [ALLER] de manière simple et évocatrice afin d’être reproductible par tous. En linguistique des LS, pour l’élicitation, il est courant d’utiliser une image du signe tirée du dictionnaire de l’IVT (Illustration 30), une image ou une suite d’images très figuratives comme celles de conte qui font appel à l’imaginaire ou un extrait vidéo. Dans notre cas, pour éviter un énoncé trop long, l’image du dictionnaire nous paraissait la plus adaptée.

En revanche, cette illustration indique un signe unique et précis, ainsi que son mouvement représenté par des flèches qui n’est pas forcément partagé par le signeur141. A priori, le procès du verbe devrait se retrouver, quel que soit le signe employé par le locuteur. De plus, pour provoquer un énoncé et non seulement le verbe, il nous faut une illustration laissant place à un minimum d’imagination et d’interprétation. Sachant que l’une des spécificités des LS est de pouvoir décrire très finement le contenu des images, d’illustrer les actions, il nous fallait donc une image qui soit assez neutre pour atteindre le verbe, sans décorum. Ce qui nous a amené à réaliser des illustrations schématiques de l’action des verbes (Illustration 31).

Illustration 31. Image 1 [ALLER] et Image 2 [ARRIVER] 34.4. Critères de la télicité

Suivant la littérature se rapportant à l’aspect du verbe que nous avons vu dans la partie 2 chapitre 2 et l’intérêt de comprendre les catégories descriptives rattachées à l’objet d’étude, nous avons pris le temps de mettre à plat le vocabulaire nécessaire pour nous guider le locuteur lors des questions et des relances. Nous avons traduit le vocabulaire tout en pensant à produire les « effets perlocutoires » (Vermersch 2012, liv. 3) au plus proche de nos intentions, c’est-à-dire le fait d’anticiper les conséquences de l’acte de dire, de « ce que je fais à l’autre avec mes mots » pour l’emmener où nous souhaitons. Afin de rester dans l’évocation, il est préférable d’orienter l’attention du locuteur directement sur le contenu à observer, par des questions courtes, directes, posées une à la fois et qui ne suscitent pas d’autre question. Nous avons pour cela choisi, par exemple, d’induire la notion de vitesse en désignant ses caractéristiques : est-ce que c’est rapide ou lent ? Ci-dessous le tableau des notions abordées et leurs caractéristiques utilisées lors de l’entretien.

Critères Vocabulaire employé en LS

Tension et force du signe Fort/doux, emplacement dans le corps

Vitesse Lent/rapide

Rythme Variable/stable + localisation dans le déroulé

Profil d’accélération Vitesse croissante ou décroissante

Contrôle du geste Contrôlé/lâche

Comparer départ et arrivée, lien entre eux Lien/séparé

Flux de propagation du mouvement Situer dans le corps l’impulsion de départ Illustration 32. Grille des critères de télicité en vue du guidage en langue des signes