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PARTIE 3 : METHODOLOGIE, ANALYSE ET CONCEPTION

37.   Notre modélisation

Notre modélisation s’appuie sur les modèles que nous venons de voir, elle suit l’approche expérientielle et inclut les trois points de vue (1re, 2e et 3e personne vues en partie 2, chap. 1), mais est aussi tributaire des données recueillies. En effet, après avoir visionné les différents entretiens, les avoir représentés sous forme de grandes étapes, et distingué les informations satellites de l’action vécue, il s’avère que nous n’avons pas obtenu d’entretien « type » à l’entretien d’explicitation. Le temps d’évocation est parfois trop court ou sur une description qui ne concerne pas nos objectifs. C’est sans doute la manifestation que l’objet est difficile à atteindre (voir part.2, chap. 3 Verrous et risques) et/ou d’un manque d’expérience pratique du chercheur dans le guidage d’entretien en LSF. Il est en effet difficile de verbaliser la verbalisation, de dire le dire, d’employer la même modalité entre l’action et sa description (comme les langues des signes nous y obligent), de devoir redire le mot dit. Notre méthodologie d’analyse tient compte du caractère atypique des données recueillies et propose une démarche axée sur les éléments objectifs et signifiants à retirer pour la conception de l’instrument.

Cette démarche en trois étapes s’inspire de celles de Vermersch et de Petitmengin dans la préparation des données par une démarche « ascendante » qui consiste à abstraire progressivement les éléments de description à partir de textes, gestes et catégories. Puis une démarche « descendante », lorsque des structures génériques ont commencé à se dégager, qui consiste à interroger les données à partir de structures déjà repérées. Ce qui permet de modéliser rapidement de nouvelles descriptions et de confirmer ou de valider les structures repérées. Nous ajoutons une étape de comparaison et de discussion de ces structures avec la littérature.

37.1. Étape 1 – Recensement des qualificatifs/descripteurs subjectifs (en 1re pers.) des verbes.

Dans cette première phase d’analyse, il est question d’identifier et de recenser les mots qualificatifs employés qui définissent le verbe [ALLER]145 selon la perception de chaque locuteur. Ce recensement passe par un processus d’affinement partant de la vidéo de l’entretien dans son intégralité pour arriver au lexique décrivant le geste.

Au départ, il s’agit de voir la vidéo, d’en faire un portrait global et d’y délimiter les différents types de discours (évocation, commentaires, jugement, etc.). Ainsi, nous pouvons recentrer l’analyse en sélectionnant les parties de l’entretien qui seront traduites (extrait analysé dans l’Illustration 35). En effet, les entretiens étant en LS, il faut passer par une phase de traduction qui demande un temps supplémentaire à celui d’analyse. Il est donc préférable de concentrer ce travail sur les moments clés des entretiens. Pour procéder à la sélection des séquences vidéos clés, nous nous sommes repérés au moment de la description fine du signe, où la personne rentre dans le déroulé, dans ses perceptions. Cela se situe généralement après la contextualisation et la description générale du vécu de référence, au moment de la fragmentation. Ensuite, une fois la traduction effectuée, nous pouvons nous détacher de la vidéo et faire ressortir ce qui est signifiant pour les personnes sourdes (représentés par les descripteurs A et B dans l’Illustration 35). Cela nous donne tout d’abord une vision sujet par sujet du verbe [ALLER], à la première personne, que nous regroupons ensuite dans la deuxième phase d’analyse.

Illustration 35. Étape 1 de l’analyse. Sélection des séquences vidéos clés de l’entretien contenant des qualificatifs (A et B) en 1re personne du verbe [ALLER]

37.2. Étape 2 – Analyse (en 2e pers.) de chaque occurrence des verbes [ALLER] et [ARRIVER] d’après les critères de l’étape 1

Après le recueil des qualificatifs de chacun dans la première étape, la deuxième phase consiste à réaliser un vocabulaire homogénéisé d’après la compréhension de ces qualificatifs, et d’ainsi

145 [ARRIVER] a été inclus dans le protocole pour cinq locuteurs sur six et n’étant qu’un support pour faciliter l’explicitation du verbe [ALLER], nous avons reçu trop peu d’information pour en faire l’analyse en étape 1 et 2. En revanche, ayant un certain nombre d’occurrences du verbe, nous l’avons inclus à l’étape 3.

faire l’analyse de l’ensemble des occurrences du verbe [ALLER] énoncé lors des différents entretiens. Cette analyse permet, d’une part, de consolider ou non le ou les éléments signifiants des gestes perçus par les locuteurs qui seront investis pour la conception de l’instrument, et, d’autre part, de faciliter le dialogue avec l’analyse plus objective réalisée grâce au vocabulaire tiré de la littérature.

Avant de confronter les qualificatifs de tous les entretiens et d’en retirer les grandes lignes, il est intéressant d’approfondir la traduction depuis la vidéo, d’être au plus proche des descriptions de chaque locuteur, mais également de l’ensemble, et de cette façon, d’ouvrir vers de nouveaux qualificatifs plus englobants (descripteurs A+ et B+ dans l’Illustration 36). Nous avons décidé de faire cette observation à deux personnes séparées pour croiser les interprétations et nous assurer de nos impressions et nos compréhensions. C’est là que nous avons poussé notre lecture et notre compréhension de ce que voulaient dire les personnes sourdes en observant attentivement l’ensemble de leur co-gestuelle (marqueur de variations fines de sens) tout ce qui accompagne la description, en faisant des aller-retour entre description et production. En somme, tout ce qui n’est pas perceptible en première lecture et compte tenu que la LSF est une langue seconde.

Cette analyse s’est adossée à un travail de mise à plat du vocabulaire en 1re personne et de sa classification par champ lexical pour en extraire un lexique synthétique.

Une fois le vocabulaire stabilisé établi, inspiré des locuteurs, nous pouvons observer d’un point de vue plus objectif l’ensemble des extraits vidéos sélectionnés et voir de quelle manière ce vocabulaire s’applique ou non à chaque apparition du verbe [ALLER] (verbes analysés avec les descripteurs AB+ dans l’Illustration 36).

Illustration 36. Étape 2 de l’analyse. 1) Requalification (A+ et B+) des descripteurs et 2) observation des occurrences de [ALLER] (verbe) à l’aide des descripteurs requalifiés (AB+)

37.3. En Étape 3 – Recherche de l’invariant par une analyse objective et systématique (en 3e pers.) venant de la littérature

Cette étape vient interroger et mettre en perspective les éléments tirés de la deuxième étape au regard d’une analyse des mêmes occurrences de [ALLER] conduite avec des critères venant d’une littérature scientifique convoquant l’aspect télique en langue des signes ou gestuelle

co-verbale146. Il s’agit de mettre au point l’inventaire de leurs critères et de faire une observation systématique de chaque occurrence (critères CD dans l’Illustration 37).

Illustration 37. Étape 3 d’analyse. Qualification (CD) selon des critères provenant de la littérature