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13.1. Brentari : modèle prosodique

Avec son modèle prosodique inspiré de Goldsmith (1990), Brentari (1998) aborde les structures phonologiques de l’ASL par une approche sonore, mais visuellement parlant (transpose la notion de sonorité des LV à la saillance visuelle des LS). Comme nous l’avons vu plus haut, à partir du signe, elle distingue deux catégories de traits représentés par deux branches : les traits inhérents (IF pour Inherent Features) et les traits prosodiques (PF pour

Prosodic Features). Les IF correspondent aux traits statiques de configuration manuelle et le

lieu d’articulation (emplacement), alors que les PF porte la sonorité et donc la saillance dans la syllabe. Ce sont les traits dynamiques du mouvement qui correspondent aux unités basiques de prosodie. Les PF peuvent changer au cours du signe et seront réalisés séquentiellement dans le temps.

Le mouvement n’est donc pas considéré comme une simple transition entre deux positions, mais bien comme un élément nécessaire à la grammaire des langues des signes américaines. Il est défini par une trajectoire (direction ou forme…) et un mouvement local (changement de configuration ou d’orientation de la main, mouvement de trille). Il peut être simple (un seul mouvement de trajectoire ou local) ou complexe (deux mouvements ou plus, combinés), transitionnel à un niveau phrastique (entre deux signes par exemple).

Les traits prosodiques (ibid, 129 et suivantes) sont organisés en différents types de mouvements dont voici l’inventaire :

— Trajectoires (path) spécifiées par leurs directions ou leurs formes, ou par le point pivot du bras (coude), ainsi que les répétitions, l’alternance du mouvement dans un signe à deux mains et le contact.

— Changements de paramètres (setting Changes). Ce sont des mouvements entre deux valeurs, sur un plan (XYZ) dans lequel l’articulateur peut se déplacer.

— Changements d’orientation. Ce sont des mouvements articulés par le poignet (flexion/extension, abduction/adduction, pronation/supination).

— Changements de configuration manuelle. Ils concernent l’ouverture/fermeture d’une configuration, ou le changement de configuration à une autre.

— Traits libre-articulateur (articulator-free) : mouvements de trille ou mouvements secondaires. Ils sont placés au bout de la branche des traits prosodiques. Ce sont de petits mouvements tels que le pianotement, le hochement (flexion/extension “nodding” ou abduction/adduction “twisting”), le tremblement, frottement des doigts, etc.

— Traits non manuels. Ce sont les traits non manuels accompagnant les traits manuels. Par exemple les gestes de bouche, les mouvements du corps.

13.2. Miller : modèle rythmique et prosodique

Comme pour le modèle prosodique de Brentari, le modèle de Miller (2000) s’appuie sur l’étude du mouvement et de la notion de prosodie pour déterminer son modèle. Il s’appuie également sur la syllabe comme unité phonologique. La différence est que la syllabe est basée sur le mouvement et son rythme (Boutora 2008). La thèse centrale du modèle est qu’il ne prend pas en compte l’aspect géométrique du mouvement (trajectoire) et que seuls l’aspect séquentiel (états distincts) et la structure temporelle (unités prosodiques) jouent un rôle phonologique pour le mouvement. Il s’éloigne donc de l’aspect géométrique du mouvement pour se concentrer sur les propriétés rythmiques et prosodiques du mouvement. Pour cela, il se réfère aux structures rythmiques et prosodiques des langues vocales. Ainsi il fait un découpage de la syllabe (attaque) en y ajoutant la more (longueur des syllabes) et reconnaît le système de grille métrique et les contraintes rythmiques des théories phonologiques métriques des LV (avec certains ajustements) de Hayes (1995) pour déterminer la localisation de l’accent tonique dans les signes.

Le traitement prosodique du mouvement oscille entre phonologie syllabique (niveau lexical) et phrastique (niveau grammatical, en fonction de la structure rythmique, du contexte où le signe se trouve). Ce qui permet à cette approche par exemple de traiter de schémas rythmiques que l’on trouve dans le registre poétique des LS (voir Blondel (2000) et Blondel & Miller (2001) pour une étude de la poésie enfantine en LSF) (Boutora 2008).

Le mouvement est découpé en plusieurs aspects simultanés. Il reprend la distinction faite par Stokoe (1960) même s’il ne considère pas vraiment le troisième :

« (1) L’aspect séquentiel. Les mouvements sont des séquences d’états cibles des articulateurs.

(2) L’aspect temporel. La forme temporelle des mouvements varie selon le débit (rapide/lent ; accélération/décélération) et la cyclicité (un seul cycle ou répété).

(3) L’aspect géométrique. Les mouvements décrivent souvent un trajet dans l’espace (ligne droite, courbe, cercle, etc.). »

Conclusion

De manière générale, étant donné sa complexité, le paramètre du mouvement dans la phonologie des langues des signes reste encore un élément faisant l’objet de diverses recherches sans obtenir de réel consensus. Suivant le modèle, il est placé à différents niveaux dans le modèle (segment, trait, etc.) et abordé de différentes manières (changement entre deux états, prosodie, géométrie, rythmique). Dans tous les cas, il est étudié dans un cadre de référence égocentré (corps du locuteur) et particulièrement centré sur la main.

Si le modèle de Stokoe et s’opposent par leur observation temporelle du signe, qu’il soit effectué simultanément ou séquentiellement, le mouvement est décrit comme un changement d’un ou plusieurs états posturaux définis. Il est défini par ses aspects séquentiels, géométriques et temporels, ainsi que ses changements de configuration manuelle et ses interactions.

C’est avec les modèles de Brentari et Miller que le mouvement prend une autre dimension. Les deux linguistes prennent l’étude du mouvement comme origine de leur modèle, ce qui lui confère une part importante du système, même s’il est pris en tant que prosodie, à un niveau suprasegmental. Le mouvement et sa dynamique jouent ainsi le rôle de saillance au sein du signe, perceptuelle pour Brentari et rythmique pour Miller. Ce rôle vient conforter notre hypothèse selon laquelle le geste peut être pertinent et peut être investi dans la création l’écriture des langues signées.

Chapitre 3 : Gestualité, écriture et technique

L’écriture des LS relève donc d’un jeu d’équilibre pour rendre compte des phénomènes gestuels ancrés dans l’espace. Elle a également la particularité de pouvoir exploiter le potentiel symbolique des gestes oraux dans ses gestes écrits dû au partage de modalités de production/réception entre oral et écrit.

Nous allons voir à quel point ces circonstances inédites peuvent nous amener à repenser l’écriture des LS dans la boucle écriture-lecture et instaurer les conditions favorables à sa création.

Analogie gestuelle

Les Langues des signes et l’écriture font appel au corps dans leur production et à la vue dans leur réception. Ce contexte inédit de partage de modalités gestuo-visuelle place l’oralité et l’écrit des LS dans un rapport de co-existence, voire de sémiotique partagée et d’interdépendance. L’expression des LS peut alors se révéler au travers d’une scripturalité comportant les dimensions formelles et gestuelles intrinsèques de l’oral.

Il s’agit de rendre compte à la fois de la pluridimensionnalité des réalisations en LS (utilisation de différents articulateurs, postures et espace) dans la bidimensionnalité de la surface graphique. Parvenir à faire le passage entre l’ensemble de structures pertinentes pour les LS et l’ensemble de structures graphiques de l’écrit demande un principe souple, capable de s’adapter à cette demande. L’iconicité d’image, l’un des principes iconiques92 a largement été repris. Or, au-delà de cette première évidence visuelle, nous pouvons nous interroger sur d’autres relations et notamment les relations gestuelles qui pourraient compléter la sémiose initiée par l’aspect visuel.