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Bref historique

Les recherches sur les langues des signes ont débuté dans les années 60-80. Elles portaient sur l’organisation et les processus phonologiques de l’ASL. À l’instar de Stokoe, l’accent était mis sur la reconnaissance des LS et leur assimilation aux LV87. Les différences entre les deux modalités jouaient un rôle mineur dans l’organisation cognitive du langage humain, au profit d’une perspective universaliste (Boutora 2008). C’est à la fin des années 90 et début 2000 que les réflexions se déplacent et accordent une place à la question de la motivation dans la forme et l’organisation des unités dites de « bas niveau ». Il n’est plus question de démontrer que les LS sont de véritables langues, mais plutôt de révéler les règles phonologiques qui sous-tendent les phénomènes observés. Les travaux se sont multipliés, pour l’ASL, mais également pour diverses autres langues signées.

86 Voir, entre autres, F. Grosjean (1980), E. Klima et U. Bellugi (1979), L.A. Petitto et P.F. Marentette (1991)

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Composition du signe /structure

Suite aux premiers travaux, pour la plupart des études menées en LS passées et actuelles, il est admis, même si cela a été contesté depuis 198188 que les signes sont composés de paramètres89 primaires/majeurs et secondaires/mineurs. Chaque paramètre constitue un ensemble d’éléments primitifs, reliés entre eux suivant des règles telles que la distribution contrastive ou complémentaire ou bien contraints par les rapports syntagmatiques.

Paramètres phonologiques primaires ou majeurs : — la configuration manuelle (Stokoe 1960)

— l’emplacement où s’articule le signe (Stokoe 1960)

— le mouvement effectué par la main ou le bras (Stokoe 1960) Paramètres phonologiques secondaires ou mineurs :

— orientation de la main (Battison 1978)

— contact de la main à une autre partie du corps, y compris l’autre main (Klima et Bellugi 1979)

— l’arrangement des mains entre elles, comme la symétrie ou la contrainte de dominance (Klima et Bellugi 1985; Kyle et al. 1988)

— la distinction entre mouvement primaire (macro ou trajet) et secondaire (micro ou local) (Liddell et Johnson 1989; Friedman 1977)

Les paramètres non-manuels d’expressions du visage et les mouvements du corps ne sont pas retenus dans les modèles phonologiques, mais plutôt dans les descriptions morpho-syntaxiques.

Quoique cette description par paramètres semble former une base intéressante de recherche, divers modèles expliquent la composition des signes de différentes manières. Nous allons faire une description générale des différents points de vue et grandes notions qu’ils impliquent, voir comment le mouvement y est considéré et nous proposerons d’examiner quelques modèles en abordant leur description du mouvement et sa place dans le modèle.

Modèles de composition :

• Simultanée – les phonèmes se combinent simultanément en un seul « créneau temporel ». Par exemple, le modèle « Cheremic » de Stokoe (1960) (voir plus haut Illustration 7)

88 e.g. Liddell 1984 ; Newkirk 1981 ; Padden & Perlmutter 1987 et l’ensemble de la littérature suivante ; Sandler 1986

• Séquentielle/segmentée

o Segments – un signe est divisé en plusieurs « segments » suivant les différentes phases du mouvement. Voir le modèle « Hold-Movement » de Liddell (1984) o Autosegment – un segment est constitué de traits hiérarchisés. Les unités ne

sont pas séquentielles et linéaires, mais plutôt squelettables, plurilinéaires. Les segments ont une autonomie relative (Goldsmith 1990; Sandler 1986, 1987 et 1989). Par exemple, voir le modèle « Hand Tier » de Sandler qui sépare la configuration de la main en un autosegment (configuration + orientation). o Unisegment – un segment équivaut à un signe « unisegment », qui est la

combinaison de traits statiques et dynamiques (Van der Hulst et Channon) o Suprasegment – l’unité phonologique ou prosodique à valeur de syllabe

« signée » qui est une notion plus large que les phonèmes, et ajoute l’intonation, le rythme, etc. (Brentari, 1990 ; Corina, 1990 ; Perlmutter, 1992 ; Sandler, 1993)

• Visuelle – la géométrie mathématique est choisie pour exprimer la structure phonologique, et en particulier avec la géométrie liée aux capacités physiologiques des articulateurs. Voir le modèle « Visual Phonology » de Uyechi (1994 et 1995).

Pour exemple, le modèle prosodique de Brentari (1998) combine plusieurs des notions ci-dessus. Le modèle considère le segment comme une syllabe signée. Une syllabe est déterminée par la main dominante qui véhicule le maximum d’informations (équivalent de l’attaque et noyau pour les LV). Dans sa structure, la syllabe contient un nœud reliant différents traits. Chaque trait possède une structure temporelle propre, que l’on peut considérer comme autosegment. L’un de ces traits porte la saillance perceptuelle du signe et constitue l’élément le plus « sonore » de la syllabe. Aussi, elle distingue les traits « inhérents » et les traits « prosodiques ». Les traits inhérents sont spécifiés une fois par lexème et ne changent pas durant le signe. Les traits prosodiques sont ceux qui peuvent changer au cours de signe ou être des traits des propriétés dynamiques. Les traits inhérents sont réalisés simultanément, alors que les traits prosodiques sont réalisés séquentiellement (Brentari 1998).

Statut phonologique du mouvement : oui ou non ?

Selon les modèles et leurs notions fondatrices, le paramètre du mouvement y tient une place plus ou moins importante et peut être utilisé de différentes manières. C’est le paramètre qui fait le moins consensus en raison de sa complexité. Le terme même de « mouvement » n’est pas univoque. En effet, il peut être employé comme segment (modèle Hold-Movment, Hand Tier), comme n’importe quel aspect dynamique de déroulé du signe (e.g. mouvement de transition), ou n’est employé que pour désigner les aspects dynamiques internes aux signes (changement de forme de la main, changement d’orientation, trajectoire, etc.) (Brentari 1998). De manière générale, le mouvement peut être considéré ou non comme une unité phonologique.

Pour les modèles a- ou uni-segmentaux (e.g. Van der Hulst 1993 ; Channon 2002), le mouvement est déduit d’après les autres paramètres, et n’est donc pas considéré comme une unité phonologique. En effet, le modèle indique les emplacements majeurs ou mineurs pour les déplacements (mouvements primaires) et à la spécification des traits d’aperture90 et d’orientation de la main (mouvements secondaires). De la même manière, pour le modèle visuel (Uyechi 1994) le mouvement est analysé comme une « unité de transition » découlant des « transformations rigides du corps ».

Pour les modèles autosegmentaux (e.g. Sandler 1989) et suprasegmentaux (e.g. Miller), le mouvement est considéré comme une unité phonologique. Le mouvement est un segment dynamique ou une structure syllabique associés à des traits.

Maintenant que nous avons vu dans ses grandes lignes le cadre phonologique des langues des signes et la place que peut avoir le mouvement selon les modèles, nous pouvons en détailler quelques-uns pour en extraire des éléments à prendre en compte dans notre recherche.

Nous ne rentrerons pas dans le détail de la structuration de chaque modèle, mais nous nous appesantirons davantage sur leur vision concernant le mouvement. Nous proposons de voir la première analyse phonologique de Stokoe (1960)91, puis celles de Liddell et Johnson (Liddell 1984 ; Liddell & Jonhson 2011), Brentari (1998), et Miller (2000) qui accordent une place particulière au mouvement.

90 Qui correspond à l’écartement des doigts opposés au pouce.

91 Pour une revue historique de la phonologie du mouvement en LS, voir Miller : les premières études sur le mouvement (2000, chap. 2).