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Malgré une linguistique relativement récente des langues des signes, les études et les descriptions internationales de celles-ci sont multiples et font débat59. Nous nous concentrerons sur le travail le plus marquant pour nous pencher sur les questions de gestuelle et d’écriture. Nous considèrerons l’approche qui illustre le principe de décomposition du signe, sans entrer dans les différentes approches théoriques existantes.

Comme nous l’avons vu dans le point précédent, dans les années 1960-70, le but des linguistes était de conférer le statut de langue à part entière aux LS. Un des moyens d’y parvenir est de mettre au jour, avec les outils descriptifs et théoriques élaborés pour les LV, les règles phonologiques qui sous-tendent les phénomènes observés. En ce sens, Stokoe (1960) s’inspire des travaux précurseurs de décomposition des signes de Bébian (1825) et met en

58 Alphabet national représenté manuellement.

59 Les travaux de description linguistique d’une LS opposent deux tendances et une intermédiaire en ce qui concerne l’iconicité de la LS. Les approches convergentes (structuralistes et plus particulièrement générativistes) mettent de côté la dimension iconique, tandis que les approches différentialistes ont élaborés des modèles théoriques spécifiques aux langues des signes. Les approches intermédiaires emploient des modèles paramétriques intégrants les aspects iconiques. (Braffort 2016).

évidence la double articulation de l’ASL au moyen de paires minimales de signes ne se différenciant que par un paramètre manuel (Braffort 2016) (Illustration 6).

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Illustration 6. Paires minimales en ASL60

L’ASL serait ainsi une langue alors qu’elle utilise un canal visuel-gestuel (et non audio-phonatoire) et qu’elle est iconique (vs arbitraire). D’après une analyse d’environ 2000 signes, il montre qu’ils sont organisés à partir d’un nombre limité de trois paramètres. La configuration de la ou les mains (DEZ : designator), l’emplacement du signe par rapport au corps du locuteur (TAB : tabula) et le mouvement de la ou des mains (SIG : signatum). Ces trois paramètres eux-mêmes organisés à partir d’un nombre limité d’unités possibles qu’il appelle « chérèmes »61, par analogie avec les phonèmes de Martinet (Martinet 1957). De cette façon, on peut décrire chacun des signes de manière distinctive à partir de la réunion d’éléments de chacun de ces trois paramètres (Illustration 7).

Illustration 7. Équivalences LV-LS selon la double articulation décrite par Stokoe.

60 Images tirées du site internet « Baby sign language » https://www.babysignlanguage.com/dictionary/

Les unités paramétriques sont réalisées simultanément (branches convergentes) alors que les phonèmes sont organisés séquentiellement (branches verticales) (Boutora 2008)

7.1. gestualité LS

Nous avons vu que les LS sont communément divisées phonologiquement en plusieurs paramètres : manuels et non manuels. Les paramètres non manuels s’ajoutant à ceux de Stokoe, formant ainsi les paramètres pris en compte et se retrouvant à différents niveaux dans les systèmes de notation et d’écriture existants. On considère donc comme paramètres manuels la configuration de la main (forme de la main), son orientation, son emplacement dans l’espace de signation et son mouvement. Les paramètres non-manuels sont l’expression du visage, le mouvement des épaules et du buste. L’ensemble de ces paramètres s’articule simultanément62 pour former un geste, un signe. Ainsi pour le signe [RÉCENT] (Illustration 8) nous pouvons le décomposer comme suit :

— La configuration indique que l’objet de l’action se situe sur une zone (main plate) d’une ligne de temps imaginaire (ligne horizontale placée à côté de la tête du locuteur : le passé se situe vers l’arrière, le présent juste devant, vers le bas et le futur vers l’avant63)

— L’emplacement indique que l’action est réalisée au niveau de l’épaule de la main en action (non opposée). Il est positionné sur un axe temporel virtuel allant de l’arrière de l’épaule vers l’avant, l’épaule étant entre le passé et le présent.

— L’orientation de la paume de la main est tournée vers le locuteur.

— Le mouvement de la main (ici des doigts), par une petite flexion répétée en contact avec l’épaule, pointant le passé « ici, juste là ». Il est différent de ce que produirait un mouvement de la main, projetant alors une direction plus éloignée dans le passé ou le futur.

— L’expression du visage (mouvement des sourcils) et l’inclinaison de la tête pointent également la zone d’action marquée par les paramètres de la main. Cela renforce l’effet « ici, juste là ».

62 Approche originaire de celle de Stokoe. Il existe également l’approche de Liddell et Johnson (2010) qui propose une organisation séquentielle des signes.

63 D’après une étude des gestes exprimant des informations temporelles menée sur des gestes co-verbaux [Calbris 1993] et des gestes de LSF [Cuxac 1993].

Illustration 8. Signe [RÉCENT] du dictionnaire de l’IVT (Girod 1997)

La gestualité d’un signe concerne les paramètres manuels et non-manuels. Sa dynamique pouvant changer la forme d’un même signe permet de différencier les aspects du verbe (Cuxac 1983 ; Liddell 2003, 37). Nous aborderons ce point plus en détail dans la partie 2, chapitre 2 Ciblage : aspect du verbe, mais pour exemple, le verbe [VOIR] (Illustration 9) peut comporter différentes marques aspectuelles suivant la dynamique de la main :

Mouvement manuel Paraphrase

Bref Je vois brièvement

Bref, petit et latéral Je vois en cachette

Lent et Grand Je vois longtemps

Répétition Je vois souvent

Répétitions et bref Je vois « saccadé »

Circulaire répété Je vois toujours

Bref interrompu J’ai presque vu

Exemples de marques aspectuelles pour le verbe [VOIR] (Braffort 1996)

En un seul geste, il est possible de trouver plusieurs couches d’informations : en plus de celles des paramètres décrits plus haut. À cela, l’analyse dynamique des gestes donne des informations syntaxiques et sémantiques supplémentaires.

7.2. multilinéarité des LS

En outre, il est important de constater que les langues des signes à cause de la modalité visuo-gestuelle sont plurilinéaires (Cuxac 2001).

En effet, la nature quadridimensionnelle de cette modalité fait que les LS exploitent davantage des structures en parallèle et permettent de transmettre plusieurs types d’informations simultanément (Braffort 1996). Ces structures grammaticales/linguistiques proviennent de l’utilisation du corps (Sandler et Lillo-Martin 2006) telles que les articulateurs (manuels, des membres supérieurs), la posture, et la dimension spatiale.

Cartographie des systèmes de notation des LS

Laisser une trace de la langue des signes a été motivée dès 1817 (Bébian) par l’instruction des sourds français dans les institutions françaises, au moyen de systèmes de notation (Bébian 1825 et Piroux 1830), de dictionnaires composés d’images figuratives (entre autres Pélissier 1856, Lambert 1865) et de « définitions descriptives » des signes en « Français Équivalent Mimographie »64 (voir Bonnal 2005). Au XXe siècle, avec le développement des recherches linguistiques et la reconnaissance de la LS, différents systèmes de notation (parmi eux, Stokoe 1960, HamNoSys 1989) ont vu le jour pour permettre leur analyse et leur transcription objective et détaillée. D’autres systèmes comme SignWriting (Sutton 1975) ou Si5s (Augustus 2010) se joignent à eux dans une visée plus fonctionnelle et accessible pour la communauté sourde. Nous pouvons également prendre en compte la LS-Vidéo considérée pour certains comme l’équivalent de l’écrit (Brugeille 200765). Pour autant, aucune de ces formes de notation n’est instituée.

Nous allons en exposer quelques-unes pour en cerner les différentes approches (tendance logographique66 ou phonographique67) influencées par leurs finalités. Enfin, au regard de ces différentes tentatives nous envisagerons une nouvelle approche à travers la recherche de

64 « Forme écrite de la langue des signes qui consiste à décrire le signe avec des mots français ». Description qui peut être considérée « comme un deuxième type d’écriture de la langue des signes ». (Bonnal-Vergès 2006)

65 Gache P., Brugeille JL, Présentation du concept de la LS-vidéo en tant qu’écrit de la LS, Journée sur la traduction, Toulouse, UTM, 21 mars 2007

66 Système d’écriture utilisant le logogramme. C’est un graphème qui transcrit un lemme entier (unité autonome constituante du lexique d’une langue).

67 Système d’écriture utilisant le phonogramme. C’est un graphème qui transcrit un phonème (unité distinctive de prononciation d’une langue).

l’équipe transdisciplinaire (linguistique, graphisme, typographie…) GestualScript menée depuis une dizaine d’années.

Notation, écriture et transcription

Avant de regarder différents systèmes de notation des langues des signes, il convient de faire un point sur ce qui les distingue.

Tout d’abord, il faut distinguer la notation, qui est la représentation graphique de la forme signifiante du continuum sonore (langues vocales) ou gestuel (langues signées). C’est une abstraction des événements linguistiques originaux68. Pour des besoins de systématiques ou de symbolisation de certains éléments (discrets) du signal original. Cette abstraction varie selon l’objectif, ce qu’elle représente et comment elle est faite. Elle va pouvoir prendre la forme d’écriture, de transcription ou de système de codage (Van Der Hulst et Channon 2010). L’écriture a pour objectif la communication, la mémorisation, et elle est destinée à la population en général, pour un usage de la vie de tous les jours. La transcription s’adresse à un public plus restreint de spécialistes scientifiques, pour des besoins de communication entre eux, de mémoire et d’analyse de la forme des énoncés. « Elle peut être orthographique, phonétique ou (morpho-)phonologique, et peut contenir des informations périlinguistiques (rires, indications contextuelles, etc.) » (IR-CORPUS s. d.).