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Modèles d’analyse de données

PARTIE 3 : METHODOLOGIE, ANALYSE ET CONCEPTION

36.   Modèles d’analyse de données

Parmi les modélisations d’analyse utilisées pour l’analyse de verbalisation de vécu spécifié, nous le comprendrons aisément, nous nous sommes concentrés sur ceux qui impliquent l’EdE. Elles offrent une approche spécifique qui nous mène à l’interprétation et la dénomination d’éléments signifiants.

36.1. P. Vermersch

Il est naturel de s’appuyer sur la méthodologie de l’analyse et de l’interprétation des données de verbalisations relatives au vécu de Pierre Vermersch. Même s’il dit ne pas donner une méthode clé en main pour produire une « bonne » recherche, il nous indique néanmoins une base sur laquelle travailler.

Le travail se fait sur la transcription des entretiens. Cette transcription correspond déjà à la troisième représentation (rep.3) du vécu (Vermersch 2012, chap. 11). En effet, il ne faut pas oublier que pour faire l’analyse de données de verbalisation de vécu, nous devons opérer une réduction par transformations successives. De la représentation mentale du vécu (rep.1) à sa mise en mots (rep.2), et de la mise en mots orale (enregistrée) à sa transcription écrite (rep.3). Ensuite, on découpe et on numérote la transcription (rep.4)143, on retient uniquement les énoncés descriptifs (rep.5)144 et on recompose l’ordre spontané des énoncés dans l’ordre temporel du vécu (rep.6). Enfin, il est intéressant de se représenter ce déroulé temporel à l’aide d’un résumé (rep.7) marquant les grandes étapes du vécu et les événements cruciaux au regard des objectifs de la recherche. Une fois ces étapes préparatoires terminées, l’imprégnation et la connaissance des données nous mènent aux étapes d’analyse.

Le processus se fait en une suite d’analyses. Tout d’abord, faire une expansion libre des matériaux (rep.8), en laissant place à un travail plus imaginatif et créatif, mettant à plat les idées avant de passer à l’analyse dite « statique » puis « temporelle ». Pour l’analyse statique, il s’agit de découper les unités sémiques à divers niveaux de granularité et de requalifier chaque unité pour homogénéiser ce qui est décrit spontanément lors de l’entretien. L’analyse temporelle demande de saisir l’engendrement d’une étape à l’autre, de connaître la micro-genèse. Cette fois, la segmentation portera sur un découpage en phases, sur leurs modes d’enchaînement, suivant des fils conducteurs multiples. Ces deux analyses se suivent mais ne constituent pas le seul mouvement du travail d’analyse. En effet, selon l’expérience de Pierre Vermersch, on ne peut accéder aux nouveautés sans réitérer un certain nombre de fois la lecture des données.

« Cependant toute analyse de résultat est de fait toujours une série de recyclage : chaque avancée dans le domaine de l’analyse temporelle a des effets en retour sur l’approche thématique statique déjà réalisée ; réciproquement, toute invention thématique

143 Il est important de numéroter la segmentation de la transcription afin de ne pas perdre de vue le matériau de base, de pouvoir s’y référer, se repérer dans les différents entretiens ou de citer.

144 « Un énoncé descriptif est un énoncé factuel non interprétatif, ou le moins interprétatif possible. De fait, il contient toujours une frange d’interprétation par la nature même du langage en lequel il est formulé,[…]» (Vermersch 2012, 377)

(statique) peut avoir des effets sur la compréhension de l’engendrement. Il est normal dans la pratique d’avoir de trois à cinq reprises des données à cause des effets rétroactifs de l’avancée dans un point de vue ou un autre, donc de la réinterprétation de ce qui était déjà thématisé, et des effets proactifs dans la recherche du rôle de nouveaux éléments qui n’avaient pas encore été distingués. En ce sens, le travail d’analyse est un cycle de recommencement. » (Vermersch 2009)

Les transformations préparatoires à l’analyse et la mise en forme « statique » des données sont très intéressantes, car elles donnent part à la création de typologies, aux regroupements thématiques à partir des unités de sens segmentées, et selon le cadre interprétatif du chercheur, ce qui pour nous correspond à notre cadre gestuel. Cela permet, dans un premier temps, de distinguer dans le verbatim ce qui est de l’ordre du contexte, du commentaire, du jugement, de l’action, de l’état interne, etc. puis, dans les parties qui nous intéressent, de catégoriser et thématiser les qualifications des locuteurs pour y déceler des invariants.

L’analyse temporelle prend en compte le processus et le déroulement et va chercher à comprendre l’enchainement, ce qui fait passer A à B. Le travail est de rechercher l’intelligibilité du déroulement. Il commence par rechercher ce que nous ne comprenons pas du vécu du sujet en prenant une posture de « suspension » de notre attitude habituelle en laissant de côté nos grilles de catégories familières et attendues. Une fois la suspension opérée, d’autres aspects apparaissent et peuvent être exploités par la suite.

36.2. C. Petitmengin

Nous avons choisi la modélisation de Claire Petitmengin, car elle propose dans son livre

L’expérience intuitive (Petitmengin 2001, part. 1, chap. 3) une modélisation complète élaborée

pour son recueil de descriptions d’expériences intuitives menées avec l’entretien d’explicitation. Elle a fait appel à l’Entretien d’Explicitation pour interviewer 24 personnes et constituer ses données.

Une fois la description recueillie et transcrite, le principe est de dégager et représenter la structure des expériences. Elle travaille d’après la transcription où chaque texte — qui apporte une méta-cognition — est analysé et modélisé.

Elle procède tout d’abord par une étape de réduction de texte aux aspects descriptifs de l’expérience en éliminant les informations satellites de l’action vécue (Vermersch 2014, 43) qui concernent les descriptions de contexte, les commentaires, les jugements, les croyances, les opinions et le savoir théorique ou l’explication du phénomène. Puis une étape de réordonnancement de la description dans l’ordre chronologique du vécu pour élaborer un modèle diachronique de l’expérience de chaque sujet et ainsi pouvoir les comparer. Chaque

expérience est découpée en phases qui sont elles-mêmes détaillées par un enchainement d’opérations, points d’articulation de l’expérience entre les phases (cf. Illustration 33). Les opérations sont décrites plus finement par un ensemble d’actions élémentaires qui concerne les modalités sensorielles avec éventuellement un court extrait du texte nommé « trait descriptif ».

Phase 1 : Procédés pour atteindre l’état intuitif 1 è Procédés corporels 2 è Visualisation d’un paysage de nature 3 è Parcours ascendant de la conscience dans le corps 4 è Faire le vide 5 è Test de l’état intuitif Vérification de l’état émotionnel et énergique du corps avec sa vision intérieure ok è phase 2 non ok è 3

Illustration 33. Décomposition d’une phase en opérations. (Petitmengin 2001, 115)

Une autre étape consiste à élaborer un modèle synchronique qui se concentre sur la succession d’opérations d’abstraction pour faire émerger de nouvelles catégories à partir de différentes occurrences voisines (classification) ou renvoyant à un niveau d’abstraction supérieur (agrégation).

Écoute d’Amel

Attention interne Attention involontaire Écoute kinesthésique

14 122 124 148 150 108 114

Illustration 34. Exemple de modèle synchronique (Petitmengin 2001, 120)

Enfin, elle procède à une série de comparaisons afin de dégager des structures communes « génériques ». Pour cela, elle construit des modèles génériques diachroniques et synchroniques, en passant par des modèles génériques intrapersonnels puis interpersonnels.

Conclusion

Les deux méthodes se ressemblent dans les premières étapes préparatoires des transcriptions et se complètent. P. Vermersch nous donne les bases d’une méthodologie et C. Petimengin les illustre, des premières phases jusqu’à l’élaboration d’un modèle interpersonnel, ce qui pour nous est une grande source d’inspiration.