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MATERIEL ET METHODE A Type d’études

A. Synthèse et interprétation des résultats

6. Systèmes de croyances : des paradigmes, des représentations et la stigmatisation font obstacle à

l’implication des familles

Les obstacles liés au système de croyances sont séparés en deux catégories. La première évoque les paradigmes de pensées des psychiatres pouvant rentrer en opposition avec l’implication des familles. La seconde évoque la stigmatisation de la maladie mentale et de tout ce qui l’entoure. Ces obstacles ne s’exercent pas de la même manière sur les deux terrains. De plus, ils étaient plus rapportés par les psychiatres ivoiriens.

6.1 Les paradigmes de pensée du psychiatre

Tous les psychiatres interrogés dans cette étude ont une approche plutôt neurobiologique et centrée sur l’individu. Cette approche entrave l’implication des familles dans les deux terrains de recherches.

6.1.1. Le paradigme neurobiologique centré sur l’individu en opposition à l’implication de la famille

Certains psychiatres rapportent que les familles ne sont pas systématiquement incluses dans le soin du fait d’une prise en charge centrée sur l’individu dans le cas de la psychiatrie adulte. Cela est en cohérence avec les éléments rapporté par la littérature. En effet, dans la culture médicale des psychiatres adultes, les professionnels de santé mentale rapportent que l’accent

119 est mis sur l’individu, tandis que les familles et le réseau social sont généralement perçus comme secondaires. Il n’est donc pas souvent inclus ou prioritaire dans la prise en charge (180).

Le paradigme médical centré sur l’individu est indirectement un obstacle organisationnel. Les décideurs du système de santé et les professionnels de santé sont imprégnés de cette culture médicale et ne vont donc pas soutenir l’implication des familles (180,181). Donc, l’ensemble de l’organisation du système (budget, infrastructures, ressources humaines, temps professionnel) de santé mentale sera donc pensé en faveur de l’individu, ce qui est susceptible de mettre à l’écart les familles (181).

Les perspectives d’amélioration rapportées par les psychiatres sont une amélioration de la formation des psychiatres sur la problématique des familles. Il est proposé que le personnel médical et paramédical s’implique dans les programmes de psychoéducation familiale afin de changer leur manière de penser. Cela est plutôt en cohérence avec les perspectives d’amélioration des auteurs autour de l’amélioration de la formation et de la supervision des professionnels de santé dans ce domaine (181).

6.1.2. Le paradigme neurobiologique en opposition avec les croyances mystiques

Tous les psychiatres ivoiriens affirment que la croyance en étiologie mystique de la maladie mentale est un obstacle à l’implication des familles dans le soin. Selon eux, ces familles font plus confiance aux thérapies non conventionnelles qu’aux soins psychiatriques modernes. Elles vont donc initialement orienter leur proche souffrant de psychose vers les tradithérapeute. Pour ces familles, les soins psychiatriques ne servent qu’à calmer la crise et le traitement étiologique se fait auprès des tradithérapeute. Ces croyances vont donc encourager la rupture thérapeutique des malades par les familles, le retard de la prise en charge des malades et des soins non conventionnels parfois maltraitants et dangereux. Ces résultats sont cohérence avec une étude faite sur un centre de référence de consultation psychiatrique à Abidjan. Il est rapporté que 43,2% des patients et familles associaient la maladie mentale à une origine mystique (197). Les patients qui avaient consulté sur le centre de santé mentale sans avoir consulté d’autres thérapies non conventionnelles étaient de 22.7% (197). Et 38.6% des patients continuaient à avoir recours aux thérapies non conventionnelles malgré le suivi sur le centre de santé mentale (197). Une étude épidémiologique portant sur l’état des lieux de la santé mentale en Afrique de l’Ouest vient compléter les éléments rapportés par cette étude. Les données de ces études ont été recueillies auprès de 1150 sujets ayant consulté pour des troubles psychiatriques sur des centres de consultations d’une organisation non gouvernementale, et répartis sur l’ensemble du Bénin et une partie du Togo. 87,7% des consultants étaient soignés en tradithérapie avant de consulter à l’ONG. Moins d’un sujet sur 5 avait déjà consulté en psychiatrie – publique ou privée. La durée moyenne d’évolution avant le début de la prise en charge était de 7 ans après le début des troubles pour les patients souffrant de schizophrénie.

Les psychiatres ivoiriens proposent deux perspectives d’amélioration pour l’implication des familles dans le soin malgré cet obstacle. Premièrement, le psychiatre ivoirien doit accueillir les familles dans une attitude non jugeante vis-à-vis de ces pratiques. Cette attitude de non-

120 jugement est essentielle dans la relation thérapeutique (211). Deuxièmement, certains psychiatres proposent une relation de collaboration entre les psychiatres et les tradithérapeute. Cela permettrait de gagner la confiance des familles qui feraient déjà confiance au tradithérapeute. Ce serait aussi un moyen d’humaniser les pratiques des tradithérapeute jugées maltraitantes.

Il est possible que l’orientation thérapeutique initialement vers les soins non conventionnels puisse être aussi influencée par une meilleure accessibilité géographique de ces soins (195). Il est aussi possible que les familles s’orientent vers les tradithérapeute du fait d’une meilleure qualité d’accueil auprès des thérapeutes non conventionnels. Cet aspect est évoqué par plusieurs psychiatres de notre étude. Ils affirmaient que certaines familles se sentaient plus écoutées par les tradithérapeute que par certains psychiatres. Mais, cela rentre en contradiction avec les éléments de la littérature qui rapporte surtout des soins conventionnels maltraitants (195,215).

Certains psychiatres évoquaient que les familles avaient l’impression de moins dépenser chez le tradithérapeute que chez le psychiatre. Dans la littérature, il est surtout rapporté que les familles dépensent énormément d’argent dans les soins non conventionnels et souvent beaucoup plus que dans les soins psychiatriques modernes avec les molécules antipsychotiques les moins chères (195). Un remboursement de l’intégralité des traitements antipsychotique pourrait être un élément qui influencerait l’orientation thérapeutique des familles vers les soins psychiatriques modernes. En somme, l’orientation thérapeutique des familles vers les soins psychiatriques conventionnels pourrait donc être améliorée par une amélioration de la qualité des soins psychiatriques et une amélioration de l’accessibilité géographique et économique de ces soins.

6.2 La stigmatisation en psychiatrie

Selon les psychiatres des deux terrains, la stigmatisation est un obstacle à l’implication des familles dans le soin psychiatrique de leur proche malade. Dans la littérature, cet obstacle est rapporté par les patients, les familles et les professionnels de santé (179,180). Dans les résultats de notre étude, elle va s’exprimer sur trois plans différents : la stigmatisation de l’institution psychiatrique par les familles, la stigmatisation du malade par les familles et la stigmatisation des familles par les soignants.

Concernant l’institution, les psychiatres interrogés rapportent que les familles se représentent l’institution psychiatrique comme un lieu de privation de liberté plus que comme un lieu de soin et seraient donc réticentes à y orienter leur proche malade. Cette vision de l’institution psychiatrique comme un lieu d’enfermement servant à mettre à l’écart les malades dangereux est encore véhiculée (216).

Selon les psychiatres des deux terrains, la stigmatisation du patient par la famille est un obstacle à leur implication dans le soin. Les psychiatres rapportent que des familles considèrent leur proche souffrant de schizophrénie comme responsable de leur trouble. Selon

121 les psychiatres français, les patients souffrants de schizophrénie sont considérés par leurs familles comme dangereux et imprévisibles, comme cela est décrit dans la littérature (52). Selon les psychiatres ivoiriens, les patients souffrant de schizophrénie sont considérés comme des sorciers, victimes d’un châtiment surnaturel ou contagieux, comme il est décrit dans la littérature qualitative (215). Cela est dû au fait que la maladie mentale y est encore interprétée comme un châtiment causé par des esprits surnaturels, et même comme un mal dangereux et contagieux (215). Dans les deux cas, la stigmatisation est rapportée comme un obstacle pour l’implication des familles dans les soins psychiatriques. En effet, cette stigmatisation a pour conséquence un isolement de ses familles. Ces dernières n’osent pas demander de l’aide au sein de la communauté du fait de la honte ressentie et du désarroi (173). Elles auraient tendance à ne pas parler de la problématique de leur proche malade à leur entourage (174). Les psychiatres français rapportaient de la stigmatisation des familles par les soignants. Les psychiatres rapportent que les familles, du fait de leur surinvestissement ou par leur agressivité, peuvent susciter le rejet de la part des soignants. Elles peuvent être facilement catégorisées comme pathogénie pour le patient et mises à l’écart du soin par les soignants. Dans notre étude, cela est rapporté surtout par les psychiatres français, notamment les plus âgés. Mais, il était dit que c’était une vision désuète de la famille et qu’elle n’était plus présente dans la pratique des soignants. La vision de la famille pathogène en tant qu’obstacle à leur implication n’est pas clairement décrite dans la littérature qualitative. Mais, il est possible que cette étiquette de la famille potentiellement dangereuse pour le patient soit un reliquat de la vision pathogène de la famille décrit dans les concepts psychanalytiques (78). Les perspectives apportées par les psychiatres dans cette étude pour la déstigmatisation sont une généralisation de la psychoéducation des familles, une sensibilisation des populations à la déstigmatisation par les associations de familles, une amélioration de la présentation des infrastructures psychiatriques et une orientation des soins vers la communauté. Les études montrent que les familles qui faisaient des programmes de psychoéducation ont vu leurs attitudes s’améliorer vis-à-vis des troubles mentaux en général (217). . La sensibilisation de la population sur la maladie mentale est aussi une solution pour combattre la déstigmatisation (216). Les solutions apportées dans la littérature nécessitent un investissement des professionnels de santé auprès des médias dans un but de sensibilisation à la stigmatisation de la maladie mentale (216). Nous n’avons pas retrouvé de donnée sur l’amélioration de l’image de l’institution psychiatrique par la présentation des infrastructures.

122 Les obstacles liés au système de croyances sont séparés en deux catégories. La première évoque les paradigmes de pensées des psychiatres pouvant rentrer en opposition avec l’implication des familles. La seconde évoque la stigmatisation de la maladie mentale et de tout ce qui l’entoure.

En France, la culture médicale du psychiatre adulte est orientée vers l’individu. La prise en charge individuelle est priorisée par rapport à la prise en charge familiale, ce qui constitue un obstacle pour l’implication des familles. En Côte d’Ivoire, le paradigme neurobiologique de la maladie mentale rentre en opposition avec la croyance en une étiologie mystique de la maladie mentale. Les familles feraient plus confiance à la médecine traditionnelle sous- tendue de ses croyances mystiques qu’aux psychiatres. Elles s’orienteraient initialement vers la médecine traditionnelle dangereuse et inefficace pour les patients. Cet obstacle vient souligner le fait que le parcours de soin des patients est très certainement influencé par des croyances mystiques, mais aussi par un manque d’accessibilité des soins psychiatriques conventionnels.

La stigmatisation de l’institution psychiatrique, des patients et des familles est un obstacle à leur implication. Bien que rapportés sur les deux terrains, ces obstacles sont plus marqués en Côte d’Ivoire avec une stigmatisation sous-tendue de croyances mystiques négatives.

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