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REVUE DE LA LITTERATURE A Généralités sur la schizophrénie

B. Les familles de patients souffrant de schizophrénie

3. Les enjeux de santé des familles de patients souffrant de schizophrénie

3.2 L’impact des familles sur la schizophrénie à travers les études portant sur « les émotions exprimées »

Histoire et principes des études sur « les émotions exprimées »

Dans le modèle stress-vulnérabilité, les symptômes apparaissent et sont entretenus par un « stress » inhérent à l’environnement du sujet. La famille constitue une partie de cet environnement potentiellement toxique ou protecteur. La dynamique familiale est altérée et les membres de la famille voient leur qualité de vie réduite du fait de difficultés professionnelles, sociale et de santé somatique et psychique.

Il en découle que l’environnement familial peut être toxique pour le sujet malade y vivant. Les études sur l’émotion exprimée se sont intéressées à l’impact que pourrait avoir l’environnement familial sur le sujet atteint de schizophrénie.

Dans les années 1960 et 1970, le chercheur britannique Brown fait une série d’études autour de facteurs sociaux expliquant le retour en hospitalisation des patients souffrant de schizophrénie (120–122) . Dans ces études, les facteurs sociaux correspondaient au niveau d’émotion exprimée des membres de l’entourage du sujet malade. C’est ainsi que le concept « d’émotion exprimée » a vu le jour en 1962. Celles-ci sont définies par :

-l’hostilité, qui est la manifestation d’une distorsion cognitive concernant la maladie qui est déniée ;

-le surinvestissement émotionnel qui est aussi la conséquence d’une distorsion cognitive concernant la maladie qui est alors surperçue au détriment des ressources saines encore présentes ;

-les commentaires critiques qui sont un mélange des deux attitudes précédentes.

Ces trois dimensions sont des composantes quantifiables du concept d’émotion exprimée (123). Des échelles standardisées telles que la Social Undermining Scale sont utilisées afin d’évaluer la qualité de la relation entre les membres de la famille et le sujet malade (124). Généralement, un niveau « d’émotion exprimée » importante désigne un niveau de critique et d’hostilité exprimé par les aidants principaux importants. Cela se traduit donc par une relation de mauvaise qualité entre la famille et le patient.

46 Les conséquences des EE

Initialement, Brown montre que le niveau d’émotion exprimée (EE) est corrélé au nombre de rechutes des patients souffrants de schizophrénie (120–122). Ces résultats sont confirmés par des études plus récentes. Une méta-analyse, comprenant 27 études dans différents pays, montre une corrélation forte entre le taux de rechute et le niveau d’EE (125). 89% des études montraient une association significative entre l’EE et le taux de rechute. Le taux de rechute était de 65% chez les familles avec un niveau élevé d’EE et de 35% chez les familles avec un faible niveau d’EE. Par ailleurs, les auteurs rappelaient que l’EE aurait montré des résultats similaires dans les troubles de l’humeur. D’autres études montrent que le niveau d’EE est non seulement un facteur de rechute, mais aussi un facteur d’entretien des symptômes positifs (126).

Les causes explicatives des EE

Le niveau d’EE étant un facteur de rechute chez le patient atteint de schizophrénie, on peut se demander si l’EE est aussi un facteur de genèse de la schizophrénie. Les études montrent que les dysfonctionnements familiaux apparaitraient en même temps que le début de la maladie (127,128). Cela va dans le sens de certaines études observationnelles, dont une étude 2007 qui compare trois groupes : des familles avec un proche à haut risque de développer un trouble psychotique et des familles avec un proche atteint d’une schizophrénie ou d’un trouble de l’humeur avéré. Le taux d’EE était moins élevé dans le groupe de familles ayant un proche à haut risque de développer un trouble psychotique (129).

Le niveau d’EE serait fortement corrélé au niveau de fardeau ressenti par l’aidant d’un sujet atteint de schizophrénie (130). Le fardeau de l’aidant est essentiellement centré sur le vécu subjectif des membres de la famille. Donc, l’EE associé au fardeau de l’aidant dépendrait davantage de la manière dont les membres de la famille évaluent l’état de santé de leurs proches que des déficits réels de ce dernier. Bien qu’il ait été montré le lien entre l’intensité des symptômes et du fardeau de l’aidant, cela n’est pas démontré pour le niveau d’EE. Les études montrent qu’il n’y aurait pas de corrélation directe entre les caractéristiques cliniques de la maladie du sujet et le niveau d’EE (123,129,131). Les facteurs causaux influençant le niveau d’EE seraient plus des facteurs d’ordre psychologique et social. Une revue de la littérature détaillée s’intéresse aux facteurs qui influencent le niveau d’EE (123).

Plusieurs études datant des années 1990 montrent que le niveau d’EE est essentiellement influencé par le défaut d’attribution interne aux patients de ces symptômes et des troubles du comportement de la schizophrénie par les membres de sa famille (123,132). Le concept d’attribution causale utilisé en psychologie décrit un processus par lequel les personnes expliquent et jugent autrui et l'environnement dans lequel elles évoluent en inférant les causes des comportements et des évènements (133). Donc, le membre de la famille ayant ce défaut d’attribution interne des troubles du comportement vis-à-vis de leurs proches atteints de schizophrénie croit que ses troubles du comportement sont inhérents à la volonté du sujet malade. De ce point de vue, les troubles du comportement sont contrôlables. Ils sont donc critiquables. Ce qui génère automatiquement plus de critique et d’hostilité et donc un niveau d’EE élevé. À l’inverse, le membre de la famille ayant une attribution externe des troubles du

47 comportement vis-à-vis de leur proche attribue l’altération du comportement de son proche comme pouvant échapper à la volonté et donc à la capacité de contrôle. Il y a donc plus d’indulgence et donc un niveau d’EE plus bas.

Les EE au sein de la recherche transculturelle

Les études sur les émotions exprimées ont fait l’objet de recherche transculturelle auprès des familles (134). La construction de cet outil théorique serait essentiellement de nature culturelle. Ainsi, la constellation des émotions, les attitudes et les comportements qui y sont quantifiés par les échelles d’EE représenteraient des variables interculturelles des familles. Certains auteurs se sont donc intéressés au niveau d’émotions exprimées selon des contextes sociaux culturels différents et l’impact sur le taux de rechute. Certains auteurs affirment des différences de niveau d’EE selon des contextes culturels différents. Par exemple, une étude allemande de 2017 a comparé le niveau d’EE auprès de familles de patients souffrant de schizophrénie d’une part dans des pays en voie de développement (Chili, Colombie et Indonésie) et d’autre part dans des pays dits industrialisés (USA et en Allemagne). Cette étude montre un niveau d’EE plus élevé dans les pays industrialisés, avec une corrélation linéaire plus marquée entre l’augmentation du niveau d’EE et le nombre de rechutes (135). Il est observé dans la littérature plusieurs études montrant un niveau d’EE plus élevé dans les pays dits industrialisés par rapport au pays en voie de développement (136–138). Mais les résultats de ces recherches sont controversés. Ces études présentent des biais de sélection. Les populations de malades sélectionnés ne sont très certainement pas comparables. Les pays industrialisés ont une offre de soins psychiatriques beaucoup plus importante. Les échantillons prélevés seront plus susceptibles de représenter la population générale. Dans les pays en voie de développement, très souvent, la population ne dispose pas d’une offre de soin psychiatrique suffisante. Les malades susceptibles d’être sélectionnés dans des études sont susceptibles d’être ceux ayant plus facilement accès aux soins. Il est donc facile d’imaginer que les échantillons sélectionnés dans les pays en voies de développement auraient une proportion plus importante de patients avec une bonne évolution et une proportion moins importante de patients avec une évolution défavorable.

Cette critique est appuyée par d’autres auteurs (139). De plus, des études plus récentes viennent contredire cette hypothèse d’un niveau d’EE plus élevé dans les pays dits industrialisés. Par exemple, une méta-analyse comprenant 96 études, effectuées dans 24 pays, dans tous les continents du monde ne montre aucune différence significative du niveau d’EE en fonction des régions géographiques, des familles de patients atteints de schizophrénie (140).

L’utilisation des échelles quantitative d’EE ne semble donc pas pertinente pour évaluer les variations transculturelles. De plus, l’étude de différences entre deux régions géographiques avec un contexte social, économique et culturel différent semble difficilement quantifiable tant elles englobent un nombre important de variables. Cet aspect des variations des comportements des familles auprès de leurs proches malades en fonction du contexte culturel, social et économique est un élément à prendre en compte dans ce travail de recherche portant sur deux régions géographiques différentes.

48 La place d’aidant attribué aux familles de patient souffrant de schizophrénie a fait l’objet de recherche scientifique. Les recherches orientées sur les familles des patients souffrant de

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