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REVUE DE LA LITTERATURE A Généralités sur la schizophrénie

B. Les familles de patients souffrant de schizophrénie

2. L’évolution de la relation entre les familles et la psychiatrie au XXe siècle

2.1 L’évolution de la relation psychiatrie-famille selon trois perspectives

L’évolution de la relation entre les familles et la psychiatrie a connu un grand bouleversement essentiellement au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Ce phénomène est étudié de façon détaillée par le sociologue canadien Carpentier Normand. Ce dernier a longuement étudié la question des familles chez les patients atteints de maladies chroniques invalidantes. Dans son article intitulé « Le long voyage des familles : la relation et la famille au cours du XXe siècle », il décrit un changement de paradigme d’un modèle pathologique de la famille à un modèle de compétence, tout au long du XXe siècle, selon trois perspectives (78).

La première perspective porte sur l’évolution de l’étiologie de la maladie mentale. La seconde est centrée sur le caractère déterminant des attitudes institutionnelles et des processus de stigmatisation. La troisième correspond à la naissance de la psychiatrie communautaire. Les familles au cœur de l’évolution épistémologique de la psychiatrie

La première perspective porte sur l’évolution de l’étiologie de la maladie mentale. Au début du siècle, les descriptions de la démence précoce et du trouble maniaco-dépressif de Kraeplin désignent déjà la famille comme porteuse d’une hérédité. Freud demeurait prudent quant à l’application de sa théorie pour la psychose. Cependant, les théories explicatives d’inspiration psychanalytique des troubles psychotiques se développent dans les années 1940. L’origine du trouble était théoriséedans un conflit des affects et dans une perturbation se situant dans la sphère sexuelle et dans le contexte familial (83,84). Puis, dans les années 1950, l’apparition du mouvement Palo Alto amène à l’apparition des théories systémiques et familiales. Ses théories se centrent sur les interactions communicatives entre les membres d’un groupe. Le sujet malade dit « sujet symptôme » est le fruit d’interaction pathologique au sein du système familial.

Dans les années 1960, la vision pathogène des familles commence à décliner dans la littérature scientifique. Cette vision décline du fait de l’avènement de la psychopharmacologie entraînant

39 elle-même l’apparition des théories neurobiologiques de la maladie mentale (85). C’est ainsi qu’a été construit le paradigme actuel explicatif de la maladie mentale qui correspond au modèle « stress-vulnérabilité » décrit plus haut (86).

Même si les théories psychanalytiques restent encore très présentées dans la pratique de la psychiatrie française des années 1990, les théories neurobiologiques sont mises en avant et mettent à distance la responsabilité des familles dans la genèse des troubles psychotiques. Les perspectives basées sur les théories de stigmatisation et du caractère déterminant des pratiques institutionnelles

Avec la désinstitutionnalisation, les malades psychiques sont de plus en plus présents dans la communauté. Dans ce contexte, l’idée que la maladie peut être influencée par la communauté, mais aussi par l’institution psychiatrique se développe. La famille n’est plus l’unique agent pathogène. De façon parallèle, deux théories sociologiques se sont développées par la suite. D’une part, la théorie de la stigmatisation et d’autre part la théorie du contrôle social (78).

Le principe de stigmatisation décrit un peu plus haut va découler de la théorie de l’étiquetage. Selon cette théorie, le sujet malade à cause de son comportement déviant va être encouragé par la communauté à endosser cette étiquette du « fou ». Celui-ci finit par l’accepter. Il agit de la façon dont il est attendu qu’il agisse en entretenant ses comportements déviants. Dans ce modèle explicatif, c’est l’ensemble du corps social et pas uniquement la famille qui est susceptible d’entretenir ses comportements inappropriés.

La théorie du contrôle social soutient que la psychiatrie à une fonction de régulation des déviances sociales. L’institution psychiatrie aurait donc une fonction plus répressive qu’humaniste, puisqu’elle a pour fonction de canaliser certains comportements sociaux. Michel Foucault finira d’influencer ce mouvement à travers son ouvrage « Histoire de la folie à l’âge classique » publié en 1961. Il affirme que le psychiatre exercerait son contrôle social sur le malade à travers le contrôle de la connaissance.

Donc, la société et l’institution psychiatrique peuvent être potentiellement néfastes pour le malade. Ces idées permettent de mettre à distance la vision pathogénique de la famille. Naissance d’une approche communautaire de la psychiatrie

Les prémices de la psychiatrie communautaire apparaissent secondaires à des études épidémiologiques dans les années 1960 sur les patients souffrant de trouble psychiatrique. Ces études montrent que la plupart des patients continuent de vivre dans la communauté (78). L’institution ne serait donc pas un milieu indispensable à ces malades.

Ensuite, dans les années 1970, les premières théories autour du stress permettent la mise en place du modèle biopsychosociale (87). Ce modèle est encore applicable aujourd’hui dans les théories explicatives de la genèse et de l’évolution des maladies. L’apparition de la maladie ou la rechute serait secondaire à des facteurs de stress présent dans l’ensemble de l’environnement social du sujet dans sa globalité.

40 D’autres études sociologiques portant sur la communauté dans le contexte de désinstitutionnalisation sont faites dans les années 1980. Il est constaté que la communauté reste une entité sociale difficile à définir si ce n’est qu’elle s’oppose à l’institution. L’individu malade est repensé au sein de sa communauté selon un nouveau cadre conceptuel : l’analyse en réseau (88,89). Selon ce concept, le sujet est perçu non plus comme un membre d’une communauté, mais plus comme le centre d’un réseau social donné, et ses comportements peuvent être interprétés comme le produit de l’ensemble des liens sociaux (90). Il en découle des thérapies adaptées à la prise en charge de patients psychiatriques (91). Les débordements issus de troubles psychiatriques sont assimilables à des problèmes sociaux résultant de déficiences environnementales. Ces dernières sont modifiables par des interventions planifiées. La famille au sein de la communauté constitue un allié pour les soignants et la malade afin d’intervenir au mieux sur les déficiences environnementales stressantes.

2.2 La famille en tant qu'aidant à la thérapeutique

Les trois perspectives décrites selon Carpentier vont modifier la vision de la famille. Cette dernière va passer du rôle de pathogène à celui d'aidant à la thérapeutique.

C’est dans ce contexte que les malades passent de soins hospitaliers continus prenant en charge le malade sur tous les aspects de sa vie, à aujourd’hui des soins discontinus centrés sur la prise en charge des symptômes (92). Le déplacement du soin a des conséquences majeures sur le rôle attribué à la famille par certains professionnels de santé qui peuvent la désigner comme un « cothérapeute ». Ainsi selon le sociologue Normand Carpentier : « à mesure que s’intensifie le mouvement de désinstitutionnalisation, les décideurs et les politiciens considèrent la famille comme source privilégiée de soutien émotionnel et social ainsi que comme place de choix pour relocaliser le patient psychiatrique. On découvre alors les vertus des “soins informels” ; l’environnement professionnel s’appuie de plus en plus sur la famille pour, principalement fournir le soutien matériel et, potentiellement, des soins à long terme aux personnes souffrant de troubles psychiatriques ». (78)

La famille passe donc du rôle de pathogène à celui d’aidant à la thérapeutique pour les patients atteints de troubles psychiatriques chroniques et invalidants dont les patients atteints de schizophrénie (78).

2.3 Les associations de familles : exemple français de l’UNAFAM

Les familles ont été forcées d'endosser un rôle d’aidant à la thérapeutique malgré elle. En réaction, ces dernières se sont organisées afin d’être entendues, soutenues et prises en considération dans les décisions politiques d’une psychiatrie en pleine mouvance. C’est ainsi qu’en 1963, l’UNAFAM (Union des Amis et Familles de personnes souffrant de Maladies psychiques) est fondée (93). Cette association encore existante aujourd’hui est constituée de famille de patients souffrant de troubles psychiatriques chroniques.

L’UNAFAM se donne comme motivation d’affirmer l’importance de la famille, sortir les familles de l’isolement et de la culpabilité, éclairer l’opinion publique et donc les élus et les décideurs et améliorer la relation avec les soignants. À travers ces motivations, elle va avoir

41 un impact sur la psychiatrie française et la place de la famille. L’UNAFAM milite pour une information claire et précise concernant la maladie de leurs proches, elle est ouverte au développement de la psychoéducation et des thérapies familiales qui d’emblée intègrent la famille dans le soin. Au quotidien, elle est représentée aux réunions de différentes instances administratives organisant le système de santé mentale français. Elle participe à l’élaboration et à l’acceptation juridiques du concept de « handicap psychique » qui se distingue à celui du « handicap physique » et du « handicap mental » mentionné dans la loi sur le handicap de 2005. Elle a participé au développement des « clubs sociaux » qui correspondent à des structures sociales ou médicosociales découlant de la psychothérapie institutionnelle. Le but étant d'aider le malade à se réinsérer sur le plan social et même professionnel avec des moyens adaptés au handicap psychique. Et enfin, on peut citer la publication du livre blanc des partenaires qui définit la complémentarité entre les personnes souffrant de handicap psychique, les aidants, les soignants et les élus (94).

On voit donc que les familles, en se rassemblant à travers des mouvements associatifs nationaux, sont capables d’avoir un impact politique majeur sur le devenir des usagers et la prise en charge des familles.

Il y a un changement de paradigme d’un modèle pathologique de la famille à un modèle de compétence, tout au long du XXe siècle, selon trois perspectives. Premièrement, il y a une modification de la vision épistémologique de la maladie mentale passant du modèle psychanalytique au modèle neurobiologique ce qui déresponsabilise les familles de la genèse des troubles. Deuxièmement, la naissance de théorie sociale telle que la stigmatisation et la théorie du contrôle sociale orientent la responsabilité du mal-être du patient sur la communauté et l’institution psychiatre. Troisièmement, il y a une orientation des politiques de santé mentale orientée vers la communauté. En somme, les familles se retrouvent malgré elles dans une position d’aidant informel à la thérapeutique. En réaction, elles se regroupent au travers du mouvement associatif afin d’avoir un impact social et politique.

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3. Les enjeux de santé des familles de patients souffrant de

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