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P ARTIE III B RIQUE EPISTEMOLOGIQUE Interprétants collectifs

3.4 Synthèse et typologie

Interprétants reliés au dispositif

Les interprétants collectifs que nous avons regroupés dans ce lexique circonscrivent les principales représentations, habitudes et normes sociales avec lesquelles les concepteurs abordent actuellement le livre numérique enrichi actualisé dans son dispositif. Ces derniers détectent des lectures préférentielles contradictoires sur la tablette qui leur inspirent tantôt de la résistance et des envies de détournement, tantôt de la connivence. Ils s’inscrivent dans des positions de négociation face aux lectures préférentielles « spectaculaire », « ludique » et « accélérée » qui remettent en cause les héritages de la lecture et du livre auxquels ils tiennent fortement. Certains déclarent céder (parfois avec regret) aux injonctions de la lecture accélérée ou ludique, comme seul moyen de s’imposer dans un univers régi par ces normes sociales. Ici, le fatalisme prédomine. D’autres revendiquent

explicitement leur adhésion : ainsi, l’éditeur de la Réunion des musées nationaux déclare en jouer délibérément pour accrocher son lecteur, en insistant dans un premier temps sur les caractéristiques spectaculaires et polysensorielles du dispositif, puis en détournant l’attention vers des lectures plus compréhensives du texte. Nous verrons plus loin comment l’application Edward Hopper, d’une fenêtre à l’autre incarne dans ses figures certains de ces stratagèmes d’imbrication. En revanche, les concepteurs adhèrent plus massivement aux représentations de la lecture « captive » et « polysensorielle », même si la première met en relief la dialectique « savoir/pouvoir » du dispositif, oscillant entre une promesse d’attention profonde nécessaire à la compréhension des textes et un rapport de pouvoir conduisant à enfermer lecteurs et concepteurs dans un dispositif propriétaire.

Leurs postures face à la lecture polysensorielle peuvent aussi être nuancées : s’ils apprécient la mise en retrait du dispositif, les concepteurs se méfient d’une implication trop poussée du corps dans la lecture, qui pourrait les entraîner sur le terrain risqué des pratiques vidéoludiques, considérées comme un avilissement de la lecture. La plupart se situent dans une posture de négociation : le temps de lecture ne doit être ni trop long ni trop court ; s’il faut mettre des animations, celles-ci ne doivent cependant pas sursolliciter le lecteur qui demande à « respirer » par intervalles.

Tableau 2. Interprétants de la conception reliés au dispositif « iPad »

Lecture

« spectaculaire »

Représentations partagées selon lesquelles le lecteur est prêt à se laisser fasciner, voire stupéfier, par la dimension scénique de l’écran et ses effets visuels et cinétiques.

Lecture

« polysensorielle »

Représentations partagées selon lesquelles le lecteur souhaite entretenir une relation d’intimité avec le dispositif, favorisée par ses caractéristiques synesthésiques et la mise en retrait de la technologie.

Lecture « accélérée » Représentations partagées selon lesquelles le lecteur, pressé et pressurisé, ne

peut résister aux injonctions d’accélération émanant de la tablette.

Lecture « ludique » Représentations partagées selon lesquelles le lecteur souhaite avant tout

utiliser la tablette pour se divertir et se distraire.

Lecture « captive »

Représentations partagées selon lesquelles le lecteur ressent un besoin d’ancrage dans un environnement clos et protégé grâce au téléchargement des œuvres ou grâce à une plate-forme commerciale sécurisée.

Interprétants reliés au livre et à la lecture numériques

Les représentations liées à la tablette se télescopent avec celles du livre et de la lecture numériques : le mode de lecture « captif » favorisé par le dispositif, la lecture « polysensorielle » qui permet de mettre en retrait la dimension technologique renforcent les représentations selon lesquelles il est désormais possible de lire de manière attentive à l’écran. En revanche, les représentations de la spectacularité, de l’accélération et du ludique semblent plus difficiles à concilier avec l’imaginaire du livre, plus propice à l’apaisement et au temps long. Certains interprétants sont à la fois rebelles, créateurs et fécondants et dressent les contours du « livre numérique enrichi » comme un objet à part, différencié. Ils peuvent aussi se révéler limitants, dans le cas par exemple de la lecture manipulatoire qui reste confinée dans les discours au feuilletage des pages et à l’imitation de gestes sur des dispositifs connus. Le potentiel créatif et immersif lié à la diversité des gestes de manipulation sur la tablette est peu évoqué : les concepteurs manquent-ils de vocabulaire pour le décrire précisément ou s’interdisent-ils de pousser plus loin l’exploration des dimensions manipulables du texte numérique ? L’étude des artefacts du corpus proposera des pistes de réponse, en révélant des modélisations de pratiques non verbalisées ou conscientisées par les concepteurs.

Tableau 3. Interprétants de la conception reliés au livre numérique enrichi

Lecture « totalisante »

Représentations partagées selon lesquelles le lecteur souhaite avoir une vue d’ensemble sur le contenu et disposer de repères spatiaux qui lui permettent de se mouvoir à l’intérieur du livre numérique.

Lecture

« contemplative »

Représentations partagées selon lesquelles le lecteur souhaite s’abandonner à sa lecture, sans désir d’interaction ou de manipulation.

Lecture

« manipulatoire »

Représentations partagées selon lesquelles le lecteur souhaite manipuler les contenus en mimant l’utilisation d’un dispositif familier.

Lecture « intensive »

Représentations partagées selon lesquelles le lecteur souhaite se concentrer dans sa lecture en suivant le fil linéaire d’une pensée argumentée et complexe.

Lecture

« contributive »

Représentations plus minoritaires selon lesquelles le lecteur souhaite s’engager dans des pratiques transmédiatiques partagées avec d’autres lecteurs ou contribuer à la production de commentaires sur le texte.

Lecture « outillée » Représentations minoritaires selon lesquelles le lecteur souhaite disposer

Tableau 4. Interprétants de la conception reliés à la lecture hypertextuelle

Lecture

« informationnelle »

Représentations partagées selon lesquelles le lecteur pose l’hyperlien comme « lien efficace », pourvoyeur d’informations et d’illustrations.

Lecture « sélective »

Représentations partagées selon lesquelles le lecteur valorise un accès souple et rapide aux contenus pour construire un parcours personnalisé de lecture en dehors de celui proposé par l’auteur du texte.

Lecture « disruptive » Représentations partagées selon lesquelles le lecteur ne souhaite pas être