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Outils-logiciels et pratiques d’édition

Conditions de la production et représentations des

Encadré 2. Lecture captive et lecture outillée

2.3.3 Outils-logiciels et pratiques d’édition

Le marché du livre numérique est encore balbutiant. Pourtant, les expérimentations pourraient bien déjà se tarir avec le développement d’outils-logiciels d’édition spécifiques, comme iBooks Author. Ces outils d’« écriture de l’écriture » permettent de concevoir de manière simplifiée et accélérée des livres numériques sur plusieurs supports et plusieurs formats. Comme « architextes » (JEANNERET, SOUCHIER, 2005), ils jouent un rôle

prescriptif dans les pratiques de conception : ils imposent des formats en amont et fixent un cadre des possibles aux concepteurs.

Cette section s’intéresse aux enjeux de la « préemption machinique » (COTTE,

DESPRES-LONNET, 2005, p. 248) sur la chaîne éditoriale, parfois dénoncée comme une

« violence sémiotique » (JEANNERET, 2014, p. 622). Elle relate notamment les postures des

concepteurs à travers deux études de cas : l’éditeur de la Réunion des musées nationaux et celui du Centre Georges-Pompidou utilisent des outils-logiciels pour développer leur offre de catalogues d’exposition numériques. Si le premier a choisi une solution propriétaire posant la question de la conservation des fichiers, le second travaille avec un Content Management System (CMS) laissant peu de prise à l’acte éditorial. Comment ces deux

éditeurs muséaux se positionnent-ils face à ces outils ? Leur utilisation entraîne-t-elle un risque de standardisation des pratiques de médiation et d’édition muséales ?

Les outils-logiciels, entre standardisation et ajustement créatif

La technologisation de l’édition n’est pas un phénomène récent ; John B. Thompson (2010) et Christian Robin (2007) rappellent que le secteur utilise depuis longtemps l’informatique et des outils d’édition de plus en plus perfectionnés. L’éditeur ne peut « rester à l’écart des grands choix stratégiques ni ignorer les effets, parfois détournés, induits par l’évolution technologique dans ses domaines » (COTTE, DESPRES-LONNET,

2005, p. 246).

De plus en plus de logiciels permettent aujourd’hui de fabriquer facilement des livres numériques enrichis : parfois gratuits, parfois payants, ils épargnent à leurs utilisateurs l’apprentissage du code. Certains sont conçus par des start-up (EBK, ebooklr, Cylapp…) et se présentent comme des plates-formes de création pour l’autoédition. D’autres sont conçus par les grands acteurs de la communication : Apple et son outil d’édition iBooks Author ou la firme Kobo qui vend, par l’intermédiaire de sa filiale Aquafadas, un plug-in adapté au logiciel InDesign qui permet d’éditer des applications « en appuyant sur un bouton » (RMN). Certains concepteurs de notre enquête ont conçu leurs propres outils en fonction de leurs besoins, comme le Centre Georges-Pompidou qui a fait développer par une société d’informatique lyonnaise un Content Management System spécifique à la production des e-albums d’exposition.

L’ajustement au jeu industriel ne suit pourtant pas une procédure logique, systématique : les propos que nous avons recueillis auprès des concepteurs sur les formats ePub et applicatifs montrent que ces derniers ont la possibilité de penser leurs pratiques, de créer leurs espaces autonomes de représentation du sens au sein d’un cadre fixé par le dispositif, et que ceux-ci ne vont pas toujours dans le sens de la standardisation et de l’uniformisation. Par ailleurs, si les architextes des outils-logiciels jouent un rôle de « patrons » et proposent des « schèmes directeurs », ils facilitent aussi, en la simplifiant et en la banalisant, l’accès à la création numérique. Si les outils-logiciels détiennent potentiellement le pouvoir de cadrer et de transformer les pratiques de conception, celles- ci, en s’appuyant sur des traditions de métiers, peuvent aussi les faire évoluer en retour. Ces dynamiques dialectiques sont clairement apparues dans les discours des concepteurs, dans une tension permanente entre standardisation des formes culturelles et aménagement avec des pratiques de conception créatives.

« Sur-mesure » contre « systémisme »

À notre grande surprise, durant l’enquête, une grande majorité des concepteurs interrogés se refusent à entrer dans une logique d’utilisation d’outils-logiciels. L’une des raisons principales tient au manque d’adéquation entre ce que proposent ces outils relativement récents et leurs besoins réels. La seconde raison tient à la perception de l’outil-logiciel comme un instrument d’asservissement des pratiques.

L’éditeur Art Book Magazine manifeste une posture résolument critique à l’encontre des logiques de standardisation, qu’il considère comme des stratégies d’uniformisation et d’industrialisation de la culture. Déclarant préférer le « sur-mesure » au « systémisme », il considère indécente et inadaptée l’utilisation des logiciels d’édition dès qu’elle touche au secteur de la culture : Marcel Duchamp ou Cartier-Bresson ne peuvent supporter des « projets très techniques, bas de gamme, tout plats, fades, sans saveur, sans réflexion en amont » (ABM). Il compare les Content Management Systems (CMS) à une « machine infernale dans laquelle on met tout, et qui sort des livres en un claquement de doigts ». À cette logique industrielle, il oppose une logique de « livre programmé », qui s’appuie sur un langage universel appartenant à l’éditeur.

Beaucoup de concepteurs partagent ce point de vue et rejettent l’idée d’une standardisation par le biais d’outils de production industrialisés. L’éditrice de La Souris qui raconte confie :

« Moi je fais des livres uniques, chaque livre est laissé au libre arbitre de l’illustrateur. » (Prêtre, La Souris qui raconte)

Les auteurs et les designers ne souhaitent pas non plus brider leur « plume numérique » et préfèrent construire leur propre architecture. L’auteure Samantha Gorman refuse de « transférer ses contenus dans le système de quelqu’un d’autre » et préfère choisir l’esthétique de son interface. Un auteur comme Tomek Jarolim voit dans iBooks Author un « dispositif préformaté ». L’écriture du code comme plume-outil réelle de l’écrivain numérique est parfois vantée :

« J’ai écrit avec le code, dans le code. [...] S’il y avait un idéal du livre numérique, c’est qu’il aurait été conçu de manière littéraire avec cette plume digitale. » (Boda, auteure)

Ces postures résistantes montrent comment les logiques de marché ne parviennent pas toujours à répondre aux attentes des concepteurs et peinent à s’y adapter, même si les industries qui les conçoivent restent à l’affût des pratiques pour en épouser au plus près les

contours. Ces résultats sont-ils liés au terrain choisi, celui de concepteurs œuvrant dans un domaine où tout reste encore à inventer ? Ils témoignent de toute évidence de l’existence d’une frange professionnelle résolument critique quant à l’utilisation des outils-logiciels.

Infidélités programmées ?

Plusieurs concepteurs présentent toutefois une posture plus nuancée, tout en restant lucides sur les contraintes imposées par les outils-logiciels. Ils entretiennent une relation d’« infidélité joyeuse » et n’hésitent pas à alterner les outils afin de comparer leurs potentialités créatives.

Le moteur de jeu vidéo Unity a servi de terrain d’expérimentation à plusieurs projets de livres enrichis, s’attirant par là même l’attention bienveillante du constructeur de l’outil, qui s’est dit amusé (et très certainement intéressé) par ce détournement inattendu. Quant à iBooks Author, logiciel gratuit, mais propriétaire, il est souvent utilisé et détourné de sa cible initiale, le marché de l’édition scolaire. L’éditrice Myriam Pro-Poilvet de La Dentellière affirme changer de technologie à chaque projet et l’a utilisé, dit-elle, en y « télescopant du code » : elle a trouvé très plaisant que le service technique d’Apple lui fournisse gracieusement des conseils techniques, malgré le fait que l’outil n’ait pas été prévu au départ pour ajouter certains langages de script. Pour cette éditrice, les principaux atouts des outils sont surtout la rapidité avec laquelle ils permettent de développer et la flexibilité qu’ils offrent en évitant de transformer les projets d’édition en « usine à gaz » :

« On voulait des projets simples, pas lourds en développement, afin de pouvoir se concentrer sur l’artistique. » (Pro-Poilvet, La Dentellière)

La facilité de prise en main ouvre la voie à des champs inédits de pratiques, souvent sans prétention, mais qui autorisent à tout un chacun de s’y frotter. Plus que la tablette, c’est l’arrivée d’« iBooks Author et de beaucoup d’outils qui ont rendu les choses possibles, y compris économiquement » (Pro-Poilvet, La Dentellière). Les outils gratuits sont une base de lancement pour le déploiement de pratiques créatives. En ce sens, ils sont perçus non pas uniquement sous l’angle d’une « rhétorique préfigurée » (SAEMMER,

2015a), mais également comme un terrain d’expérimentation du champ des possibles créatifs qui suscite des tâtonnements sans lourdes conséquences financières et économiques. Une telle vision est partagée par la Réunion des musées nationaux, qui a internalisé sa production numérique afin « d’apprendre à maîtriser ces savoir-faire ». À la Cité des sciences, le chef de projet numérique aimerait, quant à lui, disposer aussi de petits logiciels en interne pour réaliser des applications :

« Ce n’est pas très créatif, mais on peut quand même imaginer. » (Gorin de Ponsay, Cité des sciences)

Certes, la mise à disposition gratuite d’outils, comme le logiciel iBooks Author, ne s’apparente pas à du mécénat. Mais, dans une filière en émergence, au modèle économique très instable, les concepteurs ont tendance à valoriser les solutions à moindre coût et à donner « le change par des astuces, en utilisant ce cadre limité pour pousser l’expérimentation » (Gervaise, e-Toiles).

Dès que l’on regarde de près les artefacts produits par les concepteurs, on repère toutefois vite les traces des outils-logiciels, leurs marques de fabrique : certains projets de la maison d’édition La Dentellière mixent des pratiques « résistantes » (en intégrant des scripts non prévus par le logiciel iBooks Author) et des pratiques modélisées par les formes-modèles du dispositif. Dans un conte pour enfants sont suggérées des pratiques de lecture savantes, comme le renvoi de certains liens hypertextes vers des dictionnaires embarqués dans le logiciel. La dimension informationnelle de l’hyperlien est aussi reflétée dans des « fiches de lecture », qui ajoutent une couche de médiation scolaire à cette application narrative et ludique. La stratégie d’Apple, qui aide l’éditrice à détourner son propre logiciel, vient illustrer la « stratégie de la tactique » (JEANNERET, 2014, p. 644) du

constructeur et sa capacité à capter les pratiques de conception comme de réception.

« À la fois maîtres d’un espace global, celui de l’expression, et toujours contraints d’agir dans le lieu de l’autre et d’y faire des coups, comme si, par un renversement spectaculaire, c’était l’usager qui agissait dans son lieu propre et l’industriel qui y braconnait. » (JEANNERET, 2014, p. 644)

Pourtant, en retour, il faut affirmer que les outils n’exercent pas d’emprise stricto sensu sur les pratiques créatives : certains concepteurs y voient l’occasion de créations à moindre risque dans l’idée de roder leurs pratiques. Il y a très certainement aussi une forme de plaisir ludique que nous aurions pu observer dans le cadre d’une enquête ethnographique dans ces pratiques de confrontation aux contraintes des outils, oscillant de fait entre un rôle de prescripteurs et de libérateurs de pratiques (CARDON ET AL., 2006). La filière du

livre numérique enrichi se cherche donc à travers différentes logiques d’outils, tout en continuant de laisser de la place à l’expérimentation.

Parmi les concepteurs interrogés, quelques-uns ont pourtant récemment entrepris une réflexion sur des modèles plus industriels, qui leur permettraient de « sérialiser » la production. Tel est le cas de la Réunion des musées nationaux et du Centre Georges- Pompidou que nous proposons d’étudier de manière plus approfondie.

« E-albums d’exposition » : études de cas

Musées et édition numérique : contexte

Après une phase d’expérimentations, la Réunion des musées nationaux et le Centre Georges-Pompidou ont investi dans des outils-logiciels d’édition dans un objectif de développement à plus grande échelle. Le récit de la mise en pratique de ces outils permet d’entrer au cœur des problématiques d’édition numérique de deux grandes institutions culturelles françaises et de cibler l’analyse sur des objets précis en des lieux précis. Ces deux musées ont fait l’objet d’une investigation poussée sur le terrain, facilitée par leur position de partenaires au sein du projet Labex Arts-H2H « Catalogues d’exposition augmentés : zones de test ».

Contrairement aux autres professionnels de l’enquête, ces deux musées doivent penser la chaîne numérique au regard d’une chaîne de production papier préexistante. Leurs modes de production ont rapidement évolué en quelques années, entraînant la transformation des formes éditoriales des catalogues d’exposition et une réflexion naissante sur les pratiques d’édition numériques. Les premiers essais étaient souvent des PDF « optimisés », coulés sur le même modèle : les éditeurs modifiaient certains critères à partir de la maquette PDF de départ (ajout de menus de navigation, d’une fonction zoom sur les images, etc.). Les catalogues d’exposition numériques de ces deux musées ont, par ailleurs, la particularité d’être fabriqués en bout de production selon un cycle rapide :

« Sur la base de l’album qui, lui-même, vient après le catalogue. » (Bijon, RMN)

Sans être la transposition à l’identique des contenus papier, ils s’appuient donc en grande partie sur les contenus d’une offre éditoriale préexistante, celle du catalogue ou de l’album d’exposition imprimés. Quels liens les deux éditeurs font-ils entre l’arrivée des outils-logiciels et leurs pratiques de conception ? Quelles perceptions ont-ils de ces outils ?

La « signature » de l’outil, une marque éditoriale ?

Acteur leader sur le marché du livre d’art numérique, la Réunion des musées nationaux propose aujourd’hui un large catalogue, décliné en e-albums d’exposition, e-catalogues d’exposition ou applications d’exposition, lisibles sur tablettes. Ceux-ci sont téléchargeables depuis l’App Store, parfois l’iBooks Store, et plus rarement la plate-forme Google Play. La chaîne de production s’inscrit dans une stratégie éditoriale qui accompagne chaque exposition d’un « mix produits » : catalogues d’exposition papier, albums papier, e-albums, e-catalogues, applications d’exposition, audioguides. L’équipe est

réduite à un chef de projet e-publishing (Thomas Bijon), assisté par un stagiaire en alternance.

L’acquisition du logiciel de publication numérique Indesign Authoring, outil propriétaire de la société Aquafadas (une firme rachetée par Kobo en 2012), répond, pour Thomas Bijon à deux demandes émanant de la Réunion des musées nationaux :

– L’outil doit permettre à l’éditeur de s’insérer dans un cadre économique qui doit lui- même correspondre à l’économie réelle du marché. Investir dans un outil est un « pari » qui permet de fonctionner avec une équipe réduite, en accélérant les temps de production et en réalisant des économies d’échelle. C’est donc sous la pression économique que le choix s’est en partie effectué.

– L’outil doit également répondre aux besoins d’évolution en interne des compétences et des savoir-faire professionnels. Celui-ci repose sur le logiciel InDesign maîtrisé par tous les graphistes de la chaîne imprimée. Son utilisation s’inscrit dans la continuité de la chaîne éditoriale du livre : la maquette de l’ouvrage papier « s’enrichit » à partir d’une bibliothèque de fonctionnalités et de familles de comportements interactifs, accessibles depuis une interface wysiwyg. Sans maîtriser le code, il est possible de le prendre en main, d’apprendre à le manipuler et de se livrer à des expérimentations grâce aux briques standardisées qu’il propose. Cet outil « simple, facile, sans code »31 repose sur la promesse de créer une jonction entre les métiers du print et ceux de l’édition numérique. Pour Thomas Bijon, l’enjeu est ainsi d’amener progressivement les éditeurs du print à s’emparer des problématiques spécifiques à l’édition numérique, en pratiquant l’outil, en s’y confrontant concrètement :

« Cela permet d’avoir une grande proximité avec la problématique technique : qu’est-ce que je peux faire comme interactivité ? Comment ça va se présenter quand je vais slider ? Quand je vais appuyer sur un bouton ? Alors que si on avait un pôle de programmation qui travaille à partir d’objets graphiques qui sont découpés à partir d’un Photoshop qui, lui-même, est un export d’un travail InDesign, la multiplication des étapes fait qu’on s’éloigne et qu’on peut difficilement expérimenter. » (Bijon, RMN)

Selon l’éditeur, les graphistes pourront, de surcroît, apporter leur « sensibilité livresque » et leur savoir-faire issu de l’édition traditionnelle, comme la belle maquette, la gestion des blancs, la typographie.

Comment, dans la réalité du métier, l’outil s’est-il jusqu’à présent intégré aux pratiques éditoriales ? Comment a-t-il été apprivoisé en interne ? Thomas Bijon évoque le manque de conviction des éditeurs du print à se joindre à ses réflexions. Si les graphistes se montrent intéressés, il doit gérer de manière autonome ses projets. Il doit aussi défendre son activité en interne : celle-ci déroge aux habitudes établies et n’est pas jugée assez rentable. Alors que la mise en place de l’outil devait permettre, selon lui, la création d’un

workflow print-numérique, et une collaboration plus étroite entre éditeurs papier et éditeurs

numériques, dans les faits celle-ci se heurte à des blocages en interne. La simplicité d’usage de l’outil est mise au défi de pratiques de résistance passive.

Si les pratiques en interne n’ont pas été réorganisées, le choix de l’outil entre néanmoins dans les horizons d’attente du responsable numérique, car celui-ci s’appuie sur l’outil-logiciel InDesign classiquement utilisé dans l’édition et suggère une continuité entre les métiers :

« Je ne conçois pas d’édition numérique sans édition papier. » (Bijon, RMN)

Par ailleurs, l’éditeur souhaite créer une marque aisément reconnaissable auprès de ses lecteurs, notamment grâce à ce qu’il appelle la « signature ergonomique » : des formes- modèles aisément reconnaissables pour les lecteurs ayant l’habitude de feuilleter des magazines numériques réalisés par le même logiciel. InDesign Authoring est en effet utilisé pour réaliser de nombreuses revues numériques (Paris Match, Première, Psychologie Magazine,

Elle…). Conçus avec le même outil, les e-albums d’exposition de la Réunion des musées

nationaux offrent un cadre d’interprétation rassurant aux lecteurs qui, selon l’éditeur, auront développé des habitudes et des accoutumances. Il entend ainsi s’appuyer sur un horizon de réception déjà établi pour renforcer son propre positionnement éditorial. Si, dit-il, « la marge de manœuvre est bridée par le périmètre de l’outil », la « signature ergonomique » agit comme une « marque de fabrique », facilitant la construction d’une audience.

La manière dont l’éditeur s’approprie l’outil reste cependant inventive : l’éditeur a, d’une part, réussi à faire évoluer sa configuration en développant une collaboration étroite avec son développeur Aquafadas. Comme nous l’avons déjà souligné, l’outil était, en effet, initialement développé afin de répondre aux attentes de la presse magazine. En ce sens, l’utiliser pour réaliser des livres d’art numériques constitue déjà un détournement d’usage. 31 Texte d’accompagnement sur le site du concepteur Aquafadas. Disponible sur : www.aquafadas.com

Un cahier des charges commun a permis de faire évoluer les formes-modèles de l’architexte afin de répondre aux spécificités du livre d’art numérique, comme l’ajout de fonctions « zoom » très poussées qui permettent, avec les doigts, d’explorer les détails d’une reproduction numérique. Par ailleurs, l’éditeur ne souhaite pas reproduire chaque e- album strictement à l’identique, sur le modèle de la série. À chaque exposition, il imagine de nouvelles briques, de nouveaux enchaînements rhétoriques, pour tester l’évolution des horizons d’attente des publics. Sans connaître le langage de programmation — inaccessible, car propriétaire —, il peut programmer et intervenir de temps à autre dans les lignes de code qu’il « arrive à piloter », selon ses propres termes.

Figure 3. Captures écrans des interfaces d’accueil des e-albums d’exposition Velásquez et Cartier (RMN) conçus avec le logiciel d’Aquafadas

Enfin, l’éditeur numérique s’approprie l’outil au gré de projets plus expérimentaux qu’il mène en parallèle et dont on peut considérer qu’ils font aussi évoluer sa pratique : il lance parfois simultanément des projets avec des prestataires extérieurs, comme dans le cas du catalogue d’exposition Edward Hopper développé avec la société Smartapps, ou la collection Dictionnaire animé que nous avons réalisée en collaboration avec des étudiants de l’Ensad Lab dans le cadre du projet Labex « Catalogues d’exposition augmentés ». Proposé sous forme de prototype par des étudiants en design, le Dictionnaire animé a été ensuite développé à l’aide de l’outil d’édition Aquafadas, preuve que les pratiques expérimentales et industrielles peuvent cohabiter.