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L’eau apparaît comme un des éléments cruciaux dans la poésie de Nîmâ et de Rimbaud.

Elle prend des aspects différents. Le poète manifeste sa soif par la fréquence des éléments fluides qui apparaissent dans les poèmes. Il subit une soif profonde et ancienne. La solitude, l’isolement déduit de l’incompréhension entre lui et les autres, la frustration amoureuse, la détresse de la situation sociale ont causé en lui une soif circonstancielle. Notre poète est submergé par un pessimisme cosmique qui nourrit sa soif existentielle. Si la soif rimbaldienne est incarnée par le mot même de « soif », chez Nîmâ, la sécheresse peut porter cette valeur symbolique. En réalité, l’eau manifestant la frustration et la douleur est visible dans la poésie de nos deux poètes. L’obsession pour Rimbaud du poète assoiffé, se retrouve chez Nîmâ, lorsqu’il hésite obsessionnellement à choisir entre la mer et la plage. L’eau sombre associée à la nuit est repérable dans le corpus de Rimbaud et de Nîmâ. De même, l’eau sombre associée aux éléments d’espace comme le vent est commune à ces deux poètes. Chez Nîmâ il s’agit de la rivière ou du ruisseau, alors que pour Rimbaud il s’agit plutôt de la mer. Si la mer chez Nimâ est ensoleillée, elle peut être aussi nocturne à l’instar de Rimbaud. Certes, la mer-mère n’est pas repérable chez Nîmâ, mais l’association de la mer avec la femme est visible. L’eau humanisée aussi constitue un élément de base aussi bien pour lui que pour Rimbaud. De même, le cygne penseur de Nîmâ, à l’instar du Cygne rêveur de Rimbaud est associé à l’eau, à la nature et la féminité. L’association de la mer et du navire est très fréquente chez l’un comme chez l’autre. Le voyage marin du poète au cœur de la mer houleuse peut faire allusion à sa carrière poétique. La mer symbolise ici la poésie même. Le poète voit sa création poétique comme une rivière généreuse. Son âme est passionnée et poétique comme la mer. En effet, son esprit imprégné de poésie, bleu comme la mer devient tumultueux comme celle-ci lorsque le poète ne trouve pas de libération. Cette situation manifeste une mer houleuse qui transcende toute la vie du poète. Cette image de la mer ne l’abandonne pas, y compris dans

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Les résonnances rimbaldiennes dans la poésie objective et élémentaire de Nîmâ Youchîdj 199

CHAPITRE III : La Terre

1. La Terre dans la poésie rimbaldienne

Pour un poète « rendu au sol avec un devoir à chercher » la terre occupe une place importante dans sa vie. Il est évident que pour lui, le devoir ne se trouve pas près de chez lui, sa quête va au-delà de sa maison, voire son pays natal. Il possède ainsi une bonne connaissance géographique, culturelle et sociale de la Terre. Cela influence évidemment son propre regard poétique. La poésie rimbaldienne est imprégnée de rêverie et d’imagination.

Comme l’eau claire s’associant à la soif, la terre rimbaldienne se marie à la « faim ». La faim est liée étroitement aux éléments terrestres.

1.1. La Terre dans « Fêtes de la Faim »

Dans « Fêtes de la Faim », le poète exhorte sa faim dans la strophe initiale et finale. Il avoue que son désir va seulement vers les éléments terrestres. « Si j’ai du goût, ce n’est guères / Que pour la terre et les pierres. Dinn ! dinn ! dinn ! dinn ! Mangeons l’air, / Le roc, les charbons, le fer. » (p. 138). Le poète s’adresse à ses faims. Celles-ci sont personnifiées et animalisées. En effet, la faim (au pluriel) est tellement vivante que le poète l’aborde en la multipliant comme des êtres vivants en lui. Il leur propose de fouiller partout et de ne pas hésiter à manger : « Mes faims, tournez. Paissez, faims, / le pré des sons ! / Attirez le gai venin / Des liserons ; » (Ibid). La répétition du mot « faim », six fois, y compris dans le titre, dans un court poème, ne laisse aucune hésitation à la préoccupation obsessionnelle de cet élément chez Rimbaud. La faim incarnée d’abord en Anne, (le prénom féminin) et ensuite en animal ne relève pas du désir éphémère. Il s’agit d’une hantise fondamentale du moins un besoin vital oublié qui a rendu le poète malheureux : « C’est l’estomac qui me tire. / C’est le malheur. » (Ibid). Les verbes impératifs sont en premier lieu à la première personne plurielle

« Mangeons » et en second lieu à la deuxième personne plurielle, et s’adressent anaphoriquement à ses faims : « Mes faims, tournez. Paissez, faims, [...] / Attirez [...] / Mangez » (Ibid). L’utilisation du point après « tournez » fournit une pause de réflexion et met en œuvre un lien plus direct entre le poète et ses faims. En effet, le poète, à la manière d’un maître qui se prend comme supérieur, commande à ses faims et finalise son ordre en mettant un point à la fin. Il suscite l’attention et la réflexion du lecteur. L’irrégularité de la mise en

200 Saeideh Shakoori

forme des vers participe de ce festin de « l’ogre-poète ». Il semble qu’il soit si conscient de ses faims qu’il n’a plus besoin d’organiser ses paroles et que ses faims n’ont qu’à obéir. De ce fait, le poète les considérant comme une partie de soi, utilise la première personne, tandis qu’à la suite, le souhait de se débarrasser de cette hantise, le conduit à se séparer d’elles. Il les convoque comme si elles étaient hors de lui, ce qui justifie l’utilisation de la deuxième personne plurielle. En effet, prendre distance de ses faims et les commander, instaure une étrange « Alchimie du verbe » donnant un ton ironique à ce poème. « Attirez le gai venin / Des liserons ; / Mangez / Les cailloux [...] » (Ibid). Cependant, cet oxymore « gai venin » manifeste la gravité de la souffrance du poète insatisfait ainsi que le mysticisme archaïque de ce désir voilé. Ainsi le poète ose dénoncer son besoin et le répéter plusieurs fois dans son poème. Certes, cette moquerie exprime sans doute, métaphoriquement, sa frustration et sa rancœur. Néanmoins, ces sentiments s’adoucissent vers la fin du poème, en laissant de côté davantage ses impératifs, le narrateur dévoile au lecteur son histoire : « Mes faims, c’est les bouts d’air noir ; / L’azur sonneur ; / – C’est l’estomac qui me tire. / C’est le malheur. / Sur terre ont parus les feuilles ! » (p. Ibid). Le ton plus logique et narratif de ces vers éveille chez le lecteur, plus un sentiment de sympathie que de moquerie. L’utilisation répétitive et surtout anaphorique de la structure « c’est » met en valeur la dimension narrative du poète, il se confie désormais au lecteur en présentant sa souffrance. Calmé par des courtes phrases rythmées, il exulte sa colère. Le poète plus patient à la fin, utilise des phrases complètes avec les verbes attributifs comme « être et paraître ». Ces changements de ton asociés à une syntaxe expressive (de courtes phrases) contribuent à donner aux vers une valeur émotive. Ainsi l’émotion passée, la syntaxe des vers reprend un équilibre plus harmonieux. En effet, le poète assimilé à un témoin ou un blessé prend conscience de la situation, il extériorise sa souffrance et raconte l’origine de son malheur et apaisé, peut envisager l’avenir. Rimbaud de cette manière revient sur « je » et exprime ce qu’il fera bientôt. Les impératifs sont remplacés par le temps indicatif du présent, du passé composé et du futur proche : « Je vais aux chairs de fruit blette. » Le poète soulagé adoucit ses vers en admettant les descriptions plus poétiques. La terre remplie des « roc, charbons, fer, cailloux, galets » promet désormais « les feuilles » et

« blettes ». Même « Des liserons » associés au « venin » présentés dans la première moitié du poème, ne sont pas prometteurs tandis que le poète à la fin se retrouve au sein de « la doucette et la violette ». Le choix de la plante « doucette » adoucit encore plus le poème. Cette ambiance créée par les plantes apparues s’oppose à la gravité et l’aridité de la terre autant qu’aux éléments terrestres « roc, charbons, fer, cailloux, pierres ». À ce choix botanique s’ajoute celui de la rime intérieure de [ɛt] accentuant la mélodie douce et réveillant la musique

Les résonnances rimbaldiennes dans la poésie objective et élémentaire de Nîmâ Youchîdj 201 festive du poème. « Fêtes de la Faim » fait partie de Fêtes de la Patience. Il évoque ainsi à la fin de « Bannière de mai » lorsque Rimbaud, après avoir subi la patience, la faim et la soif de la nature, lui demande de satisfaire ses désirs. « À toi, Nature, je me rends ; / Et ma faim et toute ma soif. / Et, s’il te plaît, nourris, abreuve. ». (p.132) Dans « Fêtes de la Faim », les feuilles parues sur la terre rappellent la saison du printemps à l’instar de « Bannière de mai ».

La présence du poète au sein de la nature montre son attrait vital pour le poète. Cette fois, moins romantique, le nom de la nature n’est ni mentionné, ni adressé. Toutefois, le poète-narrateur raconte son voyage exotique et surréel « aux chairs de fruit blettes. ». Le contact tactile avec la nature reste toujours établi : « Au sein du sillon je cueille / La doucette et la violette. » (Ibid). En réalité, la Nature en majuscule et envahissante dans « Bannière de mai » est ici détaillée et focalisée. Il semble que le romantisme fort du premier devient pâle dans le second. Le poème s’oriente vers un réalisme abrupt et même surréel. Les éléments célestes, « le ciel, le soleil », dans « Bannière de mai » sont remplacés par les éléments terrestres « la terre, le roc », car le poème est focalisé sur la faim. Si « le ciel est joli comme un ange » (p. 131) dans le premier et dépeint le romantisme, dans le second, en revanche, le prénom « Anne », répété quatre fois, concrétise davantage la faim incarnée et féminisée du poète. En effet, dans celui-ci, au contraire de « Bannière de mai » dans lequel le ciel est angélisé dans une nature féminine, la terre féminisée symbolise la faim du poète.

Remarquons que la présence de la nature féminine est évidente dans « Fêtes de la Faim ».

En effet la nature-mère est féconde. Même si dans le texte, on ne voit pas précisément, au contraire de « Soleil et chair », le terme « la Mère-Nature », la nature est toujours maternelle.

Elle est maternelle non seulement pour l’abri qu’elle fournit au poète malheureux et affamé, mais elle l’est aussi grâce aux feuilles, aux fleurs et aux fruits qu’elle donne à la terre asséchée : « Sur terre ont paru les feuilles ! / Je vais aux chairs de fruit blettes. / Au sein du sillon je cueille / La doucette et la violette. » « Fêtes de la Faim », (Ibid).

Quant au lien entre la faim et la soif, l’avis de Jean-Pierre Richard est remarquable. En effet, il ne sépare pas la faim rimbaldienne de sa soif. Certes nous sommes convaincue que la place de la faim est remarquable dans ce poème, mais on ne pourrait nier le couple faim / soif.

Sur la fécondité liquide présente, ce disciple de Bachelard en s’appuyant sur ces vers, exprime et marque les termes qui justifient l’eau pénétrée dans la terre :

Ce que Rimbaud poursuit à travers « le roc, le charbon, le fer », et tous les cailloux qu’il brise, c’est l’humidité première dont ils sont évidemment issus. « Fils des déluges »,

« pains couchés aux vallées grises », les galets tirent leur succulence de la fécondité liquide qui les a portés jusqu’à la terre. Et cela est si vrai qu’il suffit de voir cette