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Le Rêve de l’homme et les questions essentielles

CHAPITRE III : La légende de Nîmâ Youchîdj

1. Le Signe et le Symbole

1.3. Le Symbole selon Jung

1.3.4. Le Rêve de l’homme et les questions essentielles

Après avoir abordé « le symbole jungien » dans ce passage, nous allons brièvement évoquer les idées de Jung sur le rapport entre le rêve, le symbole et les questions existentielles de l’homme moderne, c’est-à-dire celles de la naissance, l’enfance, la mort, la liberté et la communication avec les autres êtres du monde. Selon Jung, les rêves, les mythes et les symboles de l’homme racontent son inconscient, ses désirs et ses pensées. C’est pour cette raison qu’il analyse dans son livre certains rêves comme étant des archétypes tentant de prouver que l’homme, dans la profondeur de son inconscient, se pose des questions sur son identité, son origine, sa mort et l’au-delà. Il se demande s’il est éternel et comment il peut se sentir heureux. Il s’interroge aussi sur le sens de la mort, la philosophie de la création et l’origine du monde, son créateur et son rapport avec l’univers et sur la morale et les valeurs. Il se préoccupe de certains concepts, comme ceux de la liberté, du destin, de Satan, du paradis et de l’enfer. Il est curieux sur des thèmes qui touchent les autres univers, et en particulier devant tout ce qui relève de la métaphysique. De ce fait, l’homme, inquiet par tous ces concepts, retrouve inconsciemment dans ses rêves, le reflet de son inquiétude et parfois une réponse à ses questions. Ils interviennent dans les rêves humains lors de l’enfance et de la jeunesse mais comme Jung le déclare « le symbolisme de la mort et de la renaissance se manifeste aussi dans les rêves de la fin de la vie, quand l’approche de la mort jette son ombre sur le présent. »2

En fin de compte, par les rêves qui apparaissent plutôt à la fin de la vie ou à l’âge de la vieillesse, la personne âgée regarde vers le passé et découvre un côté inconnu et nouveau de la réalité de la mort qui arrivera dans le futur. Il faut signaler que « la sensibilisation au décès » ou « la conscience de la mort », est un événement connu et expérimenté dans la philosophie mystique orientale : c’est un concept et un événement accepté comme réel. Car nombreux sont ceux qui, devant témoins, annoncent à leur famille l’imminence de leur mort, à charge à ces

1 Ibid., p. 101.

2 Ibid., p. 74.

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témoins de prévenir ensuite les proches et même les personnes inconnues. Il y a des gens simples, ordinaires et inconnus qui, prévoyant leur mort avec leur cœur pur, deviennent connus après la mort.

Jung analyse également le symbolisme du paradis. Le paradis se manifeste dans les rêves autant que dans l’architecture, la peinture et la poésie. Les jardins iraniens sont célèbres, car ils illustrent le désir des hommes de vivre dans un paradis terrestre avant le paradis après la mort. Dans l’architecture iranienne, il existe des paradis terrestres au milieu du désert, et c’est un contraste incroyable qui se voit dans beaucoup de régions désertiques de l’Iran. Les jardins de Dolatabad à Yazd et Fine à Kashan sont de beaux modèles de paradis terrestre. Ce sont des jardins avec un Emarat, un séjour, des bassins, un hammam, une tour du vent badgir et d’autres bâtiments qui leur donnent plus de valeur que de simples jardins implantés au milieu du désert kavir. Ces exemples montrent que l’homme crée des sites paradisiaques pour se rappeler le Paradis « Eden ». Comme le confie Jung : « chaque société a sa propre conception du paradis ou de l’âge d’or archétypiques qui, croit-on a existé et existera de nouveau ».1 Et il reprend en exemple « le Paradis terrestre »2, tableau du XVe siècle français, qui représente l’expulsion d’Adam et Ève après la chute. Ensuite, Jung analyse certains symboles transcendants comme l’oiseau, le serpent ou le cheval ailé, et explique que l’homme essaie, par ces symboles, de réaliser « des potentialités de son Soi individuel ». Autrement dit, ces symboles aux formes multiples et aux buts variés permettraient à l’homme de libérer les contenus de son inconscient dans son conscient :

Ils indiquent le besoin chez l’homme de se libérer de manières d’être trop insuffisamment mûries, trop rigides, trop arrêtées. En d’autres termes, ces symboles sont destinés à délivrer l’homme – à lui faire transcender – toute forme restrictive d’existence au cours – de sa progression vers un niveau supérieur ou plus parfait d’évolution.3

Parmi les symboles, l’oiseau est le symbole courant de la transcendance. Comme dans la littérature, on le voit comme un symbole libérateur, désir de l’homme d’échapper à ce monde terrestre vers l’au-delà. Comme le déclare Jung :

L’oiseau est effectivement le symbole de transcendance le plus approprié. Il représente le caractère particulier d’une intuition qui fonctionne par le truchement d’un «  médium », c’est-à-dire d’un individu capable d’obtenir une connaissance d’événements éloignés, ou de faits dont il ne sait rien consciemment, grâce à un état de transe.4

1 Ibid., p. 86.

2 Pol, Jean et Hermann de Limbourg, dits les Frères de Limbourg (Paul, Herman et Johan, Gebroeders van Limburg, de Gueldre), nés vers 1380 à Nimègue, Pays-Bas, sont des peintres et enlumineurs néerlandais.

3 Ibid., p. 149.

4 Ibid., p. 151.

Les résonnances rimbaldiennes dans la poésie objective et élémentaire de Nîmâ Youchîdj 125 À ce sujet, le cheval ailé est un symbole composé considérable qui représente le rêve du vol et de la liberté chez l’homme. C’est l’emblème de l’alchimie et il est composé de deux symboles : le cheval et l’oiseau qui occupent une place importante dans la littérature et la philosophie de la plupart des civilisations et des mythes de notre monde. Nous pouvons retrouver le cheval blanc ailé dans la poésie épique de Ferdowsî, ainsi que dans les motifs qui se trouvent dans les découvertes archéologiques qui datent de 900 ans en Iran. Tout ceci prouve l’importance de la place de ce symbole. Dans son ouvrage, Jung montre une image de transcendance spirituelle : « Mahomet sur sa jument ailée Bourak vole parmi les sphères célestes »1 comme l’un des événements les plus importants de la religion musulmane.

Après quoi, Jung fait une comparaison entre la symbolique des oiseaux, les jets et les fusées de nos jours et parvient à conclure que la nature et le contenu de ce symbole sont la même chose. En effet, la nature humaine ne change point, c’est seulement son nouveau mode de vie qui change la forme des symboles, et même si l’homme moderne vit d’une nouvelle façon, il pense à la liberté et à son doux rêve de voler, à sa façon de se libérer, bien que ce ne soit que pour quelques instants, de sa vie terrestre.

Nous avons parlé d’oiseaux sauvages symbolisant la délivrance ou la libération. Mais aujourd’hui, nous pourrions tout aussi bien parler de « jets » ou de fusées spatiales, car ils incarnent le même symbole de transcendance, en nous libérant, au moins momentanément, de la pesanteur.2

Enfin, j’aimerais faire allusion au salut de l’homme décrit dans une belle expression de Jung, qui pense à la liberté et qui invente les avions, les jets et les fusées qui voyagent vers la lune, et rêverait de voyager vers les autres planètes. Comme Jung, certaines philosophies et idéologies croient que l’homme doit trouver sa liberté et son salut par un voyage intérieur.

Dans cette partie de son livre, Jung insiste sur ce qu’il a déjà exprimé concernant le retour vers « Soi » : le modèle objectif de ce voyage intérieur est le voyage solitaire qui pourrait fournir à l’homme les moyens de découvrir une nouvelle vie, et de méditer sur les mystères de l’existence et en résumé, retrouver le « trésor caché ».

Un des symboles oniriques qui exprime le plus fréquemment ce type de libération par le dépassement est le thème du voyage solitaire ou du pèlerinage, qui semble d’une certaine façon être un pèlerinage spirituel au cours duquel l’initié découvre la nature de la mort.

Mais il ne s’agit pas ici de la mort conçue comme un jugement dernier, ou une épreuve de caractère initiatique. C’est un voyage vers la libération, la renonciation et la réparation, patronné et protégé par quelque esprit compatissant.3

1 Ibid., p. 156.

2 Ibid., p. 157.

3 Ibid., pp. 151-152.

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En conclusion, ce voyage solitaire est l’un des symboles du voyage intérieur qui fait mourir et renaître l’humain. Et la mort de la conscience de l’homme apparaît comme un moment précieux qui lui redonne naissance par la méditation et l’intuition finale qui l’accompagnent pendant ce voyage mystique.

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CHAPITRE V : Les Éléments Fondamentaux