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L’Eau de la vie et de la mort dans « Le Bateau ivre »

CHAPITRE I : Fusion des Éléments Fondamentaux dans la poésie de Rimbaud

1. L’Eau dans la poésie rimbaldienne

1.1. L’Eau de la vie et de la mort dans « Le Bateau ivre »

Au cœur de tous les poèmes qui manifestent peu ou prou un aspect de cet élément fondamental, « Le Bateau ivre » est exemplaire. Non seulement, grâce à sa longueur, mais aussi par le thème qui tourne autour d’une odyssée maritime et métaphorique. Un abondant vocabulaire maritime, apparaît dans ce long poème pareil à une encyclopédie : « Péninsules, la houle, nasses, nases, Maelstroms, ... ». Pour un adolescent n’ayant aucune expérience de la mer lors de la création de ce poème, cette imprégnation lexicale est surprenante. Cela vient sûrement de sa vocation imaginaire et de son talent expressif. Le critère de la lecture des œuvres fictives et poétiques comme celles de Jules Verne et d’Edgar Poe reste prégnant. À cette influence, s’ajoute comme toujours celles que Rimbaud a connues en plongeant dans les poèmes de Baudelaire et de Hugo.

« Dans Bateau ivre, disait Verlaine, il y a toute la mer. » Et cependant l’on sait que Rimbaud n’avait jamais vu la mer lorsqu’il écrivait ce poème, à Charleville, en 1871, peu de temps avant qu’il ne parte pour Paris où il devait rencontrer Verlaine.1

« Le Bateau ivre » ne se résume pas néanmoins dans un voyage fictif et imaginaire, Rimbaud a bien réussi à représenter les moments de sa vie où ils aboutissent à un avenir encore plus douloureux.

« L’eau » comme une matière liquide, symbolise ici la vie propre du poète lui-même.

Celui-ci prend en main son propre navire avec tous les risques. Son bateau étant comme ivre, l’amènera où il voudra. En effet, il n’est ni confiant ni commandant. Le poète n’est qu’un capitaine assujetti à son bateau. Cependant, le bateau symbolise à la fois, le poète lui-même, prisonnier de lui et de son ivresse.

1 Arthur Rimbaud, Œuvres Complètes, op. cit., pp. 722-723.

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La vie qui l’accompagne rarement avec de l’amitié et de la tendresse : « comme je descendais des Fleuves impassibles / Je ne me sentis plus guidé par les haleurs » (p. 100). Si les Fleuves (toujours en majuscule) enfin « ont laissé descendre » le poète enfermé, la mer agitée restera toujours fâchée avec lui. Au début il court, mais il finit par « dans[er] sur les flots ». Cette danse avec le danger ne fait-elle pas allusion à un jeu enfantin ignorant le risque ? Ou bien est-ce que ce ne serait pas l’état d’un soldat volontaire qui se réfugie dans le danger pour défendre sa patrie, conscient de la mort qui l’attendra sans doute ? En effet, cette danse symbolise l’euphorie et la liberté que le poète retrouve malgré les « rouleurs éternels de victimes ». « La tempête a béni mes éveils maritimes. / Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots / Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes, / Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots ! » En citant ces vers, Kittang explique comment cette danse est libératrice :

Le dynamisme de la danse contient les éléments libérateurs nécessaires pour échapper à la logique étouffante et autoritaire de la clôture et du discours idéologiques. C’est ainsi que la danse s’inscrit comme image centrale dans « Le bateau ivre » déjà, où la mise en liberté du Moi-bateau se dessine comme une véritable choréographie1, jetant le Minuscule au gré de la mer dynamique, sans qu’il soit pour autant meurtri par les forces frénétiques des houles.2

Notre poète-narrateur voyage en nuit « mes éveils maritimes, Dix nuits », cependant il voit les couleurs grâce aux « falots » et aux éléments célestes. La Mer comme une mère, le lave, le purifie et le dégage des cordes embarrassantes. Dans le premier vers du quatrain, le poète donne une description douce de cette expérience enfantine : « Plus douce qu’aux enfants la chair des pommes sûres / l’eau verte pénétra ma coque de sapin / Et des taches de vins bleus et des vomissures / Me lava, dispersant gouvernail et grappin. » (p. 101). Les pommes font allusion au péché originel, mais cette fois elles sont sûres, cependant la Mer-mère surveille son enfant des dangers éventuels de « vomissures ». Les éléments célestes renforcent l’aspect divin. Mer et ciel se confondent : « Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème / De la Mer, infusé d’astres, et lactescent » (Ibid). En effet, le poème étoilé constitue la route ascendante de voyage du poète. Ce dernier totalement plongé dans la mer, devient à l’instar d’un maître spirituel, ravi de cette médiation sous-marine. Ces instants fermentés par l’amour apparaissent plus forts que les paradis artificiels de « l’alcool » et plus vastes que la musique propagée des « lyres ». Dès que le poète commence à parler des éléments célestes, son voyage prend un autre aspect.

1 Il s’agit bien ici de la figure de la danse, même si ce terme s’approche du mot « chorégraphie ». Kittang Atle voit dans le discours rimbaldien une représentation métaphorique et thématique sous le nom de

« choréographie ».

2 Kittang Atle, Discours et jeu, op. cit., p. 173.

Les résonnances rimbaldiennes dans la poésie objective et élémentaire de Nîmâ Youchîdj 159 Tous ces instants ouraniens ont donné une vision prophétique au poète-voyageur. Il a déjà

« vu quelquefois ce que l’homme a cru voir ». En fait, les allures diverses et bruyantes de

« l’eau » chargée de divinité, suscite la voyance du poète. L’eau ici est à la fois savante et prophétique. Elle transmet le message des « cieux ». Le poète est conscient de ce qui se passe dans le processus d’Alchimie du savant au voyant. Il rappelle, répète et affirme plusieurs fois sa conscience en introduisant plusieurs vers : « Je sais...je sais...et j’ai vu...j’ai vu ». Le passé composé de « voir » fait allusion à l’expression « déjà vu » propre à l’intuition prédictive d’un voyant.

« Le soleil bas, taché d’horreurs mystiques / Illuminant de longs figements violets » (Ibid), l’image métaphorique et inouïe du soleil donne à l’ensemble du poème une dimension mystérieuse. Le soleil est-il descendu près du bateau ou a-t-il perdu sa valeur essentielle ? Cette valeur perdue ne peut être que la perte considérable de la lumière et de la chaleur. Le soleil ni chaud ni suffisamment éclairant n’est plus un soleil. S’il est dévalorisé : « tout soleil amer », la mer sera sombre et frissonnante. Tout est horrible et glacier : « Les flots roulant au loin leurs frissons de volets ! » (Ibid). Le soleil n’est plus celui qu’on connaissait naguère. Il est devenu terrifiant. Le poète ne se résigne pas dans sa quête, il garde l’espoir. Il rêve au

« baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs » (Ibid). Il contemple les merveilles « La circulation des sèves inouïes », il ne cesse de trouver la moindre trace de lumière et de magie

« Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs ! » (Ibid).

Ainsi, « horreur » venant de l’inconnu, et « violet » connu comme couleur de l’esprit et de la divinité, accentue l’idée de « voyant ». En effet, si on envisage le soleil comme un élément céleste, et si l’on croit à son mouvement descendant afin d’illuminer davantage le bas, c’est-à-dire le monde terrestre, on approche l’idée du « Voyant » éclairé par les nouvelles célestes.

Ainsi, pour parvenir à ce niveau de voyance, le poète subit des étapes dures de métamorphose : le froid, la crainte, les frissons. C’est en traversant la nuit qu’il parvient au « baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs ».

La mer apparue comme « des acteurs » s’humanise encore une autre fois jouant un rôle important dans la nouvelle expérience de merveilles que le voyant a vécue. Le poète-méditant plongé dans son rêve délirant devient extase par « la nuit verte » envahie de

« circulation des sèves inouïes ». Les descriptions hyperboliques et le néologisme comme

« dérades » traduisent la magie de la « voyance ». Tout est stupéfiant ! voire « surréaliste ». La mer est éclairée, phosphorescente et chantante. C’est le moment de l’éveil, de l’enchantement de la voyance, après avoir passé de « la houle » de la folie et des « vacheries hystériques ».

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Les connotations religieuses et mythologiques accélèrent le processus prophétique de

« voyance » : « sapin, vin, neiges éblouies, Maries, Léviathan ». Le poète précise le rôle salvateur des « pieds lumineux des Marie » qui jouent à chasser les malheurs. Les eaux sont dans la plupart des cas, actives, mouvementées et contradictoires : « Des écroulements d’eau au milieu des bonaces ! / Et les lointains vers les gouffres cataractant ! » (Ibid). D’une part, il y a une belle description de la mer : « flots nacreux, des écumes de fleurs », à cette splendeur, s’ajoute l’harmonie de « ces poissons d’or, ces poissons chantants » ; d’autre part, le poète n’oublie pas l’aspect monstrueux de l’eau où la mort remplace la vie, les couleurs vivantes par celle de la ruine : « Échouages hideux au fond des golfes bruns / où les serpents géants dévorés des punaises / choient, des arbres tordus, avec des noirs parfums ! » Le jeune Rimbaud exhibe ici son art, dans ce choix des verbes, des attributs et des noms pour mettre en évidence cette dichotomie de « la mer dont le sanglot faisait [son] roulis doux », dont la puissance à la fois vivifiante et suffocante le fait obéir comme « une femme à genoux ». Le poète, tantôt une « presqu’île, ballottant... » tantôt « un bateau perdu sous les cheveux des anses » s’enfonce dans la mer. Celle-ci apparaît si monstrueuse qu’aucun bras n’a pu repêcher cette « planche folle », ni « les Monitors » ni « les voiliers des Hanses ». La présence anaphorique de « moi » ainsi que l’utilisation répétitive du « je » et les adjectifs possessifs de la première personne singulière, accentuent le regret et la déception dramatique du poète-navire. Celui-ci perd désormais le plaisir de la promenade et de son corps physique. Il rompt avec le monde extérieur, et il fonce donc dans la vacuité, « l’éther », pour parvenir à l’univers intime de ses souvenirs. Le navire devient « frêle » et le promeneur pleurant et « accroupi ».

C’est d’ailleurs pourquoi le « je » dans « Le Bateau ivre », en glissant petit à petit de l’aller euphorique à l’aller dysphorique, se trouve dépouillé des images concrètes qui l’entouraient : « Or moi, bateau perdu [...] / Jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau » ; en un sens, il commence à être décharné, lui aussi. En fait, après cette remarque de « sans oiseau », il n’y aura plus de contact entre le « je » et les choses extérieures parmi lesquelles, il court, que dans le souvenir.1

Ce pauvre noyé, pleurant, gémissant et désespéré ne trouve aucun salut. Il lui reste à s’enfoncer davantage dans la mer elle-même : « Ô que ma quille éclate ! Ô que j’aille à la mer » (P. 103). En effet, Rimbaud dans « Le Bateau ivre » se dilue dans la nature marine.

L’attrait de la mer est tellement fort que le promeneur s’imagine agenouillé. À cet égard, Kawanabe, en citant ces vers, précise que le poète cède lui-même à la grandeur de la nature généralisant cette caractéristique de la poésie rimbaldienne :

1 Kawanabe Yasuaki, Une Cosmogonie Poétique, op. cit., p. 60.

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s’envoler comme les oiseaux. Ainsi le poème est teinté encore plus de la magie et de la surréalité ou de la spiritualité voyante. Par la qualification « d’or », les étoiles s’associent au soleil. Elles sont des relais du soleil couchant. Elles rendent non seulement le ciel lumineux mais la mer lactescente. « J’ai vu des archipels sidéraux ! Et des îles / Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur : / – Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t’exiles, / Million d’oiseaux d’or, ô future Vigueur ? – » (P. 102). En effet, Le Bateau ivre, et cette strophe en particulier, associent l’étoile, le soleil, le ciel à la mer. Les éléments célestes sont intégrés profondément dans le voyage marin au point qu’on ne peut estimer lequel de ces éléments joue le rôle clé. Le ciel et la mer miroitent dans l’immensité, ainsi que dans la métamorphose qu’ils subissent par des étoiles. Ils agissent parallèlement, dans un contexte équivalent. Le bateau navigue entre la mer étoilée et lactescente et le ciel marin. C’est l’une des raisons pour lesquelles, le vogueur aperçoit « des arcs-en-ciel tendus comme des brides / Sous l’horizon des mers à de glauques troupeaux ! » (p. 101) :

[...] le ciel simultanément présent[e] sa valeur solaire dans sa liaison avec l’étoile et sa valeur marine : le ciel est lié aux « nuits sans fonds », l’étoile le rend délirant et il s’ouvre alors au « vogueur », le ciel tout comme la mer est donc « infusé d’astres ». Le liquide connaît ici son assomption et simultanément il est gagné par l’éclat. La navigation dans Le Bateau Ivre a lieu aussi bien sur mer que dans le ciel, le ciel de façon constante se présente comme un équivalent de la mer lactescente : la mer elle-même tout d’abord est une sorte de ciel étoilé : il s’agit d’« un Poème... infusé d’astres » ; elle apparaît encore comme le troupeau du ciel sous la bride de l’arc-en-ciel. [...] Le Bateau Ivre établit ainsi avec netteté la valeur marine du ciel lié à l’étoile.1

Quant à l’eau dans « Le Bateau ivre », elle se présente quelquefois sombre et claire, comme l’état du bateau et l’état d’âme du vogueur lui-même. Selon Giusto, dans « Le Bateau ivre » l’eau est « [...] en mouvement, en association indirecte avec l’esquif et en association médiate avec la vigueur : elle s’oppose ici à l’eau sombre qui présente en association indirecte le canot immobile de Rimbaud. »2 Ensuite pour confirmer sa déclaration, il donne comme exemple : « L’eau verte pénétra ma coque de sapin » (Ibid). Selon lui, même si l’eau n’est pas ici toujours claire, « Le Bateau ivre s’efforce de conjurer les maléfices de l’eau sombre. »3 Dans ce sens, l’eau rappelle la lutte fameuse du noir et du blanc, du bien et du mal, du démon et de l’ange. Elle symbolise l’essence humaine et la nature de la vie de l’homme. L’eau ayant les vertus contradictoires comme claire-sombre, froide-chaude, mouvementée-immobile symbolise les antithèses. Ainsi, « Le Bateau ivre » représente l’eau dans ses contrastes. À cet égard, Giusto précise :

1 Giusto Jean-Pierre, Rimbaud Créateur, op. cit., p. 49.

2 Ibid., p. 99.

3 Ibid., p. 65.

Les résonnances rimbaldiennes dans la poésie objective et élémentaire de Nîmâ Youchîdj 163 Il y a deux eaux dans Le Bateau Ivre : celle des « Fleuves impassibles », des « Échouages hideux au fond des golfes bruns », de la mer qui monte « ses fleurs d’ombre aux ventouses jaunes », et de la « flache noire et froide », et l’eau du « Poème de la Mer, infusé d’astres, et lactescent », eau verte, eau de la tempête et des « gouffres cataractant », eau qui se donne finalement comme une équivalence d’un ciel dévoré de lumière. Le premier liquide est celui de la mort, de la stagnation, et le second celui de la libération et de la vision.1

En effet, lorsque l’eau est céleste, elle devient divine et pure. Elle se retrouve à l’origine de la création poétique, de la libération et de la vivacité de la vie. Mais quand elle reste terrestre et frustrée de la bénédiction ouranienne, elle stagne et elle pourrit de telle sorte qu’elle meure et devienne meurtrière.

En résumé, dans « Le Bateau ivre », on voit l’essence de l’eau manifestée dans la mer, en tant qu’une essence qui renvoie à la nature humaine. Si l’on envisage « le discours » comme l’une des plus importantes des caractéristiques de l’homme qui le distingue des autres êtres vivants, Rimbaud incarne ce discours à travers la mer. Pour lui, la mer représente la poésie sous toutes ses formes. « Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème / De la Mer, ». (Ibid).

« Le Bateau ivre » est aussi une allégorie du poète et de son activité poétique :

Allégorie notoire de la figure du poète et de son travail créateur, « Le Bateau ivre » n’offre pas seulement l’image d’un navire fou délivré des haleurs, du gouvernail et des grappins. C’est aussi, au sens propre, celle d’un bateau qui boit, ou qui a trop bu, et qui va dans l’ivresse, par ivresse. Le poète ne navigue plus, ne fluctue plus sur la langue : pris de visions, il s’y immerge, il s’y enfonce.2

« Le Bateau ivre » constitue ainsi un voyage « dans le Poème », mais ici c’est « la Mer » guide qui a converti son voyage vers la poésie. La déesse de l’eau devient celle de la poésie.

Néanmoins, la mer de la poésie comme une vraie mer ne reste pas toujours calme. « Les trombes, les ressacs, les courants, ... » menacent la quête du poète. À ce sujet, Kittang3 explique comment il y a chez Rimbaud un « rapprochement de la poésie et d’un espace liquéfié ». Bien qu’il voie le dynamisme dans cet espace poétique, il croit davantage au voyage calme qui apparaît plus conciliable avec l’idée de Voyance.

Lorsque le Moi-bateau peut enfin se baigner « dans le Poème / De la Mer », c’est en fait dans une quête poétique qu’il se trouve engagé, à travers un vaste espace parsemé de richesses ineffables et de choses inouïes : « J’aurais voulu montrer aux enfants ces dorades / Du flot bleu, ces poissons d’or, ces poissons chantants. ». Et bien que la métaphorique de la liquéfaction y soit remplacée par une imagerie plus vague de

1 Ibid., p. 164.

2 Maulpoix Jean-Michel, « Le cœur volé d’Arthur Rimbaud » in Le poète perplexe, José corti, Paris, 2002, p.

137.

3 Pour approfondir votre connaissance sur cette analyse, voir Kittang Atle : « Moi hyperbolique et figures métapoétiques » in Discours et jeu, op. cit., pp.73-98.

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dynamisme et de mouvement, on ne doit pas oublier que la théorie du Voyant se présente aussi [...] comme une poétique réglée par l’image de l’exploration et de la quête.1

« Où, teignant tout à coup les bleuités, délires, / Et rhythmes lents sous les rutilements du jour, / Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres, / Fermentent les rousseurs amères de l’amour ! » (Ibid). Ces vers témoignent d’un autre aspect de ce lien homme-poète c’est-à-dire l’amour comme l’anneau qui enchaîne l’homme à la poésie. Ainsi, Kittang en s’appuyant sur ces vers comme exemple, explique sa croyance en l’amour et donne aussi une dimension spirituelle à cette notion qui poétise la mer.

Parmi tous les traits qui se concentrent ainsi pour former l’armature thématique de la figure de l’Homme-Poète, il faut réserver une place à part à la notion de l’Amour. [Dans]

le texte du « Bateau ivre » c’est la présence active de l’Éros qui vient caractériser l’interpénétration fondamentale du Moi-bateau et de son Poème-mer, et qui rend ainsi possible cette réciprocité du Moi et de son espace qui est la condition indispensable de toute exploration et de toute création poétiques [...] Les « rousseurs amères de l’amour » qui viennent ici colorer toute la substance multiple de la mer, y implantant en même temps leur dynamisme ivre (« délires / Et rhythmes lents ») [...] Elles déploient en plus, par une longue arabesque poétique, tout le réseau thématique de l’ouverture : ivresse, dynamisme, et la vastitude de la Poésie (« plus vastes que nos lyres »).2

le texte du « Bateau ivre » c’est la présence active de l’Éros qui vient caractériser l’interpénétration fondamentale du Moi-bateau et de son Poème-mer, et qui rend ainsi possible cette réciprocité du Moi et de son espace qui est la condition indispensable de toute exploration et de toute création poétiques [...] Les « rousseurs amères de l’amour » qui viennent ici colorer toute la substance multiple de la mer, y implantant en même temps leur dynamisme ivre (« délires / Et rhythmes lents ») [...] Elles déploient en plus, par une longue arabesque poétique, tout le réseau thématique de l’ouverture : ivresse, dynamisme, et la vastitude de la Poésie (« plus vastes que nos lyres »).2