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Le débat comme modalité d’étude d’une question socioscientifique en contexte scolaire

2. Étude du corpus bibliographique : scolarisation d’une QSS et pratique du débat

2.4. Synthèse des discussions

Les différents types de débats implantés en classe et présentés dans ce chapitre ont des points de convergence, de divergence mais présentent aussi des caractéristiques propres. Nous pouvons identifier des points de recoupement entre ces différents types de débats et mettre à jour des éléments à prendre en compte si chercheurs comme praticiens sont amenés à mettre en place de tels dispositifs.

2.4.1. Le manque de connaissances des élèves sur les questions abordées dans ces débats Quelque soit le type de débat implanté pour l’étude d’une QSS, les différentes recherches font état d’un manque de connaissances des élèves sur la plupart des questions traitées (Hogan, 2002 ; Levinson, 2004). Certains signalent à contrario que les élèves ont une bonne appropriation des concepts écologiques (Jiménez-Aleixandre et al, 2002). Sur des questions liées à la génétique et aux maladies héréditaires, les résultats diffèrent. Lewis et al (1999) montrent que les élèves ont une bonne compréhension des problèmes scientifiques alors que Levinson (2004) rapporte que les élèves engagés dans le débat font des amalgames et des confusions dans les notions de gènes et de chromosomes et précise que les discussions en groupe les auraient renforcées. Schweizer et al (2001, 2005) souligne eux

aussi que les élèves engagés dans le débat public simulé ont des difficultés à maîtriser les concepts concernant les causes du réchauffement climatique.

Par ailleurs, les différents chercheurs ayant fait ces constats ne sont pas unanimes quant à l’influence des connaissances et de la maitrise des concepts associés sur la qualité de l’argumentation. Pour ce qui est des débats sur des questions qui engagent les élèves dans des actions sociaux-politiques, les élèves se montrent capables d’élaborer des arguments qui leurs permettent de rendre une décision alors que deux recherches sur trois signalaient le peu de connaissances scientifiques mobilisées par les élèves. La question qui se pose alors à nous est de déterminer quelle place ces chercheurs donnent aux concepts scientifiques dans ce qu’ils considèrent comme une argumentation de qualité. A la suite de Jimenez-Alexandre et la (2002), nous considérons que les connaissances sont importantes dans une argumentation lorsqu’il s’agit d’évaluer les avantages et les inconvénients des alternatives possibles en vue d’une prise de décision.

2.4.2. La prise en compte, par les élèves, des différents aspects de la QSS traitée

Lors des débats sur des QSSs avec une visée d’action socio-politique ou des simulations de conférences publiques, nous pouvons noter que les élèves abordent une plus grande diversité de thèmes et introduisent des notions de justice sociale et de responsabilité politique (Gombert, 2008 ; Pedretti, 1999 ; Schweizer & al, 2001, 2005). Les élèves de l’étude de Gombert (2008) ont identifié la nature politique de la question du réchauffement climatique et abordent la question des responsabilités politiques. Nous pourrions être tentée d’attribuer l’apparition de cette dimension politique au type de débat mis en place car ces simulations de conférence de citoyen placent les élèves dans des rôles de citoyens et de représentants politiques, ce qui semble favoriser la prise en compte de ces aspects car ils sont clairement adossés aux rôles attribués aux élèves.

Cependant, il semble également que cela dépende de la question traitée. Suivant la question, les élèves développent une argumentation intégrant des dimension écologique, économique et éthique. Ils est donc difficile d’établir un lien indiscutable entre la diversité des aspects abordés par les élèves et le type de dispositif ; sur les questions de dépistage des maladies génétiques héréditaires, abordées dans les débats pour une prise de décision personnelle, les auteurs (Lewis & al, 1999 ; Levinson, 2004) déplorent le peu de prise en compte des aspects éthiques de la question, les élèves se focalisant sur des aspects scientifiques. Lewis et al (1999) signalent le manque d’empathie des élèves pour ces questions qu’ils semblent rejeter dans la vie d’adulte. Cela semble être confirmé par l’étude de Colucci-Gray (2007), qui a établi que les groupes qui ont développé un discours d’empathie, ont pu se concentrer sur les différents aspects de la QSS et de sa résolution à l’inverse des autres.

2.4.3. L’idée des sciences que se font les élèves

Dans toutes les formes de débat, nous notons que les auteurs des recherches soulignent la relation entre la qualité de l’argumentation sur les QSSs et les perceptions qu’ont les élèves de la nature et de la construction des sciences. Certains mettent en avant une conception empirico-réaliste et une survalorisation des sciences. Cette conception réaliste des sciences est pointée par Lewis et al (1999) lorsque les élèves ont à prendre une décision quant au dépistage prénatal des maladies héréditaires. Pour cela, ces élèves basent leur argumentation sur une accumulation d’informations extraites de documents vidéo et audio sans regard

critique. Quant à l’étude de Walker et al (2007), elle met en évidence que les élèves n’ont pas spontanément abordé des aspects de la NOS même après une enseignement spécifique sur la NOS. Il semble que la majorité des élèves considèrent séparément les aspects sociaux et les aspects scientifiques lors de l’expertise d’informations données par des experts.

Cependant, lorsque des élèves débattent sur des oppositions binaires fictives entre scientifiques (Bader, 2001, 2005), certains groupes d’élèves montrent des capacités particulières et ont une conception moins réaliste que d’autres, remettant en cause les fondements des arguments des scientifiques. D’autres recherches vont aussi dans ce sens, comme les recherches qui engagent des débats d’élèves dans la résolution d’une question menant à une action socio-politique (Jimenez- Aleixandre et al, 2002 ; Hogan, 2002). Certains élèves de cette étude sur des questions écologiques ont remis en cause la validité des expertises scientifiques. Dans les débats qui ont eu lieu, certains d’entre eux se sont interrogés sur les fondements mêmes des arguments de experts, adoptant une conception moins réaliste et plus complexe à propos de savoirs non-stabilisés. De même dans la recherche de Gombert (2008) qui met en place une simulation de conférence de citoyens, le discours empirico-réaliste domine dans les échanges mais elle note également qu’une partie des élèves aborde la question des liens existant entre la recherche et la politique discutant de l’indépendance et de la neutralité des sciences.

Il serait donc hâtif de conclure que que les élèves ignorent la façon dont se construisent les sciences. La prise en compte des aspects épistémologiques des sciences semble donc à l’ordre du jour dans les débats sur des QSSs au regard de la minorité d’élèves qui les prend en considération dans la construction de son argumentation.

2.4.4. L’implication des élèves dans ces dispositifs

Lors des débats sur des questions réelles ou plausibles avec prise de décision, les chercheures rapportent que les élèves s’impliquent de façon forte car ils se sentent interpellés sur des questions qui concernent leurs pratiques sociales quotidiennes (Hogan, 2002 ; Jiménez-Aleixandre & al, 2002). Nous retrouvons également une implication importante des élèves lors des simulations de conférence de citoyens (Gombert, 2008 ; Pedretti, 1999 ; Schweizer & al, 2001, 2005). Lors des débats en petits groupes (Bader, 2001, 2003 ; Grace, 2009 ; Larochelle & al, 2001) une différenciation d’implication des groupes est à noter. Dans ces études les auteurs font référence à une implication différente dans le débat qu’ils attribuent à un effet de leader et de ce fait, à l’effacement de certains élèves. Alors que certains élèves cherchent le consensus, d’autres cherchent à imposer leurs opinons en tentant d’influencer les autres. Cet effet « leader » est particulièrement exacerbé dans les jeux de rôle. Même si les élèves montrent une réelle motivation initiale, l’implication se modifie pour certains au cours du jeu. Certains élèves sont en posture d’acteur et cette théâtralisation nuit à l’engagement dans les discussions sur la question traitée. Simonneaux (2003) note l’effacement de certains élèves dans le débat conventionnel comme dans le jeu de rôle, organisés sur la même question de transgénèse animale. C’est dans le jeu de rôle que des procédés rhétoriques tels que le recours à ‘ironie et à la provocation sont nombreux et sont utilisés dans le but de faire gagner son camp. Cet effet tend à s’atténuer lorsque les élèves construisent eux même les arguments des personnages (Albe, 2005 ; Colucci-Gray, 2007 ; Hingant, 2013).

La question du lien entre l’engagement dans les discussions et le genre, est aussi posée par Lewis et al (1999) qui attirent notre attention sur ce point. Les garçons adopteraient un rôle dominant alors que les filles adopteraient un discours exploratoire évitant la mise en

compétition. Mais sur ce point, l’étude de Grace (2009) qui a étudié les délibérations de 24 groupes n’a pas établi de corrélation entre le genre et dans l’engagement dans le discours d’exploration.

L’engagement des élèves dans les débats varie au regard des résultats des différentes études en fonction de la thèse que les élèves ont à défendre. Ceci est notable dans les situations de jeu de rôle mais aussi dans les simulations de conférence de citoyens. Il apparaît qu’il est difficile émotionnellement de jouer le « mauvais rôle » comme si il y avait des opinions respectables et de construire des arguments allant contre leur conviction personnelle. Ce point est saillant à propos de la question du réchauffement climatique car dans le discours des élèves, il ne semble pas possible de nier l’implication humaine dans ce phénomène. Cela ne leur a, par contre, pas posé de problèmes quand il s’est agi de défendre la thèse de la non dangerosité des ondes liées à la téléphonie mobile.

L’engagement des élèves semble dépendre de la question traitée car certains auteurs signalent un manque d’empathie pour certaines questions qui sont plus éloignées de leur vécu personnel comme par exemple le dépistage des maladies héréditaires (Lewis et al, 1999). D’autre part la question de la médiatisation de certaines questions sont, de ce fait, plus présentes que d’autres dans leur quotidien.

2.4.5. Éléments à prendre en compte dans la mise en place d’un dispositif de débat

L’analyse des différentes formes de débat mis en place dans le champ scolaire pour la scolarisation des QSSs fait ressortir quelques points qu’il nous semble nécessaire de considérer dans la mise en œuvre d’un tel dispositif.

La forme du débat est à prendre en considération au regard de notre typologie de débats. Les discussions en petits groupes sur des prises de décision apparaissent comme propices à l’amélioration du niveau d’argumentation, alors que les jeux de rôles semblent dériver vers une théâtralisation, détournant les élèves de l’objectif de compréhension de la complexité des points de vue différents sur une même QSS. Les discussions en petits groupes semblent un bon moyen d’appréhender une QSS. Il convient toutefois, au regard des résultats établis par différentes recherches, de s’attarder sur la constitution des groupes pour favoriser un discours exploratoire au sens de Mercer (1996) et d’augmenter le niveau d’argumentation.

Le choix de la question doit aussi être réfléchi car les différentes recherches montrent une différence d’engagement, de connaissances et de compréhension des concepts scientifiques en fonction de la question travaillée. Les questions réelles proches du quotidien des élèves apparaissent de meilleures candidates aux débats, permettant ainsi aux élèves d’aborder les aspects autres que scientifiques.

La préparation du débat semble également cruciale dans la construction d’une argumentation éclairée en amont de la phase de discussion. Il semble souhaitable que les élèves éclaircissent leur propre position sur la question traitée, avant de se lancer dans l’analyse des documents préparatoires aux débats. De manière générale, les débats qui sont bâtis sur une analyse de documents a permis, selon les différentes recherches, d’améliorer l’argumentation des élèves en mobilisant plus de connaissances, abordant aussi parfois les aspects éthiques, sociaux et politiques des QSSs. Il est à noter que la plupart des recherches souligne le manque d’expertise de l’information, des sources et des données contradictoires. Cela nous semble important de prendre en compte cette expertise lors de la préparation d’un débat, quelle que soit sa forme dans la mesure où certains chercheurs mettent en avant un survalorisation attribuée aux sciences par les élèves.

Sur le point particulier de la discussion des aspects politiques des QSSs, les conférences de citoyens apparaissent, au regard des résultats des différentes recherches concernées, comme favorisant cette prise en compte. Nous l’avions attribuée à la mise en situation directe des élèves en posture de citoyens et de représentants politiques.

Sur le point spécifique de la préparation des débats par l’analyse documentaire, nous avions adressé aussi une critique aux jeux de rôle et aux simulations de conférence pour lesquels les élèves analysaient uniquement des documents en rapport avec le rôle qu’ils avaient à jouer. Il nous semble nécessaire de ne pas cloisonner ainsi l’analyse des points de vue diverses sur la question, si l’on veut que les élèves aient une vue globale de la complexité de la QSS traitée où se croisent différents acteurs, points de vue et informations contradictoires.

Si nous nous référons aux débats impliquant des scientifiques par rencontres réelles, le lieu de rencontre mérite d’être discuté. Si nous nous prenons en considération la recherche de Molinatti (2007, 2010), la survalorisation attribuée d’une façon habituelle par les élèves a été renforcée par la rencontre avec le scientifique dans son laboratoire.

Le dernier point qui nous semble nécessaire de prendre en compte dans la mise en place d’un débat, au regard des différentes recherches, est la posture de l’enseignant qui, suivant le rôle qu’il endosse, peut favoriser la discussion comme la scléroser. Les attitudes autoritaires n’ont pas permis une approche de communication et ont fermé les débats. La posture la plus propice aux débats semble être celle de régulateur du débat avec une approche non autoritaire de prise en compte des différents points de vue dans une approche de communication. Lorsqu’il s’agit de jeu de rôle ou de simulation de conférence publique, il est souhaitable qu’il endosse un rôle comme le rôle du jury ou le rôle du procureur de la république qui n’intervient pas et qui observe.

Conclusion

Au regard de cette étude, nous pouvons penser que le débat argumenté apparaît comme un dispositif adapté à l’étude d’une QSV. Les auteurs du corpus sont tous en faveur de l’introduction du débat dans le champ scolaire, même si leurs objets de recherche et leurs visées éducatives diffèrent. Malgré la faiblesse globale des connaissances qu’ils constatent dans l’argumentation des élèves, ils mettent en avant la capacité des élèves à s’engager dans ce type de dispositif.

Les différents types de débats, étudiés dans ce corpus, posent des problèmes dans la mise en œuvre en classe. Les recherches retenues dans ce corpus mettent en lumière certains problèmes spécifiques à certains. Nous avons montré les écueils des jeux de rôle et l’intérêt des débats en petits groupes pour une prise de décision. Les premiers doivent être construits avec précaution et les seconds posent un problème d’implantation sur le terrain au regard de l’organisation actuelle du collège et du lycée en France. Cependant, ils laissent à penser qu’ils sont des outils pertinents pour le chercheur. En effet, ils permettent d’approcher plus finement l’élève dans la construction de sa pensée et mettent en lumière certains aspects gommés par les débats en groupe classe : par exemple ces études ont pu montrer que tous les élèves n’avaient pas une perception réaliste des sciences. L’approche des QSSs par les jeux de rôle est très populaire auprès des élèves. Mais, même si ces dispositifs permettent aux élèves d’être confrontés à des opinions contraires pour éclaircir leur propre pensée, ils ont aussi besoin d’occasions de considérer et de discuter leurs propres positions sur QSS dans d’autres formes de débat.

Bien qu’il soit difficile de comparer les apports des dispositifs les uns par rapport aux autres, certains protocoles de débats semblent plus porteurs pour l’étude d’une QSS comme

nous l’avons discuté précédemment. Au vu du corpus, les débats organisés autour d’une question réelle proche du quotidien de l’élève dans des conférences de consensus simulées apparaissent comme une réponse adaptée à l’étude des QSS en contexte scolaire pour aborder des aspects politiques de ces questions. Ces dispositifs sont d’ailleurs bien proches des débats de citoyens où se côtoient différents publics. C’est l’occasion de débattre entre pairs, de construire des arguments à partir de sources documentaires, de s’interroger sur leur validité et sur la notion de preuve scientifique. C’est aussi dans ces débats que la dimension politique est abordée comme cela a été mis en évidence dans l’étude du corpus, en plus des dimensions éthique et sociale. Ces aspects sont caractéristiques des QSSs. Ils laissent donc penser que les débats sont bien des modalités d’étude propices à la prise en compte de leur complexité. De plus les critiques d’instrumentalisation et de légitimation des décisions collectives de ces débats dans la sphère publique ne sont pas recevables dans le champ scolaire lorsqu’il s’agit de considérer ces simulations de conférences citoyennes comme un moyen d’apprentissage d’une EC critique que nous défendons et non pas comme un simulacre de débat public.

Chapitre 7

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