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Le débat comme modalité d’étude d’une question socioscientifique en contexte scolaire

1. Éclairage sur la place du débat dans le contexte scolaire et dans le champ public

1.2. Le débat dans le domaine public

Il existe différentes formes de consultation du public. Parmi elles, le débat. Il peut prendre plusieurs formes et conduire ou non à une prise de décision. La question mise en débat peut être d’ordre local ou général et peut concerner le citoyen en tant qu’usager ou défenseur d’un intérêt particulier ou général.

Les sociologues Callon et al (2001) se sont intéressés à l’apparition croissante ces trente dernières années des savoirs des «profanes» développés dans les débats publics. Ces

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Auteure d’une thèse intitulée « Représentations sociales, pratiques d'enseignement et contexte socioculturel : l'exemple de l'éducation à la citoyenneté et la pratique du débat dans des écoles primaires ZEP et hors ZEP »

chercheurs montrent comment l’intervention des «profanes» à opposer à « experts » contribue à remettre en cause la frontière entre la «recherche confinée» (celle des experts) et la «recherche de plein air» (celle des profanes). C’est dans le cadre des incertitudes scientifiques et techniques que se sont créés les «forums hybrides». Pourquoi «hybrides» ? Car ils réunissent des experts, des techniciens, des hommes politiques et des profanes qui se sentent concernés par la controverse mise en débat.

Une des formes de consultation citoyenne présente dans le champ public, née dans les années 1970 aux États-Unis où se côtoient « profanes » et « experts » est appelée «conférences de consensus». Ce type de débat répond à une méthodologie précise inspirée des jurys d’assises. Le principe est de réunir un échantillonnage de la population et de le mettre en situation d’expertise. Ce jury reçoit une information conséquente sur la question traitée, convoque des experts pour répondre à leurs interrogations, se met d’accord sur une position commune et rend un avis public. Les premières consultations de cette forme ont concerné des questions médicales (consensus development conferences). Le National Institute of Health US a été dans les années 1980 l’un des premiers organismes politiques à utiliser la méthodologie de la conférence de consensus sur des sujets biomédicaux, sous le nom de Technology Assessment, pour recueillir la participation du public dans le cadre d’un choix technologique. Ce type de débat a été ensuite repris et modifié par les Danois et s’est ensuite implanté au Canada, en Finlande et aux Pays-Bas à partir des années 80. En France, des conférences du même type ont été développées sous le nom de «conférences de citoyens». Elles diffèrent de son homologue Danoise, «la conférence de consensus» car le but recherché n’est pas systématiquement le consensus entre les membres du panel sélectionné, mais laisse la possibilité d’émettre des opinions différentes.

L’objectif affiché de ces conférences, même si il n’est pas l’objectif réel si l’on en croit les critiques qui sont formulées à leurs encontre comme abordées ci-après, est de générer du savoir, de provoquer un grand débat public et de contribuer aux prises de décision. Elles permettraient aux citoyens extérieurs au processus décisionnel politique de dialoguer de façon informée et d’influencer le débat public sur des thèmes qui suscitent de vives controverses dans la société et chez les scientifiques.

Nous pouvons alors nous interroger sur le réel impact des consultations citoyennes sur les décisions politiques. Pour cela nous avons retracé les principales consultations citoyennes. Alors que l’implantation des centrales nucléaires en France s’est effectuée sans véritable opposition populaire au regard d’autres pays européens, à l’exception de l’affaire Plogoff30 entre 1978 et 1981, les travaux menés par l’ANDRA31 quant au stockage des déchets radioactifs ont soulevé de nombreuses contestations et manifestations. C’est ainsi qu’au cours de l’année 1990, des auditions publiques, de différents acteurs engagés dans la discussion, ont été organisées par l’Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST)32. Cette procédure a été suivie d’effets concrets quant aux

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L'affaire « Plogoff » désigne le projet d'installation d'une centrale nucléaire sur la commune de Plogoff, en Bretagne et la mobilisation populaire que ce projet a déclenchée contre lui entre 1978 et 1981. Les manifestations ont abouti à son abandon. Pour l’une des premières fois, les habitants d’une petite commune ont réussi à faire plier un projet d’aménagement “d’intérêt général” porté par l’État.

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Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.

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Créé par la loi n° 83-609 du 8 juillet 1983, l'OPECST a pour mission d'informer le Parlement des conséquences des choix de caractère scientifique et technologique afin d'éclairer ses décisions. A cette fin, il recueille des informations, met en œuvre des programmes d'études et procède à des évaluations.

décisions et recommandations à faire en matière de gestion des déchets qui se sont traduits par le vote d’une loi en 1991 qui a réorienté la politique dans ce domaine.

En France, en mai 1994, le premier grand débat national a eu lieu sur « l’Énergie et l’Environnement ». Ce débat avait été lancé conjointement par les ministères de l’Environnement et de l’Industrie. Les deux aspects traités étaient l’environnement et l’ouverture du marché des énergies. Les objectifs annoncés étaient : informer la population, les élus locaux sur la situation énergétique française et recenser les questions, les attentes et les recommandations des citoyens. Les modalités du débat ont été les suivantes : 6 colloques nationaux, 20 débats régionaux, 35 tables rondes, la mobilisation de 218 «experts» et 2000 participants. Il n’a pas laissé de grand souvenir dans l’opinion publique car il ne fut pas suivi de décision politique mais on peut noter la création, un an après, en 1995, de la Commission Nationale du Débat Public.

En France, nous trouvons ensuite quatre conférences de citoyens construites sur le modèle des conférences de consensus :

La première conférence de citoyens a eu lieu en 1998 et concernait «les OGM dans l’agriculture et l’alimentation» organisée par OPECST. A l’issue de cette consultation, les citoyens condamnèrent la culture des OGM en plein champ, c’est-à-dire en milieu non-confiné. L’impact a été minime car cette consultation n’a abouti qu’à la modification de quelques lignes dans l’évaluation des dossiers d’homologation des OGM par la Commission du Génie Biomoléculaire. Cependant, nous pouvons penser que son impact a peut être été plus important car elle a eu un fort impact médiatique dans un contexte où les relations entre la recherche et la société se modifiaient ; par exemple, l’INRA a publié pour la première fois un rapport faisant le point sur ses recherches en cours. Cette conférence de citoyens a également montré que les « profanes » étaient capables de délibérer sur des sujets complexes et nous pouvons éventuellement penser que les représentants politiques ont peut être pris en compte l’opinion du public, puisque par la suite nous pouvons trouver d’autres consultations de ce genre : en 2002, la conférence de citoyens intitulée «les changements climatiques et citoyenneté» organisée par la Commission Française du Développement Durable, puis en 2003, la conférence de citoyens concernant «le devenir des boues domestiques issues des stations d’épuration» organisée dans le cadre du Débat National sur l’Eau. La plus récente est la conférence de citoyens concernant les nanotechnologies organisée par la région Ile de France en 2007. A l’issue de cette consultation, le panel de citoyens sélectionné a déclaré être majoritairement favorable aux nanotechnologies, mais a souhaité l’établissement de règles encadrant leur développement lié aux risques. Ce groupe a demandé la création d’une instance indépendante et a établi une liste de ses missions.

S’il est difficile de quantifier l’impact politique de ces procédures de consultation tant il est variable, nous pouvons noter que des demandes de consultation publiques émanent régulièrement des instances politiques ; la Commission Nationale du Débat Public a organisé à nouveau dans les grandes villes de France, entre octobre 2009 et février 2010, une consultation publique sur les options générales en matière de développement et de régulation des nanotechnologies.

Cependant des critiques peuvent être formulées à l’encontre de ces consultations comme le pointe le sociologue Barthe (2002, 2006) dont les recherches se centrent sur les controverses sociotechniques et les politiques publiques relatives aux « risques collectifs ». Il précise que ces procédures de consultation sont régulièrement dénoncées comme des « paravents » destinés à légitimer à postériori des décisions déjà entérinées : « Derrière une

à une entreprise subtile de contrôle social, à une nouvelle ruse de gouvernement consistant à enrober d’un vernis démocratique les desseins inchangés d’une élite technocratique toute- puissante ». Par ailleurs, il considère que ces critiques sont quelque peu réductrices même si

elles ont le mérite de casser une « vision idyllique » de ces procédures. En effet, dans l’étude qu’il a menée sur les auditions publiques de 1990 sur la gestion des déchets nucléaires citées plus haut, il montre que l’on ne peut pas sous-estimer le caractère exploratoire de ce type de procédure. Son analyse de ces auditions publiques met à jour le paradoxe entre deux dimensions qui sont pour lui inséparables : « si les procédures de consultation peuvent être

appréhendées comme des «outils de gouvernabilité» particulièrement efficaces, ce n’est pas seulement parce qu’elles permettent d’encadrer les débats et de canaliser les conflits suscités par certaines décisions publiques mais c’est aussi, surtout peut-être, parce qu’elles ont dans le même temps pour effet d’augmenter ce que nous proposons d’appeler leur discutabilité, c’est-à-dire le degré auquel ces décisions sont susceptibles d’être soumises à un régime de discussion publique ».

Si les critiques d’instrumentalisation semblent recevables, elles peuvent être relativisées dans la mesure où l’on ne saurait nier la dimension exploratoire évoquée par Barthe (2002, 2006) : la mise en discussion peut faire émerger des solutions alternatives et permettre d’augmenter ainsi le panel de choix. Cependant, d’autres dérives peuvent être formulées à l’encontre de ces consultations quant à leur médiatisation. En référence aux pensées de Leibniz au sujet de «la mise en spectacle des curiosités», Natali et Bornemann-Blanc (2004), chercheurs en Science de l’Information et de la Communication, s’intéressent à la «dramatisation» de la culture scientifique et technique dans l’espace médiatique. D’après eux, elle régit cet espace, mais tend aussi à toucher les conférences et les débats de société. Pour eux, un paradoxe s’installe : « le développement de ces conférences et débats se

légitime sur un objectif annoncé de mise en situation communicationnelle induisant plus de participation effective, alors que de fait, la mise en spectacle confine le citoyen dans un rôle réduit et stéréotypé, plus liée à la forme du débat qu’à son fond». Pour le chercheur en

communication et éthique scientifique Natali et al (2004), ces formes «dramatisées et de mise

en spectacle» des débats dans l’espace médiatique télévisuel ou de presse écrite accentuent

les oppositions et théâtralisent le conflit, éloignant la conférence de citoyens du consensus recherché. Ceci nous renvoie aux propos tenus par Halimi (1999), journaliste au Monde Diplomatique et Docteur en Sciences Politiques lorsqu’il s’en prend aux débats télévisuels qu’il qualifie de « débats médiatiquement corrects » : ceux-ci seraient menés par « un petit jury

inamovible d’éditorialistes, de politologues, d’organisateurs de « débats » » pour qui « les manifestants devraient défiler, les intellectuels réfléchir, les citoyens se laisser sonder ». Ces

grands animateurs, comme il les nomme, assembleraient leurs « débats » : « L’alternance de

sujets increvables leur assure à la fois repos intellectuel et taux d’audience ». Il n’y aurait donc

plus de place que pour le « simulacre » et « les débats médiatiquement corrects ». Il va jusqu’à parler d’une « orchestration de l’agenda idéologique de la nation ». Par ailleurs, le sociologue Bourdieu publiait en 1996 un ouvrage intitulé « Sur la Télévision » dans lequel une partie était consacrée spécifiquement aux débats télévisés. L’auteur affirmait qu’ils ont l’apparence d’un débat démocratique avec les « pour » et les « contre », une discussion et un animateur du débat (le présentateur). L’analyse qu’il a faite de ces débats télévisuels souligne que ce n’est qu’illusion : ce serait des «faux débats» qui seraient « orchestrés ». Ces propos illustrent également la pensée de Halimi (1999). Nous comprenons bien dans ce contexte, le rôle que l’école peut ou doit jouer dans l’éducation aux débats en prenant des précautions pour ne pas « singer » ces débats médiatiques. Ainsi Perrenoud (1998), également sociologue, écrit : «Éduquer à la citoyenneté par le débat, ce n’est pas susciter des face à face inspirés du

spectacle télévisé. Pour découvrir que " Ça se discute " ou que les opinions se confrontent dans tout espace public, l’école a sans doute un rôle à jouer».

Ces dérives d’instrumentalisation et de légitimation des décisions collectives de ces débats et les mises en garde soulignées plus haut nous conduisent à considérer la mise en œuvre de situation-débat autour des QSSs en classe, comme un objectif et un moyen d’apprentissage et non pas comme un simulacre de débat public. Parce que les QSSs sont fortement médiatisées, il nous semble nécessaire d’attirer l’attention des jeunes sur le statut de «preuve» et l’évaluation des informations. Il convient également de s’interroger sur une éducation aux médias et à l’Internet dans un but d’Éducation Citoyenne critique que nous défendons.

2. Étude du corpus bibliographique : scolarisation d’une QSS et

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