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Confrontation des visées d’Éducation Citoyenne d’enseignants de collège et du curriculum aux profils de citoyen construits à partir de

Entre conceptions antagonistes d’EC et horizons convergents : dressage ou émancipation ?

4. Confrontation des visées d’Éducation Citoyenne d’enseignants de collège et du curriculum aux profils de citoyen construits à partir de

la littérature qui traite des QSSs

Dans le chapitre 2, nous avons réalisé une revue de littérature du mouvement de recherche en didactique qui promeut la scolarisation des QSSs afin d’éclaircir la visée d’EC dont il se revendique. Nous avons alors mis à jour une visée non consensuelle quant au citoyen que ce mouvement de recherche cherche à contribuer à construire. Nous avons alors établi différentes tendances d’EC en degré d’émancipation qui nous ont conduite à construire

5 profils de citoyen allant d’un citoyen qui possède des valeurs morales à un citoyen qui s’engage dans des actions socio-politiques en terme de choix technoscientifiques.

Lorsque nous considérons une des orientations du curriculum du collège qui envisage la construction d’un « citoyen critique », l’analyse des textes officiels pointe la nécessité de « s’intéresser aux nouvelles technologies » et de « prendre des décisions dans les domaines sociaux, éthiques et politiques » qui leurs sont associées à la condition que nous prenions en compte la contribution du programme des sciences physiques. Quand nous comparons cette orientation d’EC avec les profils de citoyen que nous avons construits, il semble clair qu’elle partage certaines caractéristiques avec le second profil de citoyen construit à travers la revue de littérature sur les QSSs, celui qui est capable de participer aux débats publics et aux prises de décisions. Le citoyen critique visé alors par le curriculum et une minorité d’enseignants en collège peut être rapproché de ce citoyen, même si la participation aux prises de décisions est un axe fort dans ce profil de citoyen visé par la recherche alors que ce n’est pas le cas pour le curriculum. Nous retrouvons d’ailleurs des similitudes entre les compétences visées par le curriculum, les activités de classe proposées par des enseignants visant à les développer et les objets de recherche identifiés dans la littérature. Par exemple le développement de l’argumentation, de l’esprit critique et de l’évaluation de l’information qui sont des compétences visées par le curriculum et prises en compte par les enseignants sont également des objets de recherche (Albe, 2007 ; Sadler, 2009) qui sont regroupés par Sadler (2009) sous le terme de « higher order thinking » que nous traduisons par « pensée complexe » dans notre revue de littérature.

Si nous nous intéressons aux réponses spécifiques de certains enseignants telles que celle d’un professeur d’HG/ Ec qui prend position en faveur d’un engagement des élèves dans de réelles actions, un lien qui reste certes anecdotique peut être fait avec le profil que nous avons considéré dans notre revue de littérature comme de plus haut niveau d’émancipation de l’élève, soit un citoyen qui s’engage dans des actions socio-politiques. La vision de ce professeur rejoint celle du mouvement de recherche sur les QSSs qualifié d’« activisme » (Hodson, 2010 ; Sperling & al, 2010) qui milite pour l’engagement des élèves dans des actions réelles en tant que citoyen et non pas en tant que citoyen en devenir.

Lorsque des enseignants se centrent sur les contenus disciplinaires dans la prise en compte des thèmes de convergence comme établi dans les résultats, ils développent une visée éducative que nous rapprochons de celle visée par l’un des profils de citoyen qui a émergé de la littérature sur les QSSs : celui qui possède des connaissances dans les domaines scientifiques. On peut alors considérer que ces enseignants envisagent les thèmes de convergence de la même manière que certaines recherches qui envisagent l’étude des QSSs comme un support motivant pour apprendre des concepts scientifiques.

Quant à l’orientation du curriculum et la visée d’EC développée par une majorité des enseignants, celle qui se positionne en faveur de la construction d’un « citoyen vertueux », nous pouvons déceler quelques similitudes avec un des courants de recherche que nous avons identifié comme dirigé vers le développement de valeurs morales à propos des QSSs. L’idée sous-jacente est à notre avis d’envisager le citoyen comme apte à prendre des décisions « justes et bonnes » dans l’intérêt commun.

5. Quelle Éducation Citoyenne pour quelle participation

démocratique ?

La tension mise à jour entre les différentes visées d’EC promues à travers le curriculum que les enseignants expriment également peut être confrontée aux 4 cadres que

Levinson (2010), qui se questionne sur une éventuelle congruence entre l’éducation scientifique et la participation démocratique, a construit dans le but de caractériser la participation démocratique des citoyens impliquant des questions technoscientifiques qui reflètent les interactions science-société. Il se penche également sur l’intégration de ces cadres différents de participation démocratique dans le contexte scolaire.

Dans le « cadre déficient »25, l’idée principale développée par Levinson (2010) est d’éduquer la population à comprendre les sciences, entendues comme un corpus de connaissances. Dans ce cas, les apprenants sont considérés comme des « récipients » qu’il faut remplir de connaissances. Dans le cadre scolaire, l’enseignant est alors considéré comme l’intermédiaire entre les scientifiques et les élèves sans qu’il n’y ait d’interaction entre ceux-ci. Sa mission est de remplir ces « récipients-élèves » de connaissances scientifiques. Cette manière d’envisager le rôle de l’enseignant peut être alors reconnue comme une des perspectives développées dans les réponses des enseignants de notre étude sur la prise en compte des thèmes de convergence pour lesquels ils se centrent exclusivement sur les contenus disciplinaires et se réfèrent aux programmes. Pour ces enseignants l’enseignement des thèmes de convergence, et à leur suite les QSSs qu’elles impliquent, sont alors un moyen d’enseigner des savoirs disciplinaires. Cette orientation pédagogique à destination des élèves ou des citoyens dans un cadre plus large de société, a pour conséquence d’après Levinson (2010), de renforcer la confiance dans les experts et d’aborder de façon marginale les aspects éthiques, moraux et politiques des QSSs. L’apprenant doit se tenir informé mais doit reconnaître qu’il n’a pas l’expertise nécessaire pour commenter les décisions technoscientifiques complexes. Nous considérons alors que cette visée décrit une conception non-démocratique de la participation citoyenne aux QSSs.

Par ailleurs nous avons établi qu’une minorité d’enseignants implante des activités telles que les débats avec l’objectif de développer ce qu’ils nomment « l’esprit critique » et se réfèrent à des sciences non-établies pour les questions traitées dans l’enseignement des thèmes de convergence. Cette volonté de créer des opportunités pour encourager la délibération et la prise en compte de la dimension épistémique des sciences par les professeurs est un élément qui nous engage à rapprocher cette orientation pédagogique du « cadre délibératif »26 construit par Levinson (2010). Dans ce cadre, il précise que la science est alors comprise comme incertaine et faillible et que le but éducatif poursuivi en société comme en contexte scolaire est d’améliorer l’esprit critique et la compréhension des méthodes et procédures scientifiques. Dans ce cadre, les élèves ont l’occasion de délibérer en groupe de travail mais les actions associées dépendent de la nature démocratique de l’école. Dans notre étude, les enseignants n’ont pas abordé la question des méthodes scientifiques et d’actions démocratiques au sein de l’école. Cependant leurs propos nous semblent être une amorce d’orientation vers ce cadre qui implique selon Levinson (2010) une participation réelle des élèves comme des citoyens, bien que celle-ci reste inefficace du fait du manque de poids de ceux-ci dans les décisions qui sont prises.

Une autre perspective a été identifiée comme un résultat de l’analyse des réponses des enseignants : les activités concernant les thèmes de convergence sont envisagées comme nécessairement adossées à la vie quotidienne des élèves et nécessitent un travail collaboratif interdisciplinaire. Ces éléments nous amènent à rapprocher cette perspective d’un troisième cadre construit par Levinson (2010) : « l’éducation scientifique comme processus

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Notre traduction de « deficit framework » ; Levinson, 2010 26

actif »27. Dans ce cas les sciences sont considérées comme un outil parmi d’autres, les connaissances sont situées en fonction des contextes d’études et les participants travaillent en partageant leurs connaissances. Nous inférons ici que cette volonté des enseignants d’adosser des activités au quotidien de l’élève va dans ce sens, dans la mesure où ce sont les situations qui guident les connaissances. Ainsi elle ne sont pas développées dans ces activités en fonction d’un curriculum disciplinaire mais en fonction de ce dont on a besoin de savoir pour traiter la situation. Les élèves, comme les professeurs qui conçoivent ces activités, travaillent de façon collaborative à la compréhension de questions faisant sens au delà de la structure scolaire. Selon Levinson (2010), cette façon d’envisager l’enseignement des sciences conduit à une participation active et égalitaire qui pourrait participer à l’éducation politique des élèves comme des citoyens.

Nous avons souligné précédemment une position spécifique marginale d’un enseignant d’HG/ Ec qui se montre en faveur d’un engagement des élèves dans des actions réelles et que nous avions rapprochée de la visée du courant de recherche sur les QSSs qualifié d’« activisme ». Cette position particulière va dans le sens du dernier cadre que développe Levinson (2010), celui qu’il nomme « désaccord et conflits » qui est similaire au cadre qui considère « l’éducation scientifique comme processus actif » mais qui est centré sur des situations socio-politiques. La compréhension des aspects politiques des questions technoscientifiques et l’action politique qui en découle sont alors mises au premier plan. Nous ne pouvons pas dire si cette posture est liée aux convictions de cet enseignant ou à la discipline qu’il enseigne. Toutefois, il est possible que les enseignants de cette discipline soient peut être plus coutumiers d’un curriculum disciplinaire qui a refroidi comme réchauffé au fil du temps certaines questions controversées comme par exemple la question de la conquête coloniale de l’Algérie (Lantheaume, 2003 ; Ethier, Lantheaume, Lefrançois, D. & Zanazanian, 2008).

La mise en regard de ces différentes conceptions d’enseignants et des cadres construits par Levinson (2010) pour caractériser la participation démocratique nous interroge également sur les liens potentiels existant entre la tension établie entre les visées d’EC promues par le curriculum et ces cadres caractéristiques des différentes significations de la participation démocratique.

Conformément à la construction du « cadre déficient », Levinson (2010) souligne que le citoyen a la responsabilité de se tenir informé, d’être conscient des développements techniques et doit avoir confiance dans les experts car il n’a pas l’expertise nécessaire à la compréhension des décisions technoscientifiques. Cette façon d’envisager le citoyen a de nombreux points communs avec le citoyen que nous avons qualifié de « vertueux » envisagé dans une vision normative de l’EC. Dans ce cas, le curriculum contribuerait, dans un « cadre déficient », à la promotion d’une participation démocratique qui serait une simple approbation du citoyen à propos des décisions politiques en matière de QSSs et à une forme d’instrumentalisation de celui-ci (Audigier, 2000).

Par ailleurs, la visée émancipatrice d’EC identifiée comme l’autre orientation du curriculum est basée sur la construction d’un « citoyen critique ». Il (elle) doit s’investir dans des choix de société et acquérir des compétences nécessaires pour négocier avec les aspects sociaux, éthiques et politiques de ces questions de société. Cette perspective implique une participation démocratique, mais n’est pas suffisamment précise quant au degré d’implication. Cela implique-t-il une participation aux délibérations considérée comme non-effective par

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rapport aux décisions dans le « cadre délibératif » de Levinson (2010) ou implique-t-il une participation active pour initier des changements comme développé dans le cadre « d’une éducation scientifique comme processus actif » ? Ces possibles nous suggèrent alors que la visée émancipatrice encourage une forme de citoyenneté active. Cependant, au regard des résultats de l’analyse des textes officiels, le curriculum ne va pas jusqu’à promouvoir la participation aux prises de décisions si l’on met de côté la contribution du texte cadrant le programme de sciences physiques. Si nous confrontons ces résultats aux différents cadres de Levinson (2010), nous considérons alors que cette EC reste dans le « cadre délibératif » de participation démocratique. Cela pose alors la question de l’appropriation du pouvoir par le citoyen dans le cadre d’une participation effective qui nous renvoie d’ailleurs à la notion de « citoyen souverain » développée dans la revue de littérature en socio-politique. L’importance de la prise de pouvoir du citoyen est mise en avant dans les propos de Audigier (2000, dans Pagoni, 2009) lorsqu’il développe la nécessité de prendre en compte la dimension juridique du citoyen qui lui confère des droits, mais également sa dimension politique, c’est à dire que le citoyen est responsable des choix faits dans la mesure où il a le pouvoir de faire et défaire les lois. Pour Audigier (dans Pagoni, 2009), si le citoyen s’aligne sur des normes implicites de groupe, reniant ses revendications, alors ce citoyen qu’il qualifie « d’a-politique », est à considérer comme un « bon » citoyen » dans un sens négatif. Pour Audigier (2000), la prise en compte de la la dimension politique dans l’EC doit alors permettre de faire évoluer la citoyenneté vers une participation et une responsabilité du citoyen face à des choix et des décisions.

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