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Le citoyen visé par le courant de recherche des QSSs Une visée non consensuelle

3. Confrontation du corpus élargi aux 3 profils construits- Construction de nouveaux profils de citoyen

3.4. Un citoyen non violent, la construction d’un quatrième profil de citoyen

Les recherches sur les échanges entre les élèves dans le cadre de l’argumentation lors de débats montrent que ce sont des phénomènes complexes qui font intervenir des facteurs sociaux, affectifs et interpersonnels (Albe, 2006 ; Alexoploulou & Driver, 1997; Grace, 2005). Les différents points de vue qui se manifestent lors des discussions sur les QSSs peuvent créer des tensions et être des sources de conflits. Nous avons identifié deux recherches dont les objets dont l’étude de l’argumentation dans une approche non violente des discussions. La recherche de Colucci-Gray (2007) s’articule autour d’un jeu de rôle sur la culture intensive des crevettes en Inde. Celle de Gombert (2008) s’organise à travers une simulation de conférence de citoyens à propos du réchauffement climatique. Ces deux recherches qui sont présentées ici s’inscrivent dans une approche non habituelle des recherches dans le mouvement des QSSs et qui n’ont pas été prises en compte dans les revues de littérature de Albe (2007) et Sadler (2009); elles intègrent une approche non-violente du débat en classe. Il s’agit alors pour Gombert (2008) de favoriser des situations dans lesquelles les élèves peuvent se saisir des QSSs dans une approche communicative non violente (CNV) pour éviter des discussions improductives en terme d’apprentissage et pour éviter que les élèves ne singent les pseudo-débats que donnent à voir les médias. Bien que le cœur de ces recherches soit l’étude de l’argumentation et du rapport aux savoirs, nous ne rapporterons ici que les résultats qui caractérisent les relations entre les élèves, car ils mettent à jour l’originalité et la fécondité de cette approche.

La recherche de Colucci-Gray (2007) est construite sur la prise en compte du langage dans la formation des attitudes des élèves dans des contextes sociaux aussi bien que sur leurs aptitudes à réfléchir sur des comportements individuels et collectifs dans des processus d’apprentissage de l’argumentation et du dialogue. La chercheure explore des stratégies d’enseignement et d’apprentissage propices à la compréhension par les élèves des conflits socio-environnementaux et leurs résolutions, ainsi que les processus sociaux émotionnels et cognitifs impliqués dans ceux-ci. Pour cela son choix s’est porté sur l’utilisation du jeu de rôle

comme outil de traitement d’une QSS afin de répondre à ses objets de recherche. Elle cherche alors à analyser la communication entre les élèves lors de la construction d’un consensus, leurs facultés à utiliser l’empathie au sens de Gandhi (1928) pour s’engager sur le chemin du consensus et pour gérer les conflits. La séquence a été implantée dans deux classes d’élèves de 13 à 14 ans et est construite autour de 3 séances. Lors de la première séance, la question à traiter est présentée : l’élevage intensif des crevettes en Inde. Les élèves travaillent en groupe de 3 : ils discutent des rôles pour lesquels ils disposent de carte de présentation; ils cherchent des informations complémentaires pour étayer des arguments convaincants; ils choisissent leurs rôles. La deuxième séance est consacrée à la simulation de la commission d’enquête qui doit statuer sur la question. Cette simulation reproduit le jugement de la cour suprême qui doit rendre une décision en faveur ou en défaveur de l’élevage intensif des crevettes en Inde. Un groupe de 4 élèves joue le rôle des juges, qui rendent leur verdict après consultation des différents acteurs engagés dans le conflit. La troisième séance est un travail développé en 4 grands groupes où se mêlent les élèves ayant endossé des rôles différents et les mêmes rôles ainsi qu’un élève ayant joué le rôle du juge. L’objectif poursuivi est de permettre des échanges entre les élèves, d’écouter les différents points de vue afin de parvenir à résoudre les conflits. Pour cela les élèves ont été informés sur la nature des conflits et sur la manière de les résoudre dans le dialogue20. Ils ont d’autres part été encouragés à adopter une attitude de communication empathique avec l’idée de trouver un consensus pour le futur entre deux positions opposées : celle des pro-élevage intensif dans le but d’augmenter le pouvoir d’achat et la quantité de nourriture et celle des opposants à l’élevage intensif privilégiant un meilleur environnement et le développement des activités traditionnelles. Un dernier temps est consacré à une réflexion individuelle sur le jeu de rôle; les élèves ont à mettre par écrit leur ressenti par rapport aux personnages. Cette rédaction révèle selon la chercheure les émotions positives et négatives vis à vis des personnages et le recours à l’empathie.

La chercheure fait état de la difficulté des élèves à gérer les conflits et de résultats mitigés en ce qui concerne leur capacité à développer une communication empathique. Elle souligne les difficultés à atteindre un consensus tant les solutions étaient multiples. Des différences apparaissent entre les 4 groupes. Le premier groupe (A) a montré de l’irritabilité dans les échanges argumentatifs. Après le verdict du jeu de rôle, les garçons du groupe ont continué à exprimer de l’amertume et n’ont pas réussi à modifier leur type de discours et à s’engager dans la voie de l’écoute et de la prise en considération des différents points de vue. La chercheure souligne alors que la défense de leur point de vue a été contre productive et a augmenté leur frustration. Ne pouvant pas gérer les argumentations utilisées comme balance du pouvoir de certains meneurs, un compromis entre différentes alternatives a été trouvé : celui qui permet de gagner plus d’argent ! Dans le deuxième (B) et troisième groupe (C), les élèves se sont montrés capables d’examiner les suggestions d’autres participants, de s’interroger sur les situations possibles. Ils se sont centrés sur l’examen de leurs responsabilités personnelles dans les choix sans s’attacher à une solution en particulier. Les élèves du groupe B ont dirigé leurs discussions vers la compréhension des solutions possibles, créant des significations partagées, alors que ceux du groupe C ont principalement échangé des idées. La chercheure attribue ce type de discours développé par les groupes B et C à des facultés d’écoute des élèves des points de vue des autres et des personnages joués dans le jeu de rôle, montrant des capacités de communication empathique. Les échanges coopératifs

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Pour cela, il leur est fourni un diagramme qui résume la nature des conflits et les manières de les résoudre. Ce diagramme a été construit à partir des travaux de Fisher, Abdi, Ludin, Smith, Williams et Williams (2000).

et mutuels ont conduit ces élèves à prendre en compte les contextes local et mondial, remettant en cause le développement économique et scientifique. La chercheure souligne que cette vision contraste totalement avec celle du groupe D qui voit les solutions technoscientifiques comme des solutions géniales !

Dans sa recherche, un des questionnements de Gombert (2008) concerne la manière dont les élèves procèdent pour communiquer entre eux lors d’une simulation de conférence de citoyens sur la question du réchauffement climatique. Les participants sont des élèves d’une classe de terminale (17 ans) de lycée agricole. Le dispositif d’enseignement et de recherche a été construit en pluridisciplinarité avec les enseignants et a intégré une formation à la communication non-violente (CNV). C’est pourquoi la chercheure se propose également de faire un focus sur les interactions entre les élèves pour déterminer si les élèves mobilisent des outils de CNV auxquels ils ont été formés durant la séquence d’enseignement. Celle-ci est bâtie autour de 5 séances, comprenant 2 séances de formation à la CNV, une séance de débat organisée à la suite de la projection du documentaire «Une vérité qui dérange» de Guggenheim avec Al Gore, la simulation de conférence de citoyens et enfin une séance d’analyse des interactions par les élèves, centrée sur la CNV. Les élèves sont répartis comme suit lors de la simulation de conférence de citoyens : 4 élèves jouent le rôle des experts, 7 élèves constituent le panel de citoyens, 2 élèves sont placés en modérateurs du débat et les 2 derniers sont les rapporteurs du débat. Ils disposent de documents en rapport avec leurs rôles pour préparer la conférence. A la suite de cela, les élèves sont invités à rédiger un compte rendu en rapport avec leur rôle lors du débat et les élèves en rôle de citoyens ont présenté à toute la classe les recommandations en matière de choix énergétiques en lien avec la problématique de réchauffement climatique.

La chercheure a analysé les échanges entre les élèves à l’aide des outils CNV (Rosemberg, 1999) et de ceux proposés par Bader (2001) pour analyser les processus rhétoriques utilisés par les élèves. Pour ce qui est de l’approche CNV, la chercheure rapporte que les élèves-modérateurs de débat se sont référés à la CNV dans leurs interventions orales rappelant de ne pas couper la parole, précisant aux experts de prendre en compte la totalité des citoyens sans jugement. Ils ont confirmé dans leur compte-rendu que les élèves-experts ne respectaient pas toujours les élèves-citoyens mais qu’il y avait eu aussi quelques tentatives de la part des élèves-citoyens de ridiculiser les élèves-experts. Cependant, d’une manière générale, la chercheure signale que la communication des élèves est polie envers les experts et montrent une forme de soumission, alors que le discours de citoyens qui interviennent peu est déprécié. Elle rapporte que les élèves mobilisent essentiellement la composante CNV qui porte sur l’identification des jugements qu’elle considère comme importante dans une CNV et qui peut permettre une expertise des discours sur les controverses : faire la différence entre l’observation et le jugement permettrait de considérer d’autres points de vue que le sien et de complexifier ses propres perceptions de la question.

La recherche de Gombert (2008) tend à montrer que cette approche de CNV engage les élèves à se concentrer sur la QSS et moins sur des stratégies argumentatives. Sur ce point, la recherche de Colucci-Gray (2007) corrobore celle de Gombert (2008) : Colucci-Gray (2007) a établi que le groupe qui n’avait pas développé un discours d’empathie n’a pas réussi à s’engager dans un discours basé sur l’écoute et de considération des autres points de vue, à l’inverse de deux autres groupes qui ont pu se concentrer sur les aspects de la QSS et de sa résolution. Même si les discussions ont eu lieu après le jeu de rôle, les élèves de ce groupe n’ont pas, en quelque sorte, digéré leur défaite, ce qui a eu un effet néfaste sur celles-ci.

Simonneaux et Albe (2007) cités par Albe (2007) ont souligné que lors du jeu de rôle mis en place pour leurs recherches, des stratégies argumentatives visant à emporter la partie avaient été mobilisées. Dans la recherche de Colucci-Gray (2007), le phénomène perdure au delà du jeu de rôle et empêche le développement d’un discours exploratoire (Mercer, 1996). Dans ce groupe, la prise de pouvoir dans l’argumentation par des meneurs a aussi été signalée et rejoint certains résultats établis par Grace (2009) dans son étude de l’argumentation sur une QSS : il a établi que dans les groupes qui ont montré un niveau d’argumentation élevé, il n’y avait pas de leader identifiable. Nous pouvons alors supposer que la présence de meneurs n’a également pas favorisé l’engagement des élèves sur la voie d’une communication empathique. Ce type de communication observé dans deux des quatre groupes participant à la recherche de Colucci-Gray (2007) est attribuée par la chercheure à des recherches de compréhension partagée des situations et à des échanges mutuels. Cette proposition d’explication rejoint celle de Evagorou et al (2013) qui ont établi que, lorsque les élèves développent une argumentation dans un discours d’exploration, cela améliore la compréhension partagée des informations. Bien que la recherche de consensus non-violent apparaît comme une activité difficile par les élèves, les résultats de la recherche de Colucci-Gray (2007) laisse des possibilités d’approches positives dans la résolution des conflits inhérents aux QSSs et de compréhension de leur complexité. Si l’on se réfère aux résultats de ces deux recherches, nous avançons en premier lieu que le recours à l’approche par la communication non-violente et/ ou à la communication empathique peut permettre un rééquilibrage des pouvoirs des différentes parties qui semble être à l’origine des conflits lors d’activité de débat en classe, en provoquant une modification des attitudes et des comportements avec un objectif de favoriser des discours productifs. En deuxième lieu, nous pensons que cette approche peut également permettre aux élèves de comprendre les situations de débat public entre des experts et des profanes où des jugements négatifs sont souvent portés sur les interventions des profanes, ce qui renforce celles des experts. Cet outil de CNV qu’utilise Gombert (2007) semble rendre visibles les jugements dévalorisants et la survalorisation des savoirs experts. Il pourrait être considéré alors comme un moyen de différencier ce qui est de l’ordre des savoirs et du pouvoir, problématique présente dans les conférences citoyennes qui se veulent démocratiques.

3.5. Un citoyen qui possède des valeurs morales, la construction d’un

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