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CHAPITRE 6 – EXTRAPOLATIONS ET SYNTHESE

5. SYNTHÈSE DE LA DISCUSSION

5.1. Retour sur la question de recherche Nos questions de recherche s’énonçaient ainsi :

Quelles sont les expériences et perceptions des délégués PSPS qui sont significatives pour leur engagement sur la durée et comment modulent-elles les formes de ce dernier ?

Nous avons vu que les expériences et perceptions significatives des délégués PSPS se constituaient autour de notre constellation conceptuelle initiale, approfondissant la gradation et la fluctuation entre engagement organismique et désengagement, les deux faces et la puissance de la reconnaissance professionnelle, les liens entre cette dernière et l’êthos professionnel ainsi que la professionnalité émergente.

Cette recherche portant sur l’engagement sur la durée nous a confrontée à des questions relatives à l’invisibilité du travail, à la difficulté à mobiliser les collègues pour une mission visant à prévenir des problèmes encore inexistants ou difficilement perceptibles, à des conflits de valeurs voire à de la souffrance éthique, au fait d’être souvent seul à exercer cette fonction, à la difficile reconnaissance organisationnelle de cette fonction « accessoire ». Cette recherche nous a également fait découvrir la puissance de la reconnaissance et de l’êthos professionnel partagé que nous avons réunis en termes d’altérité précieuse et qui permettent le développement toujours renouvelé de la professionnalité émergente.

L’issue de cette rechercher s’ouvre vers une perspective organisationnelle qui relie engagement, reconnaissance, professionnalité émergente, êthos professionnel, éthique appliquée, et santé au travail.

5.2. Entre engagement et désengagement

Synthétisons ici les dimensions mises en évidence par l’analyse.

5.2.1. Désengagement

Deux témoignages racontent un engagement dans la fonction de délégué PSPS, puis, au bout de 10 et 17 ans, leur désengagement. Les deux autres récits ne font pas mention de désengagement, mais nous avons appris que l’une des déléguées avait décidé de démissionner de cette fonction, sans que nous n’ayons d’autres informations à ce sujet.

Les motifs de désengagement sont très différents. D’une part, Sabine a subi une épreuve de professionnalité par un déni de reconnaissance « publique ». D’autre part, Jeremi décrit une surcharge de travail par le cumul des fonctions d’enseignant, de doyen et de délégué PSPS, l’obligeant à choisir de se défaire de la fonction de délégué PSPS parce qu’il ne peut plus l’assumer correctement. Il mentionne aussi le départ d’un directeur très impliqué, la dissolution de l’équipe PSPS, la perte de sens de travailler à la santé communautaire. Les motifs de désengagement sont d’ordre relationnels et sociaux, du manque de temps et d’énergie, de la perte de sens de travailler à la santé communautaire dans ces conditions, ainsi que de protection de soi (identitaire) et de sa santé.

Le désengagement passe également par une dévalorisation du pouvoir d’agir chez Jeremi, ce qui montre, dans son cas, que les compétences administratives et méthodologiques ou d’ordre processuel sont facilement dévalorisées, même par ceux dont elles doivent être les premières armes. Jeremi relate également des motifs de l’ordre de ne plus se sentir suffisamment investi pour se sentir légitime à poursuivre cette fonction.

Au sein des dimensions aussi bien convergentes que divergentes entre délégués PSPS, résumons schématiquement les éléments principaux liés à la baisse de l’engagement ou au désengagement.

Figure 13 : Éléments liés à la baisse d'engagement ou du désengagement selon les informateurs

Ces différentes dimensions de la baisse de l’engagement ou du désengagement mènent vers une perte de sens du travail et au travail.

Tous ces éléments nous poussent à proposer une typologie de la baisse d’engagement ou du désengagement. Elle se dessine, dans une progression, à deux niveaux différents au travers de dimensions directes et d’autres qui leur sont consécutives. Les premières sont d’ordre social et affectif, à l’instar du motif d’engagement socio-affectif de Carré et Fenouillet (2011), relatives à la congruence des valeurs professionnelles (« êthologique ») et éthiques, au déni de reconnaissance tel que nous l’avons défini, à la solitude dans la fonction, au sentiment de perte

Baisse de

de légitimité ou de crédibilité à mobiliser les collègues, à la surcharge de travail, et, enfin, de l’ordre d’un cumul sur la durée de plusieurs événements ou éléments plus durables.

Les dimensions suivantes viennent comme en deuxième rang, en conséquence de l’expérience de plusieurs dimensions directes. Parfois, c’est l’une de ces dernières, vécue de façon très intense, qui en constitue le déclencheur. Ces dimensions consécutives sont la nécessité de se protéger en tant que professionnel, voire en tant que personne, et dans sa santé, la

« désagentivité » au sens de la sortie de la position d’acteur, émanant d’une forme d’impuissance en lien avec une situation, et finalement, la perte de sens comme fin de parcours vers le désengagement.

Motifs de baisse de l’engagement ou de désengagement

Dimensions directes Dimensions consécutives

Socio-affective

De protection identitaire et sanitaire « Désagentivité » Perte de sens

« Êthologique » et éthique De déni de reconnaissance De solitude dans la fonction

De sentiment de perte de légitimité ou de crédibilité De surcharge

Cumulative

Figure 14 : Motifs de baisse de l'engagement ou de désengagement

5.2.2. Engagement

Comme nous l’avons vu, l’engagement professionnel se situe au croisement de dimensions individuelles et contextuelles. L’analyse des données produites met en évidence de manière prépondérante l’altérité précieuse ainsi que l’êthos professionnel partagé en situation de travail, comme principaux éléments constitutifs de l’engagement sur la durée.

À la suite de Jorro (2011), qui traite de la reconnaissance de soi par soi et de soi par autrui ainsi que de l’êthos professionnel, notre analyse nous permet de décliner ces principaux éléments constitutifs de l’engagement sur la durée.

Nous pouvons notamment croiser la reconnaissance avec différentes formes numéraires d’altérité et voir évoluer les valeurs selon qu’elles sont seulement celles de l’acteur, partagées avec une ou plusieurs autres personnes, jusqu’au grand collectif.

Reconnaissance Valeurs

Altérité De soi par soi Renforcement de l’êthos professionnel

À deux Altérité précieuse

En équipe Êthos professionnel partagé En collectif plus grand Culture d’établissement

Figure 15 : Croisement entre altérité, reconnaissance et êthos professionnels comme principaux éléments constitutifs de l'engagement sur la durée

L’analyse croisée de nos données nous permet notamment de distinguer les éléments qui favorisent, soutiennent le développement et le renforcement de l’engagement sur la durée. Nous voyons ici le cycle des interactions de reconnaissance incessantes et successives entre soi et soi, ainsi qu’entre soi et autrui et comment elles renforcent l’êthos professionnel en situation de travail.

Figure 16 : Cycle des interactions entre altérité, reconnaissance et êthos professionnel

Si nous tentons de donner, à l’issue de cette recherche, une définition de l’engagement sur la durée, nous nous basons sur la définition de De Ketele (2014) :

l’ensemble dynamique des comportements qui, dans un contexte donné, manifestent l’attachement à la profession, les efforts consentis pour elle ainsi que le sentiment du devoir vis-à-vis d’elle et qui donnent sens à la vie professionnelle au point de marquer l’identité professionnelle et personnelle (De Ketele, 2014, p. 102).

L’engagement sur la durée est sous-tendu par la perception de la reconnaissance professionnelle et de l’altérité précieuse, ainsi que de celle de l’êthos professionnel et de la professionnalité émergente. Il varie entre engagement et désengagement en fonction de différentes dimensions : socio-affective, épistémique, hédonique, dérivative, opératoire professionnelle et personnelle, identitaires (de reconnaissance et de réalisation de soi), réflexive et contributive pour l’engagement, et socio-affective, « éthologique », éthique, de déni de reconnaissance, de solitude dans la fonction, de sentiment de perte de légitimité ou de crédibilité, de surcharge et cumulative, ouvrant sur des dimensions de protection identitaire et sanitaire, de

« désagentivité », ainsi que de perte de sens pour le désengagement.

5.2. Bilan personnel

Je reviens ici au « je » afin de porter un regard sur mon parcours en tant que chercheuse au fil de ce travail.

J’ai réalisé, progressivement, en cours de recherche, quels étaient mes intérêts profonds à choisir cette population d’informateurs ainsi que le concept d’engagement sur la durée. Et c’est également peu à peu qu’a émergé cette notion de fonction « accessoire ». Cette recherche raconte en partie mon parcours professionnel, où j’ai été consciente très tôt de certaines implications de mon propre engagement sur la durée et ai été confrontée au fil du temps à des épreuves de professionnalité, à des dénis de reconnaissance, aussi bien qu’enchantée par des

Reconnaissance de soi par soi

Renforcement de l'êthos professionnel

Reconnaissance de soi par autrui et réciproque

Altérité précieuse

Reconnaissance de soi par autrui et autrui et

réciproques Êthos professionnel partagé Reconnaissance de soi par

une multitude d'autrui / grand collectif et réciproques

Culture d'établissement

Engagement

altérités précieuses. J’y ai également assumé des fonctions « accessoires » à plusieurs reprises pour différentes durées. Je prends aujourd’hui davantage la mesure de ce qui se jouait.

À un tout autre niveau, je réalise qu’une des raisons pour lesquelles je percevais des différences entre le premier entretien et les suivants, en dehors du fait que ce fut un entretien exploratoire et moins poussé sur certains points – la caractérisation de la fonction notamment –, est le fait que je n’ai jamais, dans le cadre de mon emploi précédent, collaboré avec des enseignants du cycle primaire. J’avais donc une moins bonne connaissance de la pratique en PSPS dans ces petits degrés et une meilleure représentation des cycles secondaires 1 et 2 dans lesquels travaillent les autres informateurs. J’avais d’ailleurs pu percevoir chez les équipes PSPS cette profondeur de réflexion et cet êthos professionnel, cet engagement pour les personnes et pour une cause.