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Nous synthétisons ici la constellation conceptuelle développée au chapitre précédent pour l’articuler et en extraire les éléments fondamentaux pour notre problématique.

Notre questionnement initial ambitionnait de mettre en évidence les facteurs qui pouvaient favoriser ou entraver l’engagement sur la durée des délégués PSPS dans leur fonction.

Le schéma ci-dessous illustre l’articulation entre engagement professionnel, reconnaissance professionnelle, professionnalité émergente et êthos professionnel. Ce schéma aide à la compréhension de notre constellation conceptuelle, mais donne en revanche une illustration qui restreint la complexité de ces dimensions et de leur articulation. Les flèches ne représentent pas des liens de causalité, mais plutôt une évolution temporelle ainsi que des influences possibles, selon la signification que les acteurs accordent à telle ou telle dimension.

Nous y retrouvons les différentes dimensions des dynamiques d’engagement professionnel ainsi que la reconnaissance professionnelle, qui relie la professionnalité émergente et l’êthos professionnel, et soutient ces dynamiques d’engagement. Ce système permet l’adoption de différentes postures d’engagement variant temporellement selon une forme de gradation entre engagement organismique et désengagement.

Tout ce système s’inscrit dans des enjeux individuels et sociaux, contextuels et situationnels ainsi que dans une temporalité.

RECONNAISSANCE

Figure 3 : Articulation entre engagement professionnel, reconnaissance professionnelle, professionnalité émergente et êthos professionnel Aller

SITUATIONNELS TEMPORALITE DE

L’ENGAGEMENT ET DU

1. Questions de recherche

Notre question de départ est d’orientation explicative. Nous en retenons certaines dimensions, sans vouloir pour autant vérifier la présence de causes, mais dans le but de comprendre les formes et la modulation de l’engagement sur la durée. Notre approche qualitative est basée sur un nombre trop petit d’entretiens pour démontrer quoi que ce soit, ce qui me permettra de relever des tendances.

Nous savons d’une part que De Ketele (2014, p. 102) considère l’engagement professionnel comme “l’ensemble dynamique des comportements qui, dans un contexte donné, manifestent l’attachement à la profession, les efforts consentis pour elle ainsi que le sentiment du devoir vis-à-vis d’elle et qui donnent sens à la vie professionnelle au point de marquer l’identité professionnelle et personnelle” (De Ketele, 2014, p. 102). La dynamique de ces comportements inclut le modèle de l’Expectancy-Value (Bourgeois 2014), ainsi que les motifs d’engagement définis par Carré et Fenouillet (2011). D’autre part, Kaddouri (2011) nous a montré que se dessine une gradation de postures entre l’engagement valeur organismique et le désengagement, et Bourgeois et Merhan (2017) que l’on considère également l’engagement dans l’activité et le collectif de travail. Nous y ajouterons l’interdépendance entre engagement professionnel et engagement personnel.

Nous pouvons dès lors nous demander quels sont les éléments significatifs pour les acteurs, qui leur permettent de s’engager durablement dans une fonction « accessoire », en tenant compte aussi bien de leurs dispositions personnelles, de leur histoire de vie, ainsi que de leur environnement de travail, ou situationnel.

Nous avons vu que la reconnaissance professionnelle se construit de soi envers soi, d’autrui envers soi, autrui faisant ou non partie de la même communauté de pratique, ainsi que dans l’interaction entre les trois. Brun (2013) nous a fait découvrir la complémentarité entre reconnaissance de la personne, des résultats du travail, de l’engagement et des compétences ; la reconnaissance dans toute sa plénitude comprenant l’identification, l’acceptation et la gratitude ; la reconnaissance impliquant la responsabilité ; et essentielle au maintien de sens au travail, de développement professionnel, de la santé et du bien-être.

Les auteurs nous ont montré que la reconnaissance professionnelle est reconnaissance de la professionnalité émergente reliée à l’êthos professionnel (genre, style et êthos professionnel) (De Ketele, 2011 et Jorro, 2011), ainsi que reconnaissance de l’engagement (Jorro & Houot, 2014 et Brun, 2013) en lien avec la motivation (Dejours, 1998). Nous savons en outre que la reconnaissance est reconnaissance sociale (De Ketele, 2011, Jorro, 2011, Jorro & Houot, 2014) et qu’elle est jugement ou évaluation (Jorro, 2011, Jorro & Houot, 2014 et Brun, 2013).

Nous connaissons le lien entre la reconnaissance et la façon dont le professionnel donne du sens à son action et s’y reconnaît ; de même que le lien entre reconnaissance et construction identitaire ainsi que la reconnaissance de la personne (De Ketele, Jorro et Brun, 2013). Nous tenons enfin compte du déni de reconnaissance et du caractère invisible du travail (De Ketele, 2011, Jorro, 2011 et Jorro & Houot, 2014).

Nous pouvons ainsi situer pleinement la reconnaissance professionnelle dans l’altérité, et en saisir toute la puissance, mais aussi l’exigence pour autrui et soi à la constituer. Nous pouvons également en appréhender la complexité et la polyvalence ainsi que le caractère essentiel pour l’engagement sur la durée.

En conséquence, nous pouvons nous interroger concernant ce que les acteurs peuvent trouver de significatif dans ces dimensions de la reconnaissance professionnelle en rapport avec l’engagement sur la durée dans une fonction « accessoire ». Y a-t-il à leurs yeux des dimensions

indispensables ? Certaines deviennent-elles prépondérantes selon que le contexte de travail est perçu comme plus ou moins soutenant ?

Jorro (2014) et De Ketele (2011) nous ont montré que la professionnalité émergente est le processus de transformation ou de renouvellement dans la construction d’un soi professionnel.

Nous savons de plus que la professionnalité émergente est reconnaissance du développement professionnel basé sur les savoirs théoriques et d’action et la réflexion éthique et mobilisant des dimensions identitaires, opératoires, éthiques et relationnelles.

Nous avons vu avec Jorro (2014) que l’êthos professionnel représente l’ensemble de valeurs intériorisées par l’acteur, ainsi que du désir de métier qui s’exprime dans les significations que l’acteur attribue aux situations professionnelles, et qui se concrétisent dans l’activité professionnelle (Jorro, 2014, p. 110). Nous savons que cet ensemble prend en compte la réflexivité et le positionnement du professionnel concernant sa pratique, ainsi que la construction de l’identité axiologique du professionnel. L’êthos professionnel relie le rapport à l’équipe de travail, le caractère invisible du travail, le développement professionnel et personnel, la reconnaissance, l’identité et l’engagement professionnels. Il figure un cadre de référence du comportement.

Nous voyons que l’êthos professionnel et la professionnalité émergente proviennent de et relient plusieurs autres concepts et notions : construction d’une identité professionnelle, développement professionnel, et qu’ils ne semblent pas pouvoir exister hors de l’engagement professionnel et de la reconnaissance.

Nous pouvons alors en déduire que ces dimensions peuvent apparaître au fil du discours des informateurs, reliées aux aspects d’engagement et de reconnaissance professionnels.

D’un point de vu méthodologique, nous réalisons donc que nous ne pouvons avoir accès à toutes ces dimensions, dans la limite temporelle des conditions de ce travail de maîtrise, que par le discours des informateurs. Tenant compte de la complexité et de l’imbrication des concepts, nos questions ont été ouvertes et larges, permettant aux informateurs d’y projeter leurs propres parcours professionnels et questionnements. Tenant compte du caractère presque intime de ces dimensions, nous avons été très attentive à la présentation de la recherche ainsi qu’à l’accueil et la mise en route des entretiens.

Si l’on considère que l’exercice d’une profession au sein d’une communauté de pratique, par la reconnaissance du genre, du style et de l’êthos professionnel, permet la construction, le renforcement et l’évolution de la professionnalité émergente, le sentiment d’appartenance qui en résulte renforce l’engagement sur la durée. La reconnaissance de soi par autrui permet en effet la reconnaissance de soi par soi. Avec l’êthos professionnel partagé, cette dernière renforce la professionnalité émergente. Ensemble, ils soutiennent l’engagement professionnel.

De Ketele (2011, p. 174) cite Jorro (2011) pour préciser que “cette posture de reconnaissance envers la professionnalité émergente chez autrui devrait être l’essence même de l’êthos professionnel”. Car ce dernier se consolide au travers des transactions de reconnaissance.

La reconnaissance professionnelle, qui relie professionnalité émergente et êthos professionnel, soutient donc les dynamiques d’engagement. Ce système permet l’adoption de différentes postures d’engagement variant avec la temporalité et le contexte, selon une forme de gradation entre engagement organismique et désengagement (Kaddouri, 2011, p. 73 et 79).

Ce système s’inscrit dans des enjeux individuels et sociaux, contextuels et situationnels, au fil d’une temporalité.

La confrontation aux pensées des auteurs et à l’écriture nous autorise à opérer un renversement compréhensif de notre question de départ pour formuler ainsi nos questions de recherche :

Quelles sont les expériences et perceptions des délégués PSPS qui sont significatives pour leur engagement sur la durée ?

Et comment modulent-elles les formes de ce dernier, entre engagement et désengagement ?

Nous cherchons en effet à comprendre comment ils régulent leur engagement sur la durée, quelles sont les dimensions perçues comme soutenantes et comme des entraves, qui influencent leurs questionnements et leurs choix de poursuivre ou de cesser leur engagement, comment ils négocient avec ces dernières. Cette fonction « accessoire », dont la pratique s’avère difficile à définir, qui nécessite un engagement pour le collectif et à mobiliser ce dernier, souvent caractérisée par une solitude intrinsèque, me semble toute indiquée pour faire émerger les dimensions significatives constituant l’engagement sur la durée.

Par expériences, nous entendons le “fait d’acquérir, volontairement ou non, ou de développer la connaissance des êtres et des choses par leur pratique et par une confrontation plus ou moins longue de soi avec le monde” (CNRTL, 2012).

Perception signifie à la fois l’“acte de prendre connaissance par l’intuition, par l’intelligence ou l’entendement [et] l’opération psychologique complexe par laquelle l’esprit, en organisant les données sensorielles, se forme une représentation des objets extérieurs et prend connaissance du réel” (CNRTL, 2012).

Par signification, le dictionnaire CNRTL comprend “ce que signifie, manifeste ou indique une chose, un fait matériel” (CNRTL, 2012). Nous adaptons cette définition par le fait que c’est l’acteur qui attribue une signification à une chose ou un fait matériel dont il a connaissance.

D’ailleurs, selon Schurmans (2014, p. 6), “observer un comportement, c’est construire une signification à son propos” (Schurmans, 2006, p. 50). Weber précise que “l’attribution de cette signification transforme le comportement en action” (Schurmans, 2014, p. 6).

2. « Hypothèses » de départ

Il nous apparaît nécessaire, à ce stade, de poser clairement nos « hypothèses » de départ, au sens de nos propres conceptions de ces notions et concepts, afin d’expliciter de quel point de vue nous démarrons cette recherche. Nous tenons à cette définition du terme « hypothèse » en tant que conceptions initiales, car notre démarche ne se veut pas explicative, mais compréhensive. Nous nous situons dans une approche interactionniste historico-sociale. Ce sont les théories de l’action qui guideront notre analyse.

Clément (2010, p. 3) définit les conceptions individuelles comme étant des “cohérences dégagées par le chercheur à partir des réponses d’une personne placée dans plusieurs situations relatives à un thème donné” (Clément, 2010, p. 3). Nous déplacerons cette définition, pour notre situation, vers la façon dont nous nous sommes, en tant que chercheuse, constitué, sur la durée, une ‘image’ d’une pratique. Nous avons choisi ce terme de conception, car l’auteur précise qu’elles se trouvent au centre d’interactions entre les trois pôles de connaissances scientifiques, de valeurs et de pratiques sociales. Ceci correspond à la façon dont nous nous sommes constitué ces conceptions, au fil de notre parcours de vie et de notre expérience professionnelle précédente, de lectures scientifiques, d’échanges et avec des collègues et d’autres professionnels.

À ce stade, nous formulerons trois « hypothèses de départ » en réponse à notre question de

recherche.

Hypothèse 1 : Dans une conception d’agentivité, nous pensons que les acteurs peuvent donner le primat à leur positionnement individuel par rapport aux influences contextuelles, qui pourraient être perçues comme des entraves, pour poursuivre leur engagement sur la durée.

Hypothèse 2 : Par-delà la perception des influences contextuelles des acteurs, nous pensons que la dimension primordiale permettant à l’engagement de durer est une relation privilégiée avec une personne ou une équipe avec qui l’acteur partage une communauté de valeurs, buts et vision.

Hypothèse 3 : La jeunesse de la fonction de délégué PSPS ainsi que son caractère

« accessoire », son appartenance aux métiers adressés à autrui selon l’expression de Jorro (2014, p. 242), sa transdisciplinarité entre les métiers de la santé, de la conduite de projet et de la consultance, sa présence restreinte – sous cette forme – au canton de Vaud, exigent encore davantage une réflexion continue de la part des délégués PSPS qui souhaitent durer dans leur fonction.

3. Méthodologie

Pour répondre à nos questions de recherche, nous avons développé une méthodologie qualitative de type compréhensif. Nous nous sommes appuyée sur les discours, issus d’entretiens compréhensifs de type biographique, de quatre informateurs sélectionnés pour leur persévérance dans la fonction. L’analyse du corpus de données est présentée sous forme de portraits et de résultats par informateur, puis sous forme de croisement de leurs données.