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CHAPITRE 4 – ENTRE ÊTHOS PROFESSIONNEL PARTAGE ET INVISIBILITE DE LA

3. SABINE

Sabine a une licence en lettres et un brevet d’aptitude à l’enseignement secondaire. Elle enseigne depuis 1998 dans le même établissement, en 7 et 8P, puis en 9, 10 et 11 P. Elle fait sa formation d’animatrice de santé en 2000-2001, puis décide de faire un complément de formation pour obtenir le CAS en PSPS. Elle exerce donc sa fonction d’animatrice santé puis de déléguée PSPS depuis 16 ou 17 ans.

Sabine montre une volonté de toujours améliorer les choses, de donner du sens à apprendre pour que l’apprentissage des élèves reste une activité intéressante, motivante. Elle insiste sur l’importance du côté relationnel, l’importance de la personne, de permettre aux élèves de

15 Voie générale

16 Pseudonyme

montrer leurs ressources. Elle est engagée pour le vivre ensemble, au-delà du seul apprentissage, et pour lui donner davantage de sens.

Sa définition de la PSPS serait

« une équipe qui développerait une vision commune de l’école [avec ses] valeurs […]

pour qu’on se sente bien à l’école […] et qui réussit à motiver les enseignants, à créer […] une autre culture de ce que c’est vivre ensemble, apprendre [… ;] entrer dans cette attention à l’autre, dans cette attention à l’acte d’apprendre » (Entretien, 21, 897-902).

Sabine s’intéresse aux questions liées à la santé et à l’adolescence. Elle manifeste le besoin de s’extraire de l’enseignement, de prendre du recul et d’avoir un autre regard sur l’école, ainsi que de travailler en équipe avec des adultes. Elle relève l’importance de la bonne collaboration qu’elle a développée avec sa collègue infirmière scolaire.

Lors d’une activité menée avec les élèves, Sabine connaît un déni reconnaissance. Elle se trouve confrontée à une décision de cessation de cette activité à la suite de l’inquiétude d’un parent, sans pouvoir être entendue. Cet événement ajouté à d’autres éléments amènent Sabine à décider de se désengager de cette fonction il y a deux ans, en prenant une année sabbatique. Elle s’est beaucoup questionnée sur la bonne façon de persévérer dans une fonction dont il est difficile de définir le travail réel, tout en doutant régulièrement du sens à donner à son activité.

Sabine avait entre deux et trois périodes de décharge pour la fonction de déléguée PSPS lorsqu’elle était la seule à l’exercer. Aujourd’hui, elle a accepté de se réengager, avec une période de décharge, pour soutenir la nouvelle déléguée PSPS entrée en fonction dernièrement.

Mais elle doit faire le point sur son engagement.

La forme de son engagement varie au fil de son parcours. Sabine a montré un solide engagement durant des années reposant sur sa conviction et ses valeurs professionnelles et sur la relation significative avec l’infirmière scolaire. Puis son engagement subit un effondrement progressif certainement déclenché par cet événement de déni de reconnaissance. Après une année de désengagement, elle se réengage tout en questionnant sa décision.

3.2. Analyse des dimensions de l’engagement sur la durée

Figure 9 : Analyse thématique de l’entretien avec Sabine

« Une équipe qui développerait une vision commune de l’école, avec ses valeurs, pour qu’on se sente bien à l’école, et qui réussit à motiver les enseignants, à créer une autre culture de ce que c’est vivre ensemble, apprendre ; entrer dans cette attention à l’autre, dans cette attention à l’acte d’apprendre. » Sabine

3.2.1. Viser le bien-être et la sécurité des élèves dans une fonction perçue comme floue Sabine évoque la formation en animation de santé comme une formation continue courte articulant animation d’équipe et de groupes sur des thématiques prédéfinies. Bien qu’elle ait décidé de se mettre à niveau pour obtenir le CAS en PSPS, le manque d’encadrement sur le terrain et l’absence de cahier des charges ont contribué au flou de la définition de la fonction et de sa mise en application.

« Pour moi, même pendant les premières années où je faisais, je me disais :

“Comment… ? Qu’est-ce que je dois faire exactement ?”. Ça restait très flou aussi dans ma tête de savoir comment… ce que je devais… si je faisais juste ou pas… si… et d’ailleurs, pendant très longtemps, il n’y avait pas de cahier des charges, en fait, pour cette… pour cette fonction-là » (Entretien, 4, 113-117).

Les activités annuelles concrètes lui permettent de contrebalancer quelque peu ce sentiment d’insécurité. Sabine perçoit sa mission comme le fait de donner du sens au vivre ensemble des enseignants et élèves, et celle-ci nécessite beaucoup d’énergie et se révèle exigeante.

Sabine a trouvé une manière de caractériser sa fonction autour de notions telles qu’apprendre dans les meilleures conditions possibles, la temporalité de cet apprentissage sur la durée de la vie entière et l’apprentissage du vivre ensemble.

« Donner du sens à vivre, à être, à se retrouver ensemble dans cet endroit, dans cet établissement, les enseignants, les élèves, mais pourquoi on est là, si c’est juste pour apprendre… voilà. […] « C’est essayer… tout ce qui permet d’apprendre, qui permet de rendre le cadre sécure. Voilà. Le but c’est d’apprendre, mais dans de bonnes conditions » (Entretien, 4, 126-134).

Elle en relève le paradoxe suivant : cette fonction, qui vise notamment la sécurité du cadre pour les élèves, semble reposer sur une forme d’insécurité des conditions d’exercice de celle-ci. Cette perception pose la question de la charge mentale et de la métabolisation de cette insécurité qui reposerait exclusivement sur l’initiative de la déléguée PSPS afin qu’elle puisse accomplir sa mission.

Comme Solène précédemment, Sabine relève le paradoxe situationnel : les élèves font partie des publics auxquels s’adresse la PSPS, alors que ce n’est pas le cas des enseignants. Comment exiger des enseignants de soutenir les élèves sur des questions sanitaires en l’absence de ce soutien pour eux-mêmes ? Sabine relève finalement les contraintes paradoxales entre les exigences méthodologiques de la conduite de projet prônées par le travail prescrit et sa réalité de terrain aux moyens et temps limités pour mener des projets à bien.

3.2.2. Soutien relationnel et déni de reconnaissance

Pour devenir déléguée PSPS, Sabine a dû motiver son intérêt pour la fonction, nous pouvons y voir une forme de reconnaissance de cette fonction par la direction. Par la suite, elle relève de la part de cette dernière des formes de reconnaissance instrumentale, mais peu ou pas d’attentes.

« Il y avait de la reconnaissance, mais quand il fallait mettre les mains dans le cambouis, c’était pas très soutenant, voilà. Mais par contre quand les choses se passaient bien : « Ah, oui, super, bravo ! ». Ce qui m’a permis d’aller de l’avant, c’est de sentir beaucoup de… soutien, c’est pas le mot, mais de la bienveillance de la part de mes collègues » (Entretien, 7, 238-242).

La bienveillance de ses collègues constitue une motivation importante pour son travail, de même que sa collaboration avec l’infirmière scolaire avec qui elle avait « aussi ce lien, voilà…

de vouloir… une chouette dynamique » (Entretien, 13, 558-559) (tous motifs socio-affectifs selon Carré et Fenouillet, 2011, p. 282). On le remarque à sa réponse à la question :

« Ça a été quelque chose de… nourrissant, enfin de moteur aussi ? » - « oui, oui, oui, tout à fait. Parce que… bon c’était une infirmière à l’ancienne, aussi. Donc, on se voyait quand même régulièrement pour mettre en place des petites choses, des interventions dans les classes. […] On a été beaucoup seules. C’était pas un fonctionnement d’équipe.

On a été beaucoup… seules toutes les deux. Sous l’ancien directeur » (Entretien, 14-15, 595-609).

Tout comme Solène, elle poursuit sur la difficulté à soutenir le collectif dans la construction d’un sens commun autour d’une action ou d’un fonctionnement d’établissement.

« Ah et puis, il y a aussi l’histoire des [activités avec les élèves]17 ! c’est ça qui m’a aussi cassée, en fait » (Entretien, 9, 359-360). « La maman, elle est montée au créneau. Elle a même pas voulu nous voir, elle est directement allée au département. […] ça a fait tout un ramdam. Les [activités] ont été stoppés. […] Partout. » (Entretien, 10, 385-396).

L’épreuve de l’arrêt d’une activité destinée aux élèves, déclenché par l’inquiétude d’un parent, a pu être vécue par Sabine comme un déni de ses compétences, de son expérience. L’absence de prise en compte de sa position a également pu être perçue par Sabine comme un déni de son existence en tant que professionnelle de l’enseignement et de la PSPS. A la fin du récit de cette épreuve, Sabine parle en ces termes :

« Donc ça a vraiment, oui, ça ça m’a vraiment descendue. J’ai eu de la peine à me remettre. […] Je me sens pas bien, je me sens pas coupable, mais voilà, comment ça se passe ? Il y a pas de soutien. Y a rien. […] Et du coup, dans le cas précis, ça m’a quand même pas mal secouée, disons, je me suis dit : “ ben, oui. Non. Ça… ”. Alors je pense que ça, ça a contribué à ce que l’usure après s’est fait sentir plus fortement » (Entretien, 12, 487- 506).

Sabine fait ici clairement le lien entre le déni public qu’elle a subi et sa démotivation à poursuivre son engagement. Tout en pouvant compter sur le soutien de son directeur et du responsable cantonal, elle a fait l’expérience du caractère exposé de sa fonction. Nous faisons l’hypothèse que cet événement a constitué le déclencheur de son désengagement. Un des

17 Généralisé afin de préserver l’anonymat

déclencheurs de son engagement avait été le besoin de réflexivité sur sa pratique enseignante.

Après cette épreuve de professionnalité, elle se désengage de tout.

Sabine mentionne encore les changements de décision du directeur entre les séances PSPS et les conseils de direction, ce qui se révèle déstabilisant pour elle. A une fonction de doyen de santé, elle privilégie la qualité de la relation avec ses collègues qu’elle craindrait de perdre en devenant doyenne. Ayant baissé son temps de travail et renoncé à la maîtrise de classe, Sabine se sent moins légitimée à mobiliser ses collègues pour des projets. « Comment faire ma place dans ce rôle-là » (Entretien, 21, 889-891). Solène parlait également en ces termes.

3.2.3. Recherche de sens et ambivalence

Sa propre motivation et ses motifs d’engagement

Concernant les éléments qui ont soutenu sa motivation, Sabine cite des motifs d’engagement tels que son intérêt pour les questions liées à la santé et à l’adolescence, le besoin de s’extraire de l’enseignement et d’avoir un autre regard sur l’école, ainsi que de travailler en équipe avec des adultes, la bonne collaboration qu’elle a développée avec sa collègue infirmière scolaire (en l’absence durant longtemps de la fonction de médiateur).

« Les questions liées à la santé [et…] à l’adolescence », le besoin « d’avoir un autre regard sur l’école, […] de ne pas être seulement dans l’enseignement, mais dans quelque chose d’autre à côté. [….] Quelque chose qui m’attirait et qui m’a apporté pas mal de satisfaction, c’est le fait d’être avec des adultes, […] de pouvoir échanger et d’en faire quelque chose avec des adultes, et pas constamment avec des ados, des jeunes. Donc ça… oui, de se poser des questions entre adultes » » (Entretien, 3, 86-93).

Ses motifs d’engagement sont d’ordre à la fois épistémique, dérivatif, et socio-affectif (Carré et Fenouillet, 2011, p. 282) auxquels nous pourrions ajouter un motif d’ordre réflexif au sens de choix de la fonction car elle lui permet une posture réflexive par rapport à sa pratique enseignante, à l’apprentissage et au vivre ensemble. Elle évoque le lieu de travail comme un lieu de relations et d’engagement professionnel et personnel. Elle dit son intérêt pour la personne et le fait de permettre aux élèves de montrer leurs ressources.

« Moi, j’aimerais travailler avec la personne, pas juste avec un cerveau, quoi ! avec la personne. Et de découvrir, quand on aborde les choses de façon différente, quand on est plus sur ce mode de… relationnel, voilà, tout à coup il y a des pépites qui sortent, et ils sont pleins de ressources, les élèves aussi, ils ont plein de… Oui, on voit les élèves différemment. Moi, j’avais besoin de ça aussi, de pas les voir comme des élèves, mais de les voir comme… ce qu’ils ont envie eux de mettre dans l’école pour qu’ils s’approprient ce lieu » (Entretien, 13, 526-531).

Sabine est à la recherche de sens pour rendre cette cohabitation, ce vivre ensemble entre élèves et enseignants, significatifs pour chacun, au-delà du seul apprentissage. Nous retrouverons des éléments similaires chez Jeremi, plus bas.

Sabine relie engagement professionnel dans la fonction de déléguée PSPS et image de soi (motif identitaire selon Carré et Fenouillet, 2011, p. 283) en racontant que la situation de burn-out d’un des directeurs a révélé en elle la volonté d’

« être une ressource pour que l’établissement aille relativement bien, […] pour surmonter ce moment difficile […] et que ça a créé une belle confiance après » (Entretien, 14, 579-581).

Elle fait mention de son engagement envers « la direction, le directeur, la personne » (Entretien, 14, 587-588) et montre que le lieu de travail est un lieu de relations et d’engagement professionnel et personnel.

Sa posture réflexive par rapport à sa fonction d’enseignante et ses recherches concernant les facteurs de protection et de risque dans le travail d’enseignant l’ont soutenue au point qu’elle pensait à se former à nouveau.

« De prendre conscience de ce qui peut être des facteurs de protection pour les enseignants. Pour moi aussi, pour mon travail. […] C’est vrai que ça m’a pas mal aidée dans mon travail, d’avoir ce rôle-là et de pouvoir réfléchir à tous ces aspects-là du rôle d’enseignant. […] Des fois, je me disais même que je pourrais me reformer à ci à ça, ça me donnait envie de… voilà, peut-être de reprendre des études ou de faire autre chose, voilà. D’aller un peu plus loin. » (Entretien, 17-18, 749-757).

Nous pouvons émettre l’hypothèse que ces éléments ont contribué à son engagement sur la durée dans la fonction de déléguée PSPS et d’enseignante.

Par l’évocation de son engagement dans le conseil d’établissement, Sabine met en lumière sa façon de s’engager entièrement et pleinement ainsi qu’un nouveau motif d’engagement : faire bouger les choses, renforcer son pouvoir d’agir.

Concernant les éléments qui ont freiné sa motivation, Sabine dépeint un exercice de sa fonction empreint de peu de reconnaissance, de solitude et d’exigence, cumulés sur la durée, alors que le travail à réaliser demeure peu explicité. Ces éléments peuvent aisément concourir à un désengagement de la fonction, d’autant plus que celle-ci reste très méconnue parmi les enseignants en général. À la suite d’une année sabbatique, Sabine montre son ambivalence quant à la reprise de la fonction, entre sa conviction de l’importance de celle-ci et sa difficulté à l’exercer.

« J’ai dit ok. Tac. D’accord. Mais voilà. Je sais pas. Je sais pas si je vais continuer » (Entretien, 9, 351). Et « Peut-être que ce serait bien de faire le point […] pour juste faire ressortir ce qui est important […] et de me dire : “Qu’est-ce qu’il me faudrait pour que j’aie envie de… vraiment de m’impliquer de nouveau et puis de m’engager ?” » (Entretien, 18-19, 793-796).

Comme elle a baissé son temps de travail, elle se retrouve dans une situation paradoxale dans laquelle elle dispose d’énergie et de temps disponibles pour s’engager dans un projet, mais où se manifeste une baisse de son sentiment de légitimité à motiver ses collègues. Solène évoque également un abandon récent de la maîtrise de classe.

Sabine se demande aussi comment persévérer, s’engager durablement, dans une fonction dont le travail réel est difficilement définissable, tout en doutant régulièrement du sens à donner à son activité au travers de certains manques de reconnaissance de celle-ci par sa hiérarchie. Avec Sabine, nous pouvons explorer le désengagement de la fonction puis, après une année sabbatique, le réengagement ambivalent. Au fil du récit, se fait ressentir un désengagement progressif issu, nous semble-t-il, de la répétition d’évènements confrontants et d’un vécu de manque de considération officielle de sa fonction. Puis Sabine se réengage comme s’il lui était inconcevable que cette fonction disparaisse ou ne soit pas suffisamment représentée, par sa suprême conviction de la nécessité de promouvoir ce vivre ensemble indispensable au bien-être et à la réussite scolaire des enfants. Elle se réengage cependant peut-être au prix du sacrifice de sa propre énergie, de son propre désir de poursuivre dans ce type de contexte (au sens large).

Motiver l’équipe PSPS

Sabine mentionne la difficulté à constituer une équipe PSPS, comme le décrivait Solène, à la faire vivre et à la rendre efficiente, de même que la temporalité longue des projets qui nécessite un engagement sur la durée que beaucoup d’enseignants ne peuvent tenir.

Motiver les collègues

Concernant le fait de motiver ses collègues à s’investir dans des projets de santé, Sabine mentionne à la fois le peu d’initiatives de ses collègues et le fait que sa propre conviction peut les motiver à s’engager. Elle se sent cependant moins légitimée à les mobiliser depuis qu’elle a baissé son temps de travail, tout comme l’évoque Solène.

3.2.4. Vision commune de la PSPS au sein de l’équipe et bonne connaissance de soi

Concernant les conseils aux débutants ou les conditions d’exercice idéales, Sabine relève l’importance de l’équipe PSPS, de sa vision commune de la PSPS, la nécessité d’en prendre soin, de trouver de la satisfaction à faire des choses ensemble aussi en dehors des projets. Elle mentionne aussi la bonne définition des rôles à l’interne de l’établissement, une meilleure collaboration avec les partenaires extérieurs (notamment les parents), l’importance de prendre du recul sur les éventuelles résistances que rencontrent les projets. Elle conclut sur la nécessité de se connaître soi-même, avec ses compétences et ses limites, et du fait de mettre des limites.

« Et puis de se connaître aussi soi et puis de savoir : « Oui, ça j’aime bien faire… ». Moi, il m’a fallu un moment pour me dire que j’aimais pas faire les PV. Voilà, il faut que j’accepte que… et j’ai dit : « Non… ». Et voilà, ça a fonctionné, ça a marché. Mais donc, de savoir ses propres… oui, ce qu’on arrive à faire et puis ses limites aussi. Et puis accepter ses limites […] En mettre aussi » (Entretien, 22, 974-985).

4. Jeremi18