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CHAPITRE 4 – ENTRE ÊTHOS PROFESSIONNEL PARTAGE ET INVISIBILITE DE LA

4. JEREMI

4.2.4. Entre relations significatives et remise en question du sens

Sa propre motivation et ses motifs d’engagement

Jeremi décrit une équipe santé, qui, à un moment donné, a été dynamique et fonctionnait très bien, ainsi que la présence et le soutien important d’un des directeurs. Il insiste sur l’importance de travailler en équipe, pour mener des projets et simplement pour partager.

La bonne entente avec certains de ses collègues a facilité la collaboration et son engagement sur la durée. Jeremi cite également sa bonne entente avec une collègue médiatrice qui lui donne envie de continuer à travailler.

« Donc il n’y avait pas de souci d’ego ou des choses comme ça. Et ça c’était important.

Mais je pense que c’est vrai que si on s’entend bien avec les gens, ça facilite, parce que moi ça m’arrive d’aller voir justement cette collègue médiatrice, parce que je passe devant sa salle. Elle fait du coaching. Les élèves sont pas encore là. On se met à parler dix minutes. Puis tout à coup, on échange : « Il faudrait refaire un truc comme ça ». Et puis, c’est facile. Tandis que si on n’a pas d’atomes crochus, on passe devant la porte…

je passe tout droit (rires). C’est clair, ça aide beaucoup d’avoir une bonne équipe, c’est vrai qu’on a une… il y a eu quelques changements, mais on a des maîtres qui restent relativement longtemps ici » (Entretien, 13, 534-531).

À un autre niveau, la fin de ce verbatim met en lumière la fluctuation temporelle de cette

« bonne équipe ». Il explicite enfin son engagement pour l’école, le bien-être des élèves et de ses collègues.

Il explique que l’établissement accueille des élèves aux histoires de vie difficiles, tout en étant attachants, et que les enseignants s’entraident car l’expression entre enseignants des difficultés de gestion de classe est encouragée. Elle est devenue culturelle.

« Une des choses qui est importante, c’est que les gens peuvent dire clairement que ça va pas. Y a pas ce côté « je dois montrer que je tiens ma classe ». Tout le monde a eu des soucis. Tout le monde. On a des élèves qui sont vraiment pas faciles, ils sont pour certains, même en étant difficiles, très attachants. Puis ils ont des histoires où on comprend que ça fonctionne pas bien. Mais il y a un gros soutien entre les enseignants » (Entretien, 13, 551-555).

Sa vision d’ensemble des sites, avant qu’il devienne doyen, lui a facilité la tâche. Au contraire du motif économique que proposent Carré et Fenouillet (2011), Jeremi explique aussi que ce ne sont pas les périodes de décharge qui l’ont motivé à s’engager. Tous nos informateurs le mentionnent d’ailleurs.

Partage de l’êthos professionnel

Jeremi témoigne d’une admiration et d’une grande loyauté envers un de ses directeurs.

« Je me souviens d’une anecdote. Il était présent au conseil des élèves et il demandait la parole au président du conseil des élèves, qui était un élève, comme n’importe qui.

Ce qui fait que les élèves au départ, ils étaient… puis après, ils s’y étaient faits. Ça les a un peu choqués quand le nouveau directeur n’est pas venu. Mais on a essayé de leur dire qu’il était très occupé. Mais c’est vrai qu’eux ils étaient marqués par l’ancien » (Entretien, 10, 375-379).

Cette anecdote, qui montre que le directeur considérait les élèves comme des personnes au même titre que lui-même, nous laisse penser que Jeremi – qui apprécie d’être en contact avec les enfants, sans qu’ils soient toujours des élèves – et ce directeur partageaient une communauté de valeurs.

Conflit de valeurs

Jeremi relate qu’il a appris à adopter le bon vocabulaire pour remplir les demandes de subvention de l’Unité PSPS, au point qu’il aurait pu obtenir n’importe quoi.

« Je crois que je pourrais aborder n’importe quoi, si j’avais demandé des frigos, j’aurais mis que ça améliorait le climat d’établissement aussi. (Rires) » (Entretien, 33, 1456-1457).

Jeremi remet en question le sens attribué à ces demandes de subvention, et finalement la marge réelle de contrôle qu’exerce l’Unité PSPS.

Motifs de désengagement de la fonction de délégué PSPS

« J’arrive au terme de mon rôle de délégué PSPS, parce que je le fais mal maintenant.

[…] Il y a trop de choses et puis délégué PSPS, ça passe en-dessous. Et puis, c’est vrai qu’on a eu le [départ] de notre directeur, un nouveau directeur est arrivé, qui

visiblement, lui, avait fait de mauvaises expériences avec la PSPS, donc il était réticent.

Il y a eu beaucoup de changements au niveau des infirmières, des gens qui encadraient où ça ne se passait pas très bien. Et c’est ce qui fait que le groupe santé ne s’est plus réuni depuis un bon moment. Alors on mène des petits projets comme ça, mais ça commence à perdre un petit peu de sa substance. Et il faut qu’il y ait quelqu’un qui ait l’énergie » (Entretien, 2-3, 43-54).

Jeremi résume ici les raisons pour lesquelles il se désengage de sa fonction. Les deux motifs principaux, qu’il évoque plusieurs fois au fil de l’entretien, sont le départ de ce directeur et la priorité du décanat et de l’enseignement sur la fonction de délégué PSPS. L’accumulation de ces événements et éléments sur la durée pèse sur le sens que Jeremi peut continuer d’attribuer à la PSPS dans ce contexte et sous cette forme.

« Je pense que j’en ai pris vraiment conscience en faisant des rapports de fin d’année, ça doit faire deux ans. « Globalement… je raconte quoi ?! (Rires) » (Entretien, 27, 1179-1180). Puis « Mais j’ai rien amené, à part de dire pensez à ça, pensez à ça, il vous faut combien de sous. Vous m’envoyez le devis et je demande des sous. Ça s’est arrêté là. Puis je me suis dit : « Bof, ça c’est pas terrible » (Entretien, 27, 1181-1188). Et

« C’étaient des formations, des réunions de la région, c’étaient des réunionites, puis comme globalement, les projets ça représentait plus rien. Je me suis dit : « Non, ça, ça va pas » » (Entretien, 27, 1197-1199).

Jeremi relate ici le moment où il a réalisé qu’il ne pouvait plus continuer de cette façon, parce qu’il ne se sentait plus suffisamment investi pour se sentir légitime à poursuivre cette fonction.

Il relate également son propre manque d’énergie. Il exprime le sentiment de ne rien amener depuis quelque temps, seulement ses compétences administratives et méthodologiques ou d’ordre processuel. Comme s’il dévalorisait ces dernières. Jeremi a anticipé sa démission, la direction a engagé un nouveau délégué PSPS formé et expérimenté et Jeremi a préparé la transmission de sa fonction à son successeur.

Motiver l’équipe PSPS

La présence d’un directeur très investi était vraiment soutenante pour l’équipe PSPS. Jeremi en décrit en outre ses membres comme complémentaires pour collaborer à des projets de santé à une période donnée. Il évoque aussi l’évolution de l’équipe qui se révèle moins efficace actuellement.

« Non mais c’est vrai qu’on a actuellement un peu des conflits de personnes, des choses qui jouent pas, et puis des choses où on essaie de dire poliment les choses, mais ça passe pas. Donc on a passablement actuellement de problèmes avec les infirmières. Alors pas nécessairement elles en tant que personnes, mais surtout la structure qui… on a eu la responsable qui est venue nous parler, nous dire leur métier, et puis on a dit : « mais, et puis nous on fait comment ? ». Et c’est vrai que de réunir après les gens dans le groupe santé, quand il y a les infirmières, c’est difficile, voire actuellement très compliqué » (Entretien, 7, 234-240).

En dehors des difficultés de collaboration de l’équipe PSPS, Jeremi semble évoquer une forme d’incompatibilité entre le métier prescrit des infirmières scolaires et le travail réel de l’équipe PSPS dans ce contexte. Nous pouvons supposer que se cachent ici des divergences axiologiques.

En outre, Jeremi relève l’importance, dans un établissement multi-sites, d’avoir un doyen de chaque site dans le groupe santé, permettant une vision d’ensemble de l’établissement.

Motiver les collègues

À la différence des autres informatrices, Jeremi a davantage de facilité à mobiliser ses collègues, d’une part, parce qu’il aime mettre de l’huile dans les rouages relationnels, qu’il demande à être dépanné et dépanne en retour, et d’autre part, grâce à sa fonction de doyen à laquelle ses collègues attribuent une autorité perçue comme différente de celle de délégué PSPS.

Jeremi relève encore que le terme de santé à l’école risque de faire surgir des représentations comme celle du dentiste scolaire ou de la vaccination chez les enseignants, et ce que certaines infirmières nomment « bobologie ». Jeremi interprète cela en disant que dans son établissement, les enseignants font déjà de la santé communautaire en prenant soin de leur classe, et ne mentionnent pas de besoins spécifiques dans ce domaine au niveau du bâtiment ou de l’établissement dans son ensemble.

« Parce que, voilà, ils font de la santé communautaire. Les maîtres, ils prennent soin, ils essaient de prendre soin de leur classe, quand ils se hurlent dessus… il y a ce côté-là. Ils ne sentent pas réellement ce besoin quelque part » (Entretien, 31, 1388-1391).

Jeremi relève également l’importance de donner du sens aux projets proposés et d’impliquer dès le début ses collègues.

« Tant qu’on arrive à donner du sens, ça marche pas trop mal. […] s’ils n’y voient pas de sens ou s’ils ne sont pas clairement associés, c’est plus compliqué » (Entretien, 20, 877-881).

Motiver les collègues dans le nouveau cadre de la LEO

Pour Jeremi, la découverte, puis la digestion de la LEO ont entravé la progression de l’engagement des enseignants dans les projets d’établissement, par le simple fait que toute leur énergie était prise ailleurs. De même que Solène, il évoque que la séparation du groupe classe en 9 à 11ème VG par niveaux a instauré un manque de cohésion dans les classes, ce qui nécessite un travail sur le respect passant par le fait de faire connaissance.

« Maintenant on a des élèves qui sont dispatchés par groupes. Ils n’ont plus la notion de classe. Et on voit qu’il y a un manque de cohésion dans les classes. Là il y a du travail à faire, parce que justement, il y a un manque de respect, parce que dans la classe, ils ne se connaissent pas nécessairement » (Entretien, 4, 100-103).

Et ces niveaux prennent beaucoup d’énergie chez certains enseignants. Jeremi pense que cet aspect de la LEO ôte une part de cadre dont les adolescents auraient besoin.

« Je croise systématiquement des élèves pendant les cours. Ils sont en stabulation libre, alors c’est clair, moi j’aurais été à leur âge… si le cours ne m’intéressait pas trop, j’aurais vite eu envie d’aller me promener aussi. On les pousse là-dedans. Et puis c’est vrai que ça entraîne des déprédations, des vols… » (Entretien, 5, 168-171).

Ici Jeremi présente l’instauration de la LEO avec ses groupes classes à niveaux en 9 à 11ème années VG clairement comme une entrave à l’engagement des enseignants dans les projets de santé ainsi que comme une entrave au bon climat de classe.

Engagement solidaire des adultes de l’établissement et santé communautaire intégrée

Nous avons déjà relaté plus haut l’entraide entre enseignants (Entretien, 13, 551-555).

Jeremi relie de plus la situation de l’établissement qui accueille des élèves défavorisés et aux histoires de vie difficiles à l’engagement des enseignants, au fait que beaucoup s’investissent en plus de l’enseignement, et enfin à leur sensibilité aux projets de santé communautaire.

« Alors ils ne mettent pas ce mot [climat d’établissement], mais c’est vrai que quand ça a été évoqué – on a eu l’année passée une journée pédagogique liée à ça, entre le burn-out et aussi la gestion de classe – c’est clair que dans l’idée, c’était de la santé communautaire pour les maîtres. » (Entretien, 5, 142-144).

Il relève aussi un élément concernant la représentation du burn-out et de la gestion de classe comme faisant partie de la santé communautaire pour les enseignants.