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Chapitre 4 : Présentation du corpus

2. Étude morphosyntaxique du corpus

2.1. Syntaxe des slogans : des structures récurrentes

Existe-t-il des caractéristiques grammaticales qui distinguent les slogans publicitaires des autres types d’énoncés ? La construction phrastique des slogans écrits en français en Tunisie dépend-elle uniquement des normes de la correction syntaxique française ? Y a-t-il une influence des visées publicitaires sur les structures, le choix des mots, des formes, des modes et des temps verbaux ?

Pour tenter de répondre à ces interrogations, nous essayerons de dégager le statut grammatical, fonctionnel, voire rythmique des séquences publicitaires. L’intérêt de l’examen syntaxique de ce type d’énoncés consiste à nous éclairer sur des mécanismes internes, habilement mis en œuvre pour influencer non seulement l’opinion mais surtout la conduite des récepteurs.

À travers le corpus que nous avons recueilli dans le quotidien d’expression française La Presse de Tunisie sans utiliser de critères pouvant exclure certains types de slogans, nous dégageons deux grandes classes syntaxiques, à savoir les séquences verbales et les nominales. En effet, sur 182 slogans, nous distinguons 122 séquences verbales. Les séquences nominales sont au nombre de 60. Inutile de rappeler ici que le recueil du corpus était aléatoire puisque nous avons retenu toute publicité rencontrée. En ce qui concerne les énoncés verbaux, nous remarquons que les modalités phrastiques dominantes sont les modalités déclaratives (71) et impératives (63) ; on ne relève en revanche que 4 énoncés exclamatifs. La modalité interrogative vient en troisième lieu (7 occurrences).

La distribution des formes phrastiques permet de constater la même disproportion en faveur des formes actives affirmatives respectivement au nombre de 122 pour les premiers et 117 pour les deuxièmes. Les phrases négatives, sont au contraire beaucoup plus rares (5 occurrences). Il en va de même pour les formes passives, quasiment absentes du corpus (5 occurrences).

L’attaque des phrases déclaratives ne présente rien d’inhabituel, car elles sont introduites soit par des syntagmes nominaux, des adverbes, ou des noms propres. Les

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phrases impératives sont souvent introduites par un impératif adressé à la deuxième personne du pluriel (vous), mais nous relevons des occurrences ou l’impératif est à la deuxième personne du singulier. Le « tu » se fait rare et on ne relève que 2 exemples :

LOL En Février, VAS Y SMS GRATUIT On parle tous foot ball

Prends le foot côté Coca-Cola !

Ainsi, nous notons une prédilection pour les phrases verbales d’une part, et d’autre part, à l’intérieur de celles-ci, pour les types déclaratifs et impératifs qui occupent les premières positions. Ces choix sont en effet motivés par une rhétorique publicitaire de l’assertion ferme et rassurante, qui ne laisse aucune place à l’incertitude. Au contraire, comme l’affirmait Blanche-Noëlle Grunig, « l’objet [publicitaire] est à la portée de main […] la tentation est ainsi maximale ».205

Il s’agit de garantir un maximum d’interaction entre le locuteur et son allocutaire en réduisant au minimum le coût linguistique de l’échange exigible. Le recours considérable aux séquences verbales participe de cette intention délibérée. La fréquence des impératifs cherche à déclencher chez les récepteurs une impression de dynamisme et de jaillissement capable de provoquer une adhésion complète, car le message publicitaire « c’est aussi une adresse au désir de renouvellement, de non fin qui nous habite ».206En effet pour agir sur les décisions des consommateurs, il faut interpeller leurs passions, leurs pulsions de vie.

Par ailleurs, les annonceurs de publicité ne se contentent pas de formuler leurs slogans par le biais de ce type particulier d’énoncés que sont les phrases verbales. Le nombre important des séquences nominales témoigne d’une volonté réfléchie de diversifier, de créer de nouvelles façons de dire en vue d’attirer l’attention de l’allocutaire par une recherche de l’originalité.

Ces énoncés nominaux sont pour la plupart introduits par des noms propre (Nom de la compagnie ou du produit ou du service objet de la publicité) ou des noms communs, avec une détermination flottante répondant la plupart du temps à une intention « argumentative », dans un mouvement coercitif visant l’implication maximale des potentiels allocutaires. Nous insistons sur ce point, vu l’importance accordée à

205 Grunig, Blanche-Noëlle, Les mots de la publicité, op,cit., p. 209.

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l’emplacement du nom ainsi qu’à toutes les attentions et soins d’ordre formel qui lui sont prêtés.

Nissan Pic up

L’alliance de la force et de la fiabilité FIAT

Bravo ; naissance d’un amour Des couleurs odieuses

Pour des multifonctionnels performants L’innovation : passion d’une banque

D’autres énoncés sont introduits par l’infinitif (une occurrence : se rapprocher). À l’image de l’infinitif, l’adjectif et l’adverbe en tête de l’énoncé nominal sont très rares. On recense un seul cas d’adverbe ; il en est de même pour l’adjectif. Le vide occasionné par l’absence du verbe qui occupe en tant que « nœud verbal » la place centrale dans l’énoncé, selon la terminologie de Lucien Tesnière207, entraîne la phrase dans une sorte de virtuel, d’intemporel, d’impersonnel mis en œuvre par le fait qu’elle est désengagée des contraintes actancielles relatives au verbe et par voie de conséquence de leurs corollaires ainsi que de leurs incidences syntaxiques et sémantiques. Dans son article sur la phrase nominale, Benveniste note que l’élément assertif nominal n’est pas susceptible des déterminations que porte la forme verbale : modalités temporelles, personnelles, etc. Il en conclut que « l’assertion aura ce caractère propre d’être intemporelle, impersonnelle, non modale, de porter sur un terme réduit à son seul contenu sémantique »208. La phrase verbale est en effet représentée par un schéma arborescent, que Tesnière appelle le « stemma », dans lequel le verbe constitue l’atome autour duquel pivotent les autres actants dans un mouvement de parfaite dépendance qui fait aussi dépendre les actants réels une fois qu’ils s’identifient définitivement avec les actants syntaxiques.

207 Lucien Tesnière est considéré comme le fondateur de la dépendance qui s’actualise en arbre. L’arbre de dépendance représente les liens syntaxiques entre les mots d’une phrase. Parmi les fonctions syntaxiques émanant d’un verbe, par exemple, on trouve ses arguments syntaxiques (son sujet, son objet direct et d’autres éléments de sa valence) et les modifications (aussi appelées circonstanciels ou ajouts) du verbe.

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De ce fait, sans allocutaire précis ni locuteur déterminé, sans injonction, baignant dans l’indétermination totale et l’intemporalité absolue, le publicitaire paraît laisser le soin au destinataire des publicités de modeler l’interprétation pragmatique de l’énoncé. Le consommateur potentiel est ainsi amené à réaliser lui-même l’action souhaitée par l’annonceur et le publicitaire ce qui l’engage à son insu, d’autant plus que le dispatching bien calculé des composantes de l’ensemble de la publicité, est efficace pour que le consommateur puisse projeter dans l’univers publicitaire ses rêves et ses fantasmes, surtout lorsque l’énoncé est accompagné d’une image à potentiel suggestif important. Il ressort que l’énoncé, a priori suspendu sur le plan énonciatif, c’est-à-dire n’impliquant aucun retour verbal, ne l’est pas tant car il ne se défait pas de sa vocation « argumentative implicative ».

Dans cette même lignée et pour remédier, le cas échéant, à cette stratégie qui œuvre dans la suspension, les publicitaires semblent favoriser une recherche rythmique afin de garantir le même niveau de rapports interactifs avec les récepteurs. La variation des stratégies qui visent un effet maximum sur les récepteurs est caractéristique du corpus. Nous pouvons dégager quelques structures qui résument toute la stratégie a visée implicative : la répétition, le rythme, la brièveté, la rime. Ainsi :

Partenaire de vos projets, partenaires de vos busines Global NET, le Net facile

Une heure + une heure à la bonne heure Carta WAHRA, encore plus WHRA

Les éléments répétés attirent l’attention soit sur le nom de la marque du produit, soit sur l’avantage majeur que celui-ci semble offrir. L’efficacité de ce procédé est d’autant plus frappante que l’allocutaire entend le slogan en même temps qu’il le lit. La mémorisation de l’énoncé et du produit objet de la publicité est donc beaucoup plus efficace.

Par conséquent, le retour de certains mots significatifs au début du second segment de la phrase, bien mis en tête garantit une bonne « présentation » syntaxique et visuelle du terme clé de la publicité et par là-même il oriente davantage l’effet de persuasion en direction des futurs consommateurs. On peut dire finalement que dans ces énoncés nominaux l’absence des verbes conjugués ne constitue pas tant un handicap discursif

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qu’une situation discursive privilégiée de créativité. C’est là une manière d’apprivoiser les consommateurs sans leur adresser directement la parole et sans les désigner. Tout se passe comme si l’on excitait notre curiosité par cette scène qui la vise sans pour autant la désigner ostensiblement.