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Chapitre 2 : Cadre théorique : vers une approche cognitive de

1. Rhétorique, argumentation et pragmatique

La situation d’énonciation et le contexte de production décident du sort des énoncés qui seront acceptables dans une situation discursive précise et non dans une autre. En effet, le choix du code employé, la structure phrastique, l’aspect lexical et la production d’une signification ne dépendent pas exclusivement des lois syntaxiques, même si ces dernières interviennent dans la constitution du sens de l’énoncé, mais des termes et des acteurs de la situation d’énonciation et de l’effet escompté.

La notion d’effet recherché par un locuteur sur un allocutaire évoque les fonctions premières de la rhétorique antique86. Celle-ci, née dans le bassin méditerranéen il y a plus de 2500 ans, en Sicile d’après les indications historiques, visait un objectif utilitaire ; il s’agissait en effet, pour des propriétaires spoliés sous la tyrannie de Gélon et Hiéron, de faire valoir leurs droits devant un tribunal populaire de la manière la plus persuasive, afin de recouvrer leurs biens. Il convenait alors de faire preuve d’éloquence, en élaborant un discours selon des procédés tels que les avaient définis Empédocle d’Agrigente, Corax et Tisias87. Ultérieurement, les philosophes-orateurs du monde romain ne feront

85 Saussure, Ferdinand (de), ibid., p. 20-21.

86 Gardes-Tamine, Joëlle, La rhétorique, Paris, Armand Colin, coll. « Cursus », 1996. Cet ouvrage est une synthèse éclairante des questions posées par ce champ disciplinaire.

87 Contrairement à Platon qui haïssait les sophistes qu’il comptait au nombre des démagogues, car ils peuvent faire paraître petite une chose grande et inversement, Jacqueline de Romilly les appelait, sans la moindre connotation péjorative, « les professionnels de l’intelligence ». Pour cette question, on peut également consulter le livre de Patillon, Éléments de rhétorique classique, Paris, Nathan-Université, 1990.

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qu’accentuer cette relation à l’auditoire comme en témoignent deux ouvrages du Ier siècle de notre ère : la Rhétorique à Herennius88 (abusivement attribuée au seul Cicéron) et l’Institution oratoire de Quintilien89. La fameuse triade cicéronienne du « placere, movere, docere » ne fait que confirmer cette tendance et justifie le souci désormais constant des rhéteurs pour le style. Ainsi Alain Michel affirme-t-il (1999, p. 25)90:

Cicéron annonce de façon précise les réflexions sur les « genres de style » ou les « idées du discours » que nous retrouverons dans les siècles suivants. Mais […] il les intègre dans une culture générale et rejette de ce fait toute « rhétorique restreinte » (du moins dans l’idéal). Donc, il distingue et combine à la fois la rhétorique proprement dite, relative à la création littéraire et à la persuasion par le langage, et la critique, qui, à partir de l’analyse stylistique, historique, sociologique, détermine les qualités respectives des différents discours et de leurs auteurs. C’est ainsi qu’il assure ensemble les places de la beauté, de la vérité et de l’émotion.

Nous verrons dans la suite de ce travail que les critères mis en avant par Alain Michel peuvent aisément s’appliquer au discours publicitaire qui est au cœur de notre étude, tant il est vrai que pour atteindre son objectif mercantile, il faut impérativement plaire, émouvoir et non pas tant instruire que persuader pour parvenir à séduire et à déclencher le geste d’achat. Ce qui nous conduit à présent à évoquer la question de l’argumentation telle que la conçoivent Chaïm Perelman et Lucie Olbrechts-Tyteca91. En effet, selon Chaïm Perelman (2002, p. 30) :

L’argumentation n’a pas uniquement pour but l’adhésion purement intellectuelle. Elle vise, bien souvent, à inciter à l’action ou, du moins, à créer une disposition à l’action. Il est essentiel que la disposition ainsi créée soit suffisamment forte pour surmonter les obstacles éventuels.

Concernant le discours publicitaire, il est déjà possible d’avancer que ces obstacles peuvent être d’ordre matériel (« Je n’ai pas les moyens de m’offrir cet objet. »), mais aussi social (« Ce n’est pas pour moi. »), réactions qui peuvent être abordées dans la perspective de l’habitus bourdieusien. Perelman poursuit (ibid., p. 30) en citant un extrait du chapitre

88 Cicéron, Rhétorique à Herennius, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5800777w

89 Quintilien, Institution oratoire, traduction de C.V. Ouizille, Paris, C.L.F. Panckoucke, 1829 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5774555j.r=quintilien.langFR

90 Michel, Alain, « La rhétorique, sa vocation et ses problèmes : sources antiques et médiévales », in Marc Fumaroli, (éd.). Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne, 1450-1950. Paris, PUF, 1999, p. 17-44.

91 Perelman, Chaïm, L’empire rhétorique. Rhétorique et argumentation, Paris, Vrin, « Bibliothèque d’histoire de la philosophie », [1977], 2002 ; Perelman, Chaïm et Olbrechts-Tyteca, Lucie, Traité de l’argumentation, Bruxelles, Éditions de l’Université, [1988, 1992], 2000.

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13 du 4ème livre de l’ouvrage de Saint Augustin De la doctrine chrétienne92, retenant le fait qu’il faut certes emporter une adhésion intellectuelle auprès de son auditoire, mais également, par son propre discours, disposer l’allocutaire à agir :

Si les vérités enseignées sont telles qu’il suffit de les croire ou de les connaître, donner son assentiment n’implique rien d’autre que la reconnaissance de leur vérité. Mais cependant, si la vérité enseignée doit être appliquée dans la pratique, et si elle est enseignée en vue de cette pratique, il ne sert à rien d’être persuadé de la vérité de ce qui a été dit, il ne sert à rien de trouver du plaisir à la manière dont cela a été dit, si elle n’est pas apprise afin d’être pratiquée. Le prêtre éloquent, quand il présente une vérité pratique, ne doit pas enseigner afin d’instruire seulement, et plaire de façon à soutenir l’attention, mais il doit aussi emporter l’esprit de façon à lui soumettre la volonté.93

De ce fait, ce sont également les émotions qu’il faut susciter, réactions pourtant réputées échapper à la raison. Perelman (ibid., p. 31) cite à nouveau Saint-Augustin (De la doctrine chrétienne, Livre IV, chapitre 12) :

S’il est conduit par vos promesses et effrayé par vos menaces, s’il rejette ce que vous condamnez, et embrasse ce que vous recommandez ; s’il se lamente devant ce que vous présentez comme lamentable, et se réjouit de ce que vous présentez comme réjouissant ; s’il s’apitoie devant ceux que vous présentez comme dignes de pitié, et s’écarte de ceux que vous lui présentez comme des hommes à craindre et à éviter.

Il est manifeste que la réaction émotionnelle de l’auditoire doit être exactement identique aux valeurs portées par le discours de l’orateur ; la correspondance sémantique lexicale en atteste : se lamente / lamentable ; se réjouit / réjouissante ; s’apitoie / dignes de pitié ; s’écarte de / à éviter. Perelman et Olbrechts-Tyteca (2000, p. 59)94 le confirment dans leur ouvrage commun :

Le but de toute argumentation, avons-nous dit, est de provoquer ou d’accroître l’adhésion des esprits aux thèses qu’on présente à leur assentiment : une argumentation efficace est celle qui réussit à accroître cette intensité d’adhésion de façon à déclencher chez les auditeurs l’action envisagée (action positive ou abstention), ou du moins à créer, chez eux, une disposition à l’action, qui se manifestera au moment opportun.

La dernière partie de cette citation appelle la théorie des actes de langage95 qui assigne à l’énoncé une force locutoire, illocutoire et perlocutoire, la dernière catégorie étant cruciale pour le discours publicitaire dont l’objectif premier est de déclencher le geste d’achat.

92Augustinus Hipponensis (Saint Augustin), De doctrina Christiana : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84238328/f9.image.r=RegiaCarol

93 Nous soulignons.

94 Perelman, Chaïm et Olbrechts-Tyteca, Lucie., op. cit., 2000.

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Ce type de discours ne fonctionne pas comme le discours scientifique qui est soumis à des règles vériconditionnelles ; au contraire, il est dépendant de paramètres subjectifs, du contexte socio-historique et il vise essentiellement à agir sur son destinataire. C’est sur ce critère que nous rattachons les propriétés du discours argumentatif, tel qu’il est décrit par Perelman, au domaine de la pragmatique, comme le confirme la définition que donnent Ducrot et Schaeffer de cette discipline, dans laquelle les linguistes distinguent deux niveaux :

La pragmatique étudie tout ce qui, dans le sens d’un énoncé, tient à la situation dans laquelle l’énoncé est employé, et non à la seule structure linguistique de la phrase utilisée. […] On pourrait penser que cette pragmatique1 est, par définition, étrangère à la linguistique, puisqu’elle concerne ce qui s’ajoute du dehors aux phrases de la langue. Mais il se trouve que le recours à la situation pour l’interprétation est souvent prévu et régi par le matériel linguistique lui-même. […] La pragmatique2 concerne non pas l’effet de la situation sur la parole, mais celui de la parole sur la situation. La plupart de nos énoncés, en même temps qu’ils donnent des renseignements sur le monde, instaurent, ou prétendent instaurer, entre les participants au discours, un type particulier de rapports, différents selon l’acte de langage accompli […]. D’autre part ils imposent une certaine image du locuteur au moment où il parle […].96

De cette définition de la pragmatique établie par Ducrot et Schaeffer, comme de celle du discours argumentatif de Perelman, nous pouvons retenir l’importance de la nature du locuteur, de la situation et du contexte de d’énonciation et de la teneur du discours. On en revient aux notions prônées par la rhétorique antique concernant le logos, à savoir les nécessités du prepon ou de l’aptum – ce qui est convenable en fonction du public –, la quasi-obligation d’en passer par la captatio benevolentiae, l’effet de l’ethos de l’orateur sur le pathos de l’auditoire. Ces paramètres représentent autant de contraintes discursives qui sont tributaires de la relation qu’entretiennent l’orateur, son discours et les allocutaires. Comme nous le montrerons infra, le discours publicitaire est très lié à ce fonctionnement, même s’il n’est pas dialogal (l’énoncé publicitaire n’entre pas dans un échange qui attend une réponse immédiate de l’allocutaire), tout en étant dialogique.

La particularité du corpus publicitaire que nous analysons fait que nous avons affaire autant à du texte qu’à des images et le destinataire doit se frayer son chemin dans le réseau de relations qu’entretiennent les plans syntaxique, rhétorique, iconique, sachant qu’implicite et suggestion nourrissent toute la complexité de la tâche d’appropriation

96 Ducrot, Oswald, et Schaeffer, Jean-Marie, Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris, Seuil, 1995, p. 111-113.

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interprétative de ces fragments de discours. Ainsi que l’affirme Roland Barthes (1964, p. 44)97 :

[…] [T]oute image est polysémique, elle implique, sous-jacente à ses signifiants, une « chaîne flottante de signifiés », dont le lecteur peut choisir certains et ignorer les autres. […] le texte dirige le lecteur entre les signifiés de l’image, lui en fait éviter certains et en recevoir d’autres ; à travers un dispatching souvent subtil, il le téléguide vers un sens choisi à l’avance.

Pour adapter ces propos au domaine publicitaire, les énoncés-occurrences répondent, pour ainsi dire, à une structure rhétorique adaptée au contexte de parution de l’échange et à ses exigences que nous qualifions de psychologiques. Cette structure vise l’intensification du potentiel et de l’effet « argumentatifs » de l’énoncé, que je nommerai désormais « implicatifs », non pas tant à cause du sens global produit par l’énoncé, que par sa capacité à obliger l’allocutaire à construire par lui-même la « bonne »98 interprétation. C’est ce qui explique, en partie, notre recours au mot « dispatching » (emprunté à Barthes, cf. supra) ou « ordonnancement » qui veut dire, entre autres, que l’énoncé obéit, comme par souci de compensation au fait d’être différé, à un phénomène d’accentuation et de renforcement de la proximité avec l’allocutaire.

Le discours publicitaire repose sur une cohérence sémantico-syntaxique nécessaire à la bonne compréhension du sens véhiculé et jouit simultanément des possibilités pragmatiques que lui offre le dispatching. Ainsi, l’énoncé œuvre au-delà des règles de la syntaxe, et au-delà du « sens trivial », premier – « à fleur de texte », pourrait-on dire – de la combinaison sémantico-syntaxique. Il s’investit davantage dans une psychologie de la réception, déjà en position de faiblesse dédoublée, car celle-ci subit, d’une part, la sollicitation de l’échange communicationnel, et d’autre part, elle doit agir conformément aux idées reçues, relatives au statut de la langue française en Tunisie. L’appropriation de l’énoncé publicitaire est alors fortement individualisée, donc subjective, sans pour autant perdre de vue l’effet de la motivation sémantique originelle mise en place grâce aux cheminements contraignants qui pilotent littéralement cette opération d’intériorisation du sens ou des données de l’énoncé. Rodolphe Ghiglione, reprenant les termes de Ducrot,

97 Barthes, Roland, « Rhétorique de l’image », in Communications, 4, 1964, » Recherches sémiologique »s. pp. 40-51; doi : 10.3406/comm.1964.1027 http://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1964_num_4_1_1027

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considère que « ce qui est important dans la compréhension d’un texte, ce sont non seulement les indications qu’il apporte au destinataire, mais tout autant les manœuvres auxquelles il le contraint, les cheminements qu’il lui fait suivre ».99

Comme nous l’avons déjà indiqué, la contrainte est double dans le cas du discours publicitaire, à partir du moment où la publicité doit obéir à des contraintes sémantico-syntaxiques et dépendre du fonctionnement psychologique, donc cognitif, des allocutaires. Cette double contrainte explique le fait que les récepteurs puissent, à partir des mêmes agencements discursifs, forger une infinité de subtilités interprétatives, c’est-à-dire sa signification, faite pour eux d’allusions – voire d’illusions – qui se différencient selon le contexte d’apparition. Ce fonctionnement déclenche de la part des allocutaires, une attention particulière qui s’opère au-delà de la simple détection du sens des énoncés et qui consiste à s’identifier à l’image du parfait co-énonciateur.

Or qu’entend-on par l’expression « parfait co-énonciateur » ? Ce dernier, rien que par sa qualité de co-énonciateur semble prendre part, comme malgré lui, à l’échange linguistique, comme s’il était sommé, rien que par la lecture des messages publicitaires, d’entrer dans une relation dialogique qui lui permet de co-construire le sens de l’énoncé. Comme le précise Ruth Amossy (2013, p. 52)100 :

Dans le sillage de Bakhtine (1977 ; dans Todorov, 1981) on appelle aujourd’hui dialogique un discours qui, tout en étant nécessairement adressé à l’autre et en tenant compte de sa parole, ne constitue pas un dialogue effectif. « Dialogique » s’oppose ici à « dialogal ». Le discours argumentatif est toujours dialogique ; il n’est pas obligatoirement dialogal.

Cela nous amène à soulever la question de l’auditoire, traitée par Perleman et Olbrechts-Tyteca, qui distinguent cette instance en trois catégories : l’auditoire universel qui rassemble tous les humains adultes doués de raison, l’auditoire formé par le seul interlocuteur auquel on s’adresse dans la relation strictement dialogale, enfin le sujet lui-même dans l’exercice d’une délibération101.

99 Ghiglione, Rodolphe, Kekenbosch, Christiane, Landré, Agnès, L’analyse cognitivo-discursive, Grenoble, PUG, coll. « La psychologie en plus », 1995, p. 14.

100 Amossy, Ruth, L’argumentation dans le discours, Paris, Armand Colin, [2012], 2013.

101 Sur cette question, on lira avec profit Perelman, Chaïm et Olbrechts-Tyteca, Lucie, Traité de l’argumentation, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, [1988], 2000, p. 39-59.

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On notera que la définition de l’auditoire est particulière dans le cas de la publicité. En effet, si l’on considère la nature du discours publicitaire, celui-ci s’appuie sur des études portant au préalable sur « un cœur de cible », selon le jargon consacré, de telle manière qu’il puisse être conçu pour s’adresser à un public précis. L’argumentation se construit par conséquent en fonction de cet ensemble de consommateurs visés. On ne peut donc dire qu’il s’agit d’un public universel. Or, il est clair que le discours publicitaire cherche également à atteindre des personnes extérieures à cet ensemble primitivement concerné, étant entendu qu’un annonceur espère toujours toucher un groupe de consommateurs plus vaste que celui escompté. Ce groupe est donc à la fois circonscrit et en même temps susceptible d’être élargi. Illustrons : si un annonceur dirige son discours vers un public masculin pour un gel de rasage, par exemple, il ne peut pas exclure les compagnes et épouses auxquelles le produit doit plaire également, et qui sont souvent responsables des achats du foyer102. De la sorte, il conviendra de concevoir un discours qui puisse convaincre les hommes comme les femmes. Ruth Amossy (2013, p. 53) souligne l’interaction entre la nature de l’auditoire et celle de l’argumentation :

Dans le cadre de l’analyse argumentative, il faut souligner que la nature et le statut de l’auditoire modifient en profondeur le dynamisme de l’argumentation. Ses modalités sont en effet différentes selon qu’elle s’adresse à un public qui n’a pas droit de réponse, ou au contraire à un interlocuteur singulier qui se donne comme partenaire actif de l’échange.103

L’argumentation en œuvre dans le discours publicitaire est située sur le fil : à la fois adressée à un public qui n’a pas droit de réponse et à l’interlocuteur précis que représente chaque éventuel futur consommateur.

De ce fait, le discours publicitaire s’adresse à un groupe de consommateurs potentiels qui constituent l’ensemble des destinataires d’un échange particulier en ce qu’il mime une propriété dialogale, mais tronquée ; en effet, il veut éveiller une réaction, une réponse de la part de son destinataire, sans pour autant que la situation le permette. On a affaire ici à la force perlocutoire de ce type de discours, dont l’effet s’installe dans le temps. Par conséquent, la deuxième catégorie d’auditoire définie par Perelman et

102 Depuis le 11 décembre 2014, une nouvelle dénomination a remplacé la catégorie des » ménagères de moins de 50 ans », expression utilisée depuis des décennies par les instituts de sondage ; il s’agit maintenant de la « Femme responsable principale des achats du foyer ».

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Olbrechts-Tyteca n’est pas non plus parfaitement adéquate à ce cas de figure. Le seul point qui pourrait ne pas porter à confusion serait l’argumentation que suscite le message publicitaire dans l’esprit du consommateur : va-t-il ou non acheter le produit vanté, et pour quelles raisons ? De ce point de vue, il s’agirait d’une délibération avec soi-même, l’auditoire étant la personne qui s’interroge elle-même, dans une sorte de dédoublement : elle est à la fois le locuteur qui argumente et l’interlocuteur qu’il s’agit de convaincre. Comme l’affirment Perelman et Olbrechts-Tyteca (ibid., p. 54) :

Très souvent d’ailleurs, une discussion avec autrui n’est qu’un moyen que nous utilisons pour mieux nous éclairer. L’accord avec soi-même n’est qu’un cas particulier de l’accord avec les autres. Aussi de notre point de vue, c’est l’analyse de l’argumentation adressée à autrui qui nous fera comprendre le mieux la délibération avec soi-même, et non l’inverse.

Le locuteur, quant à lui, prend soin de sa face positive ou son ethos, selon la terminologie de Maingueneau. Il s’arroge le privilège d’être celui qui adresse la parole à autrui, d’inaugurer l’échange, et de le placer à un niveau qui accentue la dépendance des allocutaires. Le locuteur est cette voix discrète, parfois sentencieuse, sage et sublime détentrice du secret du bonheur des potentiels consommateurs, actualisés sur le plan énonciatif en « tu » et « vous », tantôt intimes, tantôt valorisés à travers la deuxième personne du pluriel. L’énoncé, à travers ses sollicitations psychologiques, met en place une sorte de reconnaissance mutuelle entre les deux pôles de l’interlocution, réservant à chacun son territoire et son rôle respectifs. Comme l’affirme De Felippe (2002, p. 76) :

En effet, le locuteur est amené à construire une image de lui-même qu’il considère comme séduisante. Cette image que l’orateur peut donner de lui à travers son discours, d’une manière implicite, constitue l’ethos. Implicite en ce sens que l’orateur laisse transparaître ce qu’il est ou ce qu’il veut faire croire qu’il est, à travers ce qu’il dit, il ne dira jamais explicitement qu’il est compétent en telle ou telle matière ou vertueux, il le laissera entendre à travers sa manière de dire (l’orateur étant conscient du fait qu’être