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Chapitre 4 : Présentation du corpus

1. Le recueil des données

Le corpus sur lequel nous avons travaillé est constitué de deux cents énoncés présentant une variété significative au niveau de leur mise en scène formelle et compositionnelle. Ils sont essentiellement tirés du quotidien d’expression française La Presse de Tunisie. Le choix de ce journal nous est en effet dicté, non seulement par sa notoriété, mais aussi parce qu’il s’est institué une tradition respectable dans ce domaine des annonces publicitaires. De plus, l’abondance de ses archives permet de suivre l’évolution de cette pratique et le développement du calcul de l’administration et de la configuration de l’implication des allocutaires.

Nous parlons de calcul dans la mesure où chaque élément – tout anodin qu’il soit – remplit une quelconque fonction « argumentative » au sein du processus général de l’implication publicitaire. Il se crée, en outre, l’illusion d’une soi-disant coréférence entre les composantes de l’énoncé d’une part, les formes scripturales, le choix des couleurs, l’étalement de l’énoncé dans l’espace qui lui est réservé et le choix de l’icône et les présumées qualités du produit, d’autre part. Il revient en effet à la logique interne de l’énoncé et à la conjugaison fluide des composantes de certifier, voire de cimenter cette coréférence et de lui donner toute son ampleur.

Nous avons également essayé de varier les périodes du recueil du corpus (1985, 1990, 2007, 2008, jusqu’à 2013-14) dans le but de scruter le développement des stratégies argumentatives qui s’accompagnent nécessairement d’un développement des formes

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d’expression ainsi que des contenus de l’expression. Par exemple, les annonces de l’année 1985 présentent d’énormes différences avec celles de l’année 2007, et ce à plusieurs niveaux : quasi absence de la composante iconique et de l’utilisation des couleurs dans les annonces de 1985, abondance, au contraire, dans les annonces de 2007. L’écriture se libère peu ou prou de la rectitude des formes ainsi que du souci normatif grammatical ; en revanche, les annonces deviennent de plus en plus restreintes voire moins directes parfois. La publicité a été traditionnellement étudiée dans le cadre de la théorie de la communication, « cependant, il s’agit de communication interaction écrite, très particulière et irréductible aux schémas généraux de la communication linguistique. »201 Autrement dit, comme le souligne Jean-Michel Adam, il s’agit d’une communication « différée dans l’espace et le temps à cause de la nature de son support qui contraint des délais qui séparent la conception de l’annonce de sa lecture effective ; il s’agit aussi d’une communication sollicitative et aléatoire »202, parce qu’elle s’adresse à un destinataire qui ne l’attend pas, voire qui n’est pas obligatoirement disposé à la recevoir malgré l’apparente authenticité de la situation de communication. Entre l’essence aléatoire de la communication publicitaire et sa réalité interactive simulée se rangent tous les investissements langagiers. Il revient enfin au contexte majeur que sont ici la Tunisie et la culture ambiante, et au contexte mineur qu’est la publicité elle-même, de donner toute son ampleur à la communication publicitaire.

Le cadre que nous venons d’exposer représente la perspective dans laquelle nous avons étudié notre corpus, dont nous ne livrerons que quelques exemples représentatifs. Ce corpus est loin d’être homogène, malgré son appartenance à la même tradition publicitaire, malgré l’ancrage dans la même situation d’énonciation et malgré toutes les ressemblances de surface comme le public visé et les objectifs à atteindre. Nous concevons le corpus comme le point de départ ainsi que le point d’arrivée de notre étude : point de départ au sens où notre modeste réflexion et nos premières constatations puisent leur légitimité dans les énoncés en question ; point d’arrivée dans la mesure où nous souhaitons comprendre la rhétorique publicitaire dans un contexte de diglossie particulier.

201Adam, Jean-Michel, Bonhomme Marc, L’Argumentation publicitaire, op.cit., p. 8.

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Le corpus répond en effet aux critères de recueil tels qu’ils ont été conçus par Francine Mazière, qui disait que « la mise en corpus se définit contre le simple recueil de textes. Elle est la construction d’un dispositif d’observation propre à révéler, à faire appréhender l’objet discours qu’elle se donne pour tâche d’interpréter ».203

Bien entendu, la langue, et spécifiquement celle de notre corpus, ne peut pas être essentialisée dans ses propriétés universelles. La richesse du système est en permanente métamorphose ; celle-ci engendre des formes et un comportement particuliers, décelables dans les tournures et associations qui révèlent les capacités de son potentiel à multiplier son pouvoir communicatif et à varier ses stratégies discursives. Pour cette raison, nous avons élargi la période du recueil de notre corpus et nous sommes remonté à l’année 1985 où se trouvent attestées les premières traces de l’activité publicitaire. C’est ce qui explique le choix de cette année comme point de départ pour notre recueil. En outre, les publicités et le paysage publicitaire ne varient pas considérablement d’une année à l’autre et pour cette raison, nous avons choisi de prélever des échantillons tous les cinq ans. Cependant, nous avons parcouru ces intervalles de temps et pris des exemples pour les comparer avec ceux du corpus que nous avions arrêté.

Dans cette même optique, nous avons choisi de varier les époques dans le but d’examiner l’évolution de la pratique publicitaire, sa complexité sémiotique et pragmatique, et tenter de comprendre ce qui pourrait expliquer les variations affectant le comportement des unités du langage ainsi que celles de l’image dans un tel contexte, très fortement marqué par l’objectif de toute publicité qui est celui d’attirer l’attention sinon de convaincre.

Considérer tout ceci sous l’angle du contrat de communication204 publicitaire, très fortement ancré dans le contexte tunisien et dans l’essence publiciste de l’interaction, constitue pour nous le point du départ du travail dans lequel nous essaierons de dépasser l’aspect parfois trivial des énoncés.

203 Mazière Francine, L’analyse de discours, Paris, PUF, 2005. p.11-12.

204 « Le terme de contrat de communication est employé par des sémioticiens, des psychologues du langage et des analystes du discours pour désigner ce qui fait qu’un acte de communication sera reconnu comme valide du point de vue du sens. C’est la condition pour que les partenaires d’un acte de langage se comprennent un minimum et puissent interagir en co-construisant du sens, ce qui est le but essentiel de tout acte de communication. » Charaudeau, Patrick, Maingueneau, Dominique, Dictionnaire d’analyse de discours, Paris, Seuil, 2002, p. 138.

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