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Chapitre 4 : Présentation du corpus

2. Étude morphosyntaxique du corpus

2.2. Le statut des verbes

Nous avons opté pour l’opposition catégorielle verbe d’action / verbe d’état. Dans les slogans publicitaires qui recourent aux phrases verbales, l’emploi des verbes qui tendent plutôt à exprimer une action qu’un état, tels que « offrir, venir, donner… » sont paradoxalement majoritairement dominés par les verbes d’état. En effet on peut relever 137 occurrences ou il est question de verbes qui supposent un quelconque état. En voici quelques exemples :

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Les verbes d’actions ne sont pas moins importants : ils sont au nombre de 100. Il nous a été difficile, à maintes reprises, de discerner la part « action » de la part « état » de certains verbes, et c’est le contexte phrastique qui permet de les affecter à une. Penchons-nous sur quelques exemples :

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Les segments qui fonctionnent comme attributs du sujet ou de l’objet nous amènent à conclure qu’il existe un profit, un agrément que nous pouvons retirer du produit, car

« souvent, tout se passe comme si on nous indiquait par un mot très clair, univoque, le sentiment auquel nous devons parvenir ».209Les verbes d’état sont donc employés comme pour guider notre travail interprétatif vers des conclusions positives, à la manière de vraies passerelles entre l’assertion purement technique et linguistique qui dresse le schéma psychologique et mental de tout lecteur potentiel. Autrement dit, le cheminement syntaxique exclusivement attributif de ces énoncés retrace le cheminent cognitif que tout récepteur doit parcourir. Les verbes qui supposent une action présentent la caractéristique d’être bivalents et trivalents dans plusieurs occurrences et rares sont les énoncés ou le verbe est régi par un seul actant qui est le sujet (monovalents).210

Nous sommes donc en présence d’une majorité de verbes qui tendent vers l’action et la transitivité. Cette mise en relief du complément d’objet serait-elle une façon ingénieuse de mettre en avant l’objet de la publicité ? C’est une hypothèse. D’ailleurs, les valeurs sémantiquement laudatives de ces verbes (profiter, fêter, bénéficier, gagner, offrir, réactiver…) agissent dans le sens d’une influence favorable sur les récepteurs : « l’essentiel est toujours que la séduction joue. Elle agit directement quand on utilise une évocation du produit qui laisse entendre que ce produit est cause de plaisir ».211 Le choix des verbes est donc important dans la conception du slogan. Il en est de même pour les modes, les temps. Ce choix tire en outre son importance de l’aménagement conceptuel ou métaphorique de la phrase publicitaire du moment que cet aménagement de l’ossature syntaxique établit une jonction – via un choix minutieux et pragmatique du noyau verbal

209 Grunig, Blanche-Noëlle Les mots de la publicité, Paris, Presses du C.N.R.S., 1980, p. 212.

210 Il s’agit de la terminologie de Lucien Tesnière : monovalent = intransitif, bivalent = transitif, trivalent = doublement transitif.

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– entre l’illocutoire et le perlocutoire à la manière d’une charnière réalisant, en un même mouvement, deux états contradictoires.

Le présent de l’indicatif est attesté majoritairement avec 146 occurrences, devançant de loin tout autre temps, à l’instar de l’impératif qui vient en second lieu malgré son pouvoir pragmatique. Il faut rappeler que cette préférence pour l’indicatif s’explique, par le fait que nous « résistons de mieux en mieux à l’impératif publicitaire [mais] nous devenons par contre d’autant plus sensibles à l’indicatif de la publicité, c’est-à-dire à son existence même en tant que le produit de consommation »212

Cependant, loin de n’exprimer qu’un ordre, l’impératif introduit dans l’énonciation publicitaire une valeur illocutoire de conseil, de prière pressante mais bienveillante. Il possède cette particularité qui est de mettre en présence directement « L’énonciateur et l’allocutaire au travers d’un acte d’énonciation par lequel le premier cherche à agir immédiatement sur le second ».213 On peut dire que « cette situation extralinguistique fait partie des circonstances de discours comme un environnement matériel devenu parole à travers les filtres constructeurs de sens des acteurs du langage qui font l’hypothèse que cet environnement sémiotisé constitue un savoir partagé. »214

Quant au présent de l’indicatif, temps du discours, il garantit une « actualisation maximale »215, et permet de mettre directement en rapport l’annonceur et les futurs consommateurs dans une sorte de dialogue qui, tout en opérant à sens unique, n’en assure pas moins une fonction persuasive. On peut relever aussi comme fait intéressant la rareté du futur simple (12 occurrences seulement). Il semble inhabituel dans les formules publicitaires où « tout est présenté comme si le récepteur était déjà possesseur en contact immédiat dans l’espace et le temps, avec l’objet ».216 Cependant, les quelques verbes employés au futur marquent les visées de l’annonceur tournées vers l’avenir, un avenir qui concrétise le profit formulé par le présent. L’exemple ci-après le montre à merveille :

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212 Grunig, Blanche-Noëlle, Les mots de la publicité, op. cit., p. 210.

213 Ibid., p. 210.

214 Charaudeau, Patrick Éléments de sémiolinguistique (théorie et pratique), Paris, Hachette, 1994, p. 25.

215 Ibid., p. 46.

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Saisi entre la négation totale, « ne plus » et la locution adverbiale de manière « par hasard », placé en fin d’énoncé, le verbe réalise l’aboutissement et l’achèvement d’un processus futur.

Les valeurs aspectuo-modales

Dans la grammaire française, l’étude de l’aspect est souvent reléguée à un second plan au profit de l’information temporelle, ce qui tient en particulier à la richesse de la morphologie verbale. Ce constat ne diminue pas l’importance discursive de cette catégorie verbale qui exprime de « quelle manière on envisage le déroulement du procès et son mode de manifestation dans le temps »217. Nous considérons que dans ce cas particulier du discours, l’aspect acquiert un rôle déterminant au niveau du forgeage du sens ainsi qu’au niveau stratégique d’implication qui tend à « programmer » à son insu le comportement du récepteur. Tout se passe comme si la valeur aspectuelle renvoyait les lecteurs de publicité à un mode précis d’action et de positionnement vis-à-vis de l’action, accomplie ou non, et spécifiant si elle commence, se termine ou est en train de se produire. En effet, l’étude aspectuelle des verbes utilisés dans les séquences publicitaires nous permet d’opérer une première distinction entre aspect grammatical et aspect sémantique. D’un point de vue grammatical, on peut répartir les formes verbales du corpus en deux grandes classes : les verbes relevant de l’aspect inaccompli et ceux relevant de l’aspect accompli. Sur ce point, on peut noter une disproportion remarquable en faveur de l’inaccompli présent dans 297 occurrences face à l’accompli (35 occurrences seulement).

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Pour établir cette opposition nous nous sommes appuyé sur le critère morphologique. Le parallélisme forme simple/forme composée traduit l’opposition aspectuelle aspect inaccompli/ aspect accompli. Comme l’inaccompli implique que l’action n’est pas dépassée par la personne concernée, il semble plausible que l’annonceur l’ait privilégié pour nous montrer des actes en train de se faire, immédiatement proches de notre actualité, afin de garantir un maximum d’adhésion de la part des récepteurs. Le choix massif du présent de l’indicatif et de l’impératif présent est révélateur à cet égard car ces deux temps verbaux permettent de mieux inscrire l’allocutaire dans le discours publicitaire grâce à leur valeur d’actualisation.

Par ailleurs, nous pouvons dégager une plus grande variété aspectuelle sur le plan sémantique. L’imperfectif vient en priorité avec 118 occurrences. Le perfectif est nettement minoritaire (49 occurrences). Cette inégalité semble motivée par une intention délibérée s’inscrivant dans la visée persuasive générale du message publicitaire. Cela fait écho à la disproportion déjà notée entre l’inaccompli et l’accompli grammatical.

En outre, on parle d’aspect perfectif quand le procès renferme en lui-même et par lui-même une fin. Par contre, l’aspect imperfectif est exprimé par les verbes qui ne contiennent pas, de par leur sens, l’idée d’une fin du procès. Examinons à la lumière de ces données certains de ces slogans à verbes perfectifs :

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Il s’agit dans tous ces cas et dans une majorité écrasante des séquences du corpus, de verbes qui supposent une action, souvent conjugués à l’impératif présent, dont la valeur

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d’immédiateté s’adresse directement aux récepteurs comme pour leur signifier l’urgence de passer à l’action, de réagir et de consommer. L’idée d’une fin du procès contenue dans ces verbes permet de mettre en évidence des résultats effectifs, concrets, destinés à convaincre et séduire l’ensemble des consommateurs.

L’aspect ponctuel ne présente pas la même fréquence mais il n’est pas moins important. Il vient corroborer ce qui a déjà été établi avec le perfectif accompli au présent ou à l’impératif. Il s’agit d’une façon d’envisager les procès : on les imagine globalement, dans leur totalité. Si la tradition grammaticale réserve généralement cette valeur aspectuelle au passé simple, vu ses vertus narratives, il est intéressant de pouvoir dégager d’autres occurrences d’indicatifs présent ou d’impératif.

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Ce qu’on peut signaler comme particulièrement notable ici est le rapport étroit entre la valeur aspectuelle ponctuelle et le perfectif. En effet, la plupart des verbes employés dans ces séquences (réactiver, profiter, fêter, colorer, venir…) renferment sémantiquement l’idée de fin. De plus ils sont souvent liés à des indications temporelles (le printemps, immédiatement, l’automne) qui renforcent l’aspect ponctuel. La stratégie persuasive qui sous-tend les slogans est toujours la même : montrer aux récepteurs des actions réalisables ou déjà réalisées, comme pour les inciter à suivre le modèle afin de profiter des mêmes avantages et des mêmes résultats.

Par ailleurs, on peut relever d’autres valeurs aspectuelles mais elles sont minoritaires. Ainsi, le duratif est présent à travers quelques occurrences que nous citons.

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Le procès est envisagé en train de se faire, dans son déroulement. Les verbes recensés associent pour la plupart l’imperfectif au duratif afin de pousser au maximum l’impression d’allongement temporel.

On peut mentionner finalement d’autres valeurs aspectuelles beaucoup moins fréquentes, comme l’itératif :

Plus je croque, plus je craque

On notera que la structure corrélative du slogan entraîne une correspondance exacte entre l’itération du procès « croquer » et celle du procès « craquer », effet soutenu par la paronomase.

Cette classification permet de mettre au clair les soubassements structurels et syntaxiques des stratégies de l’implication publicitaire. La vertu du langage est de mener à bien le travail minutieux d’artisan consistant à trouver la forme la plus adéquate de ce que l’on veut faire faire à l’interlocuteur et faire dire en même temps à l’énoncé. Benveniste estime que « toutes les langues ont en commun certaines catégories d’expression qui semblent répondre à un modèle constant. Les formes que revêtent ces catégories sont enregistrées et inventoriées dans les descriptions, mais leurs fonctions n’apparaissent pas clairement que si on les étudie dans l’exercice du langage et dans la production du discours. »218,219.