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Chapitre 4 : Présentation du corpus

2. Étude morphosyntaxique du corpus

2.3. Ancrage et suspension énonciatifs

Le texte publicitaire n’est pas étudié seulement comme une structure textuelle ni comme un enchainement cohérent d’unités lexicales, ni même comme un support d’une stratégie de marketing. Il s’agit plutôt de faire appel à toutes ces dimensions d’une manière simultanée. Ainsi, il faudrait considérer en même temps l’organisation textuelle, la situation de communication et la situation d’énonciation. Bref, l’examen des structures phrastiques devrait être mis en parallèle

218 Benveniste, Émile, Problèmes de linguistique générale, op. cit., p. 97.

219 L’énonciation constitue le pivot de la relation entre la langue et le monde. D’un côté elle permet de représenter dans l’énoncé des faits, mais d’un autre côté, elle constitue elle-même un fait, un événement unique défini dans le temps et l’espace. On se réfère en général à la définition de Benveniste (1974 :80), comme, « la mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation ».

120 avec l’observation de la valeur pragmatique de l’énoncé, c’est-à-dire de l’acte qu’il prétend accomplir sur le destinataire. Soit le slogan suivant :

Téléperformance

Nos valeurs sont les fondements de notre groupe : 1/ intégrité 2 / respect / 3 professionnalisme / 4 innovation 5/ engagement

Il ne suffit pas de prendre en compte la portée sémantique de la phrase. Les auteurs de ce slogan attendent plus que la compréhension élémentaire de la part des récepteurs. Nous sommes ici en présence d’un acte de langage (l’invitation), ce qui implique que l’offre de la société de télécommunication resterait lettre morte si « les conditions de réussite »220 n’étaient pas respectées. L’une des principales conditions est ce que Maingueneau nomme « la finalité reconnue », qui serait la modification en quelque sorte d’une situation de départ jugée peu avantageuse. Bien entendu, dans la majorité des cas, la finalité est indirecte pour la publicité, car elle vise à séduire pour faire acquérir, vendre un produit. Mais dans certaines occurrences, comme la nôtre ici, le lexème « Nos » apparaît, à cause de son emplacement inaugural, comme l’essence du message de la société publicitaire. Dans la majorité des cas « la détermination correcte de cette finalité est indispensable pour que le destinataire puisse avoir un comportement adapté à l’égard du genre de discours. »221 Cette dimension pragmatique que nous venons d’examiner montre que le phénomène d’ancrage est constitutif du discours publicitaire. La persuasion ne pourrait pas opérer si l’interlocuteur ne déterminait pas le genre du discours, les caractères distinctifs de la situation de communication. Elle ne pourrait pas opérer non plus sans les éléments de contextualisation énonciative qui sont les indices porteurs de l’espace, du temps, des personnes, du mode et des temps verbaux. Bourdieu postule : « on voit que tous les efforts pour trouver dans la logique proprement linguistique des différentes formes d’argumentation, de rhétorique et de stylistique le principe de leur efficacité symbolique sont vouées à l’échec aussi longtemps qu’elles n’établissent pas la

220 Maingueneau, Dominique, Analyser des textes de communication, op.cit., p. 51.

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relation entre les propriétés du discours, de celui qui les prononce, et les propriétés de l’institution qui l’autorise à le prononcer ».222

Considérons le slogan suivant ;

Cet été L’ADSL est à consommer avec modération.

Le déterminant démonstratif « cet » possède une valeur déictique dont le référent change en fonction de la situation d’énonciation ou il apparait. Ici le démonstratif renvoie à une période de l’année 2007, facilement repérable par l’ensemble des interlocuteurs et qui est la saison estivale. Par ailleurs, le présent de l’indicatif exprime lui aussi une valeur déictique, c’est-à-dire qu’il n’est interprétable que par rapport à l’environnement énonciatif singulier dans lequel il s’inscrit. Par conséquent, les récepteurs lui attribuent une durée temporelle immédiate. Nous pouvons dire ainsi que les énoncés publicitaires possèdent des marques qui les inscrivent directement dans la situation énonciative. Ce premier type d’ancrage dans la situation d’énonciation est renforcé par un autre type, « le contexte » 223, constitué par l’ensemble des « séquences verbales qui se trouvent placées avant ou après l’unité à interpréter [auxquelles peut s’ajouter] l’environnement physique de l’énonciation » 224 Le recours à ce contexte sollicite la mémoire de l’interlocuteur et ses savoirs antérieurs car l’idée d’un énoncé possédant un sens fixe hors contexte est très peu vraisemblable. Pour le récepteur des slogans, la connaissance de la langue ne suffit pas pour pouvoir interpréter le message, c’est pourquoi il cherche à identifier précisément son environnement physique, que représente dans notre corpus la rubriques « pages publicitaires » du quotidien « La Presse De Tunisie ».

Par ailleurs, pour comprendre un slogan, comme celui-ci : « C’est vous L’Maâllim » (Ce qui veut dire littéralement « Vous êtes le chef, le maître ou le boss » une façon de bien mettre en valeur l’allocateur en le caressant dans le sens du poil), l’interprète doit mobiliser ses connaissances personnelles, voire les spécificités langagières du groupe social. Il s’agit d’une banque, mais l’énoncé ne le signale pas et le récepteur l’identifie grâce à ses pouvoirs pré-énonciatifs d’une part et en se basant sur l’image accompagnant

222 Bourdieu, Pierre, Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard, 1982, p. 111.

223 Maingueneau, Dominique, Analyser des textes de communication, op.cit., p.11.

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le slogan d’autre part (l’image représente le nom de la société et un jeune homme illustrant l’offre). Nous voyons donc bien que le contexte situationnel intervient d’une façon décisive dans l’explicitation du message publicitaire. L’énonciateur ne vise pas à responsabiliser son allocutaire non plus, car le même message dans la bouche d’un agent de police pourrait se comprendre tout autrement.

De la même manière, l’interprétation sémantique ne suffit pas, à elle seule, pour déterminer l’objet de la publicité de ce slogan : « Pour un lendemain sans souci. » En effet, un énoncé publicitaire n’est pas totalement autonome, c’est un fragment d’une totalité qui renferme éventuellement une image, un sigle, une signature, un symbole quelconque, etc… Ici le récepteur comprend que c’est une société d’assurance car son nom figure au-dessous du slogan (Assuravenir) accompagné d’une photo d’un couple souriant de personnes âgées. Ces procédures relèvent de ce que les linguistes appellent le « contexte » qui permet l’ancrage de l’énoncé dans un environnement extra-énonciatif conçu dans une visée pragmatique.

Néanmoins, les slogans publicitaires présentent un paradoxe particulièrement intéressant à étudier : d’une part nous avons un ancrage puissant à la fois énonciatif et contextuel, et d’autre part nous relevons quelques cas ambigus de suspension énonciative tel que :

Une couleur parfaite ? Tout est dans la préparation. L’agence dont l’esprit n’est point carré.

Tendre et affectueux Saïd blanc et le framboise sera le couple le plus en vue de la rentrée

La technologie y a mis tout son cœur ADSL plus rapide… moins cher.

Dans ces séquences, le locuteur ne déclare pas son identité en s’exprimant, c’est-à-dire qu’aucune marque linguistique pouvant le faire repérer n’a été relevée. Aucune trace d’un pronom personnel prenant en charge l’acte de l’énonciation. L’absence d’embrayeurs temporels et spatiaux renforce le régime de l’ambiguïté énonciative. La voix du locuteur semble s’effacer derrière la présence envahissante des noms des entreprises et des produits publicitaires. (L’ADSL, le chocolat Saïd, une crème colorante). Ce phénomène de suspension énonciative qui alterne avec une actualisation maximale (dans d’autres

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occurrences), constitue un argument dans une stratégie englobante à visée commerciale qui cherche avant tout à mettre en avant le produit publicitaire, même aux dépens du fonctionnement énonciatif contextualisé. D’une manière générale, le paradoxe de l’ancrage et de la suspension constitue une des spécificités du slogan publicitaire qui favorise dans une certaine mesure ses objectifs pragmatiques.