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Au-delà de la synonymie entre la traduction et l’équivalence

Style et équivalence en traduction : la métaphore comme style d’écriture

4. L’équivalence entre le réel et le fantasme : un concept pertinent ?

4.3 Au-delà de la synonymie entre la traduction et l’équivalence

Lors d’une demande de traduction vers la langue arabe reçue dans le cadre de notre activité, le problème suivant s’est présenté : il s’agissait d’une lettre de relance de paiement rédigée en anglais. La lettre commençait par « Dear Sami », une formule tout à fait commune qu’il serait facile de traduire en arabe par « Cher Sami », si nous adoptions la définition selon laquelle l’équivalence est l’action de trouver un synonyme. Or, en arabe l’adjectif « Azizi » (cher ou mon cher) ne convient pas dans ce contexte précis. Le problème réside dans l’effet produit par la connotation de cet adjectif. En effet, ce dernier renvoie à la notion de « bien-aimé », « chéri » et « adoré ». Dans la mesure où le ton de cette lettre était comminatoire, nous avons décidé d’écarter le synonyme arabe. Notre tâche a ainsi été de déterminer le point de convergence mentionné quelques lignes plus haut. Dans le cas de ce document, il était question de trouver une convergence d’intention et d’effet pour transmettre le message du texte de départ. Dans un premier temps, nous avons traduit la formule de politesse anglaise par une formule de politesse arabe communément utilisée. Cependant, le problème que pose cette courte formule persistait. En effet, la pratique épistolaire formelle en arabe favorise l’utilisation du nom de famille plutôt que le prénom de la personne. Le registre formel l’exige. En l’absence de cette information dans le document source, il fallait donc « s’en sortir par une pirouette » : reproduire le style de la lettre et garder l’effet souhaité pour exiger le paiement tout en restant poli. Nous avons choisi une expression qui juxtapose différents éléments dans notre traduction : « Monsieur le généreux Sami » ou « Monsieur l’aimable Sami ». L’utilisation de « monsieur » instaure le caractère formel de la lettre et réduit le poids sémantique produit par l’utilisation du prénom. L’adjectif arabe correspondant à la notion de générosité et d’amabilité s’inscrit parfaitement dans un contexte où le donneur d’ordre incite le destinataire à procéder au

paiement dû. A priori, cette traduction fait fi de la forme initiale du message. Cependant, les termes du contrat ont été respectés dans la mesure où le message du texte source a été transmis en préservant son effet et sa fonction. Le cas de cette traduction représente une forme d’équivalence fonctionnelle ciblant l’effet d’un texte. Il est évident que de telles interventions n’ont pas lieu systématiquement dans le processus de traduction ; néanmoins, elles exigent du traducteur une certaine vigilance pour bien saisir le vouloir-dire d’un énoncé et le transmettre en fonction du contexte et des paramètres de la situation. En effet, l’équivalence en traduction « n’est pas identité », c’est « une équivalence fonctionnelle plutôt qu’une équivalence totale et parfaite » (Roberts et Pergnier, 1987 : 402) : l’équivalence des signifiés ne peut exister qu’au niveau des termes techniques ou scientifiques « à l’usage strictement circonscrit à un domaine », tels que les mots micro-onde, ordinateur et télévision si on les traduit de l’anglais vers le français, par exemple. Pourtant, cette condition n’est pas toujours vérifiable si le couple de langue est modifié. L’arabe, par exemple, souffre d’une pénurie de termes techniques. Cela oblige les locuteurs arabophones à avoir recours à la transcription phonétique pour désigner le micro-onde, à titre d’exemple. Il s’agit d’un cas où l’absence d’une correspondance lexicale est flagrante ; il y a ici un ensemble vide dans la culture cible, pour emprunter l’expression mathématique. Mais même si l’ensemble est vide au départ, l’espace se remplira dans la mesure où le mot transcrit fait désormais partie du langage utilisé par les natifs arabophones. Cette situation se résume en l’absence d’équivalence à un instant donné, une absence partielle et un vide partiel que le traducteur participe à combler en ayant recours à la transcription : la « transaction » du traducteur permet d’acquérir « l’objet » qui a été négocié.

Il existe tout de même des exceptions au niveau des concepts scientifiques, car la science puise dans les images métaphoriques qui pourraient limiter l’affirmation d’une

équivalence lexicale dans sa totalité. Par exemple, dans le domaine économique, l’expression « la main invisible » peut être traduite littéralement grâce à un équivalent lexical dans plusieurs langues (arabe, chinois, italien et espagnol), mais en russe l’expression devient « la main invisible du marché ». Certes, une équivalence au niveau des signifiés peut être observée, mais la notion de marché devient explicite dans la traduction russe.

Nul ne peut prétendre figer la définition de l’équivalence, car il s’agit d’un concept insaisissable. Cependant, tenter de théoriser un concept ne peut que contribuer à son enrichissement et à l’enrichissement de la discipline. L’équivalence est-elle un fantasme ? La réponse n’est certainement pas affirmative. Il est évident que le traducteur, dans sa pratique quotidienne, est continuellement confronté à des cas de non-équivalence et que la recherche d’une solution s’opère d’une manière à la fois consciente et inconsciente. Si l’équivalence en tant que concept est difficile à cerner, elle demeure toutefois concrète dans sa dimension pratique. Au niveau de la théorie, la traduction peut être considérée comme une équivalence ou bien un cas de « non-équivalence » réglé ou que l’on tente sans cesse de régler. Néanmoins, l’équivalence est, au niveau de la pratique professionnelle, un processus qui se présente selon diverses étapes pour que le traducteur puisse établir des points de convergence entre les deux textes. Cette convergence n’est ni absolue ni totale, mais la pertinence de ces points détermine la réussite du traducteur. Ce sont les points de convergence que nous tenterons d’identifier tout au long de l’analyse de la traduction de la métaphore corporelle lawrencienne. Les espaces de non-convergence seront également identifiés du fait qu’ils nous permettront de mettre le doigt sur les écarts en traduction. Michel Ballard (2004 : 17) évoque la notion de « décalages de l’équivalence » qui peuvent être « dommageables, souhaitables, acceptables ou réductibles », ou qui font « apparaître

les critères justifiant telle ou telle prise de position ». Cela permet de déterminer si la plume du traducteur a conservé l’essentiel du message et sa finalité.

Identifier de tels écarts permet de procéder à une sorte de décryptage textuel qui a pour vocation première de mieux mesurer le degré d’équivalence, une équivalence d’intentionnalité, entre le texte source et le texte cible et d’en extraire une réponse à la question suivante : que reste-il du message initial ? Cette question s’inscrit dans le cadre de la théorie établie par Hans Vermeer dès 1978 en s’inspirant du mot grec skopos, traduit en français par « but » et « finalité ». Vermeer avance que l’acte de traduire est déterminé par une finalité : « It is not the source-text and/or its surface-structure which determines the target-text and/or its surface-structure, but the skopos » (Vermeer, 1996 : 15). Bien entendu, déterminer la finalité d’un texte, son skopos, ne doit pas être une question d’appréciation subjective, mais doit être fondé sur certains éléments. Ces éléments doivent être établis dans un espace, fictif ou réel, que nous nommerons un cahier des charges.